Elle parle de ce livre comme d’une thérapie. Elle, la discrète, la femme de l’ombre se dévoile et retrace un demi-siècle de vie aux côtés de son mari. Racontant son Bernard Tapie.
"Cette vie, je l’ai passée dans l’ombre, c’est un rôle qui me convenait très bien. Ce qui était difficile, c’était l’opprobre jeté sur lui. C’est pour cela que j’ai fait ce livre, pour rétablir certaines vérités", explique Dominique Tapie, qui était jeudi soir l’invitée du Monaco Press Club à l’occasion de la sortie de son ouvrage Bernard, la fureur de vivre, rédigé avec la complicité de Catherine Siguret.
Une plongée dans les souvenirs d’une vie trépidante, sans occulter non plus les problèmes et les dettes. Solidaire de l’héritage de son époux, Dominique Tapie se voit aujourd’hui redevable de 642 millions d’euros à l’État français.
Au titre des intérêts réclamés à son mari, après la décision de justice lui demandant de rembourser l’argent touché dans l’arbitrage de l’affaire du Crédit Lyonnais. Morceaux choisis d’un échange franc et direct.
Son caractère
"J’ai compris en écrivant ce livre, en replongeant dans mes souvenirs, que mon mari était resté un petit garçon émerveillé par sa réussite. Contrairement à ce que les gens pensent, ce n’était pas une personne vénale. L’argent allait venait, mais ce n’était pas un aboutissement en soi. Quand on s’est installés dans l’hôtel de Cavoye rue des Saint-Pères à Paris, lui se voyait toujours comme un petit bonhomme de la banlieue parisienne qui n’aurait imaginé un jour entrer dans ce magnifique hôtel particulier si ce n’est pour livrer le courrier s’il était devenu facteur. Il avait gardé les pieds sur Terre. Et quand il a été nommé ministre, pour lui c’était le Graal".
L’homme politique
"Malheureusement il avait attrapé le virus de la politique. Je lui ai déconseillé d’y aller même si c’était un tribun, fait pour entraîner des gens. Mais en politique, ce n’est pas possible. Il avait un parler trop franc, il faut parfois mettre de l’eau dans son vin en politique, il en était incapable. Les gens de droite comme de gauche ne le trouvaient pas du tout à sa place et voulaient lui couper les ailes. Et Mitterrand s’en est servi, machiavéliquement, pour évincer Rocard".
Le patron de presse
"Il venait de gagner l’arbitrage dans l’affaire du Crédit Lyonnais et il avait envie de reprendre une activité dans les affaires. Lui qui avait tellement dénigré certains journalistes, on lui a proposé de reprendre La Provence, et comme c’était à Marseille, tout naturellement il s’est dit qu’il voulait sauver ce journal. Il y avait aussi dans le groupe, à l’époque, Nice-Matin, Var-Matin, Corse-Matin. Mais il s’est surtout focalisé sur La Provence. En étant très franc et en disant aux journalistes que jamais il n’interviendrait dans l’éditorial. Et il a tenu parole".
"Nous venions jouer à Monaco"
"Nous sommes venus très souvent pour jouer à Monaco. À une période de sa vie, mon mari était devenu joueur de casino. Nous n’habitions pas très loin d’Enghien. Il s’est pris au jeu et comme tout le reste, il a été à fond. C’est devenu addictif, il s’en est rendu compte et s’est fait interdire. Le seul casino où il pouvait encore venir, c’était à Monaco. Puis les dernières années, nous sommes venus quand il était soigné au CHPG par Philippe Brunner qui savait l’écouter, le supporter car ce n’était pas un malade facile. Et le soulageait avec ses aiguilles magiques."
Les derniers moments
"Ce ne sont pas des souvenirs très gais. Jusqu’au bout nous y avons cru. Quand il a su qu’il avait un cancer, Bernard a ouvert tous les manuels de médecine, s’est renseigné sur tous les traitements dans le monde. Il a tout essayé, comme quand il reprenait une affaire, il regardait toutes les opportunités. Il a tenté un dernier protocole qui venait des États-Unis utilisé pour le cancer du sein, expérimental, qui n’avait jamais été prodigué en France. Il y croyait mais ça n’a pas marché. Le professeur qui le suivait n’a pas voulu me dire que la fin était proche. Car ma relation avec Bernard était une telle osmose que si j’avais su, il l’aurait senti et compris. Jusqu’aux dernières quarante-huit heures, on espérait qu’il allait rebondir, comme il avait rebondi de beaucoup de situations désespérées".
L’héritage empoisonné
"Je n’ai pas le choix. L’important c’est de regarder autour de soi. Je suis privilégiée, je suis en bonne santé, ma famille va très bien. Il y a des gens très malheureux, je n’en suis pas là. Cette somme je ne pourrais jamais la rembourser, les actifs restants vont être vendus mais la dette ne sera jamais comblée. Je lui en ai voulu quand je me suis retrouvé sans rien. Puis j’ai pu comprendre ce qu’il ressentait à l’époque. Pour lui, ma situation aurait dû être autre. Il avait confiance en la justice de son pays. Quand il refaisait ses comptes, il voyait bien qu’il avait de quoi rembourser ce que l’arbitrage lui avait octroyé. Tout ce qu’il a touché a été remboursé. Ce qu’on me demande aujourd’hui ce sont les intérêts. Il n’imaginait pas que chaque jour, il y avait 80.000 euros d’intérêts qui couraient qu’on me réclame. Voilà pourquoi je me retrouve avec cette somme abominable que je ne pourrais jamais rembourser. Je ne veux pas me ronger avec cette histoire. Lui, cette affaire du Crédit Lyonnais l’a rongée. Quand on vous fait passer pour un voyou alors que c’est la banque qui vous a escroqué il y a de quoi! Je vis aujourd’hui avec sa demi-retraite de député, comme beaucoup de veuves. Et l’aide de ma famille et de mes amis, qui sont tous restés après le décès de Bernard".
Une statue à Marseille?
L’idée est portée par Laurent Tapie, le fils cadet de Bernard, qui a lancé à l’automne dernier une souscription pour rendre hommage à son père, à Marseille.
Il souhaite ériger un monument devant l’Orange Vélodrome, pour rappeler le lien indéfectible entre ce stade et l’homme d’affaires, patron de l’Olympique de Marseille lors de son titre de champion d’Europe de football en 1993.
Le souhait serait de créer une statue en bronze avec une sculpture grandeur nature de l’ex-président, entouré par les joueurs emblématiques de l’époque.
"J’espère que ça marchera et qu’il aura cette esplanade devant le stade à son nom, pour commémorer cette fameuse coupe d’Europe que nous sommes les seuls en France, à avoir gagné", souligne Dominique Tapie, qui avance que ce titre footballistique était probablement ce dont son mari a été le plus fier de toute sa carrière.
"Marseille est une ville très attachante. On l’aime ou on la déteste. Ils allaient très bien ensemble. Les deux se sont aimés. Les Marseillais, c’est un peuple incroyable. Quand je vais sur la tombe de Bernard, il y a toujours des fleurs, des nounours, des petits mots. Avant un match, certains vont même visiter la tombe pour avoir la niaque".
La cité phocéenne semble être toute destinée pour avoir un lieu baptisé du nom de Bernard Tapie. "Je ne vois pas d’autre endroit", confirme sa veuve, "ce ne sera certainement pas à Paris, qui est ennemi avec Marseille sur le plan du football".
La série Netflix: "Je ne cautionne pas"
En avril, à l’occasion du festival Canneseries, la plateforme Netflix dévoilait les premières images de Tapie, une mini-série réalisée par Tristan Séguéla et Olivier Demangel, qui sera mise en ligne en septembre prochain, avec Laurent Lafitte dans le rôle-titre. Un projet fait sans le consentement de la famille Tapie, qui avait déjà vertement réagi à la bande-annonce proposée.
"Cette série, je ne la redoute pas, je la déplore", tance Dominique Tapie. "Les producteurs disent que c’est une fiction. Mais une fiction qui s’appelle Bernard Tapie… Je trouve cela incroyable, je ne cautionne pas. Et je rappelle qu’on ne nous a absolument pas consultés. Je ne sais pas ce qui va être raconté, on nous a répondu que c’était un personnage public et qu’on ne pouvait rien dire."
"Bernard lui avait dit non"
De surcroît, Dominique Tapie regrette que la démarche ait été entreprise par Tristan Seguéla. "C’est le fils de très bons amis à nous, qui ont été très présents pour mon mari. Il était venu proposer à Bernard de faire cette série. Bernard lui avait dit non. Il n’avait pas envie, et avait précisé que si quelqu’un devait faire une série, c’était notre fils Laurent, qui connaissait sa vie par cœur. Mais il n’a pas écouté ce que Bernard lui a dit et il l’a quand même fait…"
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