"Aux urgences, j'ai déjà reçu deux coups de poing en plein visage": le témoignage édifiant d'un soignant à Nice après le drame de Reims

L'annonce ce mardi de la mort d'une infirmière de 37 ans, attaquée à coups de couteau lundi au CHU de Reims, a suscité une vague d'émotion à travers la France. Notamment chez les soignants tels que Jordan, infirmier diplômé d'Etat lui aussi, au CHU de Nice. Sous couvert d'anonymat, il livre un témoignage éclairant sur les violences physiques et verbales qui rythment le quotidien des personnels soignants.

Christophe CIRONE Publié le 24/05/2023 à 07:00, mis à jour le 24/05/2023 à 07:01
Devant l’hôpital Pasteur 2, à Nice, un infirmier dit l’émotion suscitée par le drame de Reims et raconte les agressions du quotidien. Photo Philippe Arnassan

"Tout le monde est choqué. On se transpose..." Sur le parvis de l’hôpital Pasteur 2 à Nice, Jordan (1) soupire. Il peine à trouver les mots face à l’horreur que lui inspire la mort de Carène, cette infirmière de 37 ans tuée par un déséquilibré à Reims. "Une collègue... C’est horrible. Elle fait son métier, elle est là pour prendre soin des gens, et elle perd la vie. C’est complètement révoltant. On n’est pas censé se faire poignarder sur son lieu de travail!"

Jordan n’a que quelques années de plus que Carène. Il compte bientôt vingt ans d’hôpital en tant qu’infirmier diplômé d’État, l’essentiel aux urgences. Il travaille désormais au CHU de Nice. Il y a récolté deux coups de poing au visage. Les agressions physiques ou verbales, voilà bien longtemps qu’il ne les compte plus.

"Ça a toujours existé, mais c’est de pire en pire, confie ce quadra, témoin du mal-être des soignants. L’agressivité est de plus en plus palpable aux urgences. Les gens sont énervés, exigeants, incapables de gérer la frustration. Et certaines familles sont très agressives. Dès qu’on conseille de passer par la filière avec le médecin généraliste pour un problème qui n’est pas urgent, on nous dit qu’on ne sert à rien, qu’on est des incompétents."

Cocktail détonant

Les deux coups de poing? Ils illustrent deux situations symptomatiques.

Le premier implique un patient sous cocaïne. "Il faisait semblant d’être inconscient. Mais avec l’expérience, on fait vite la différence. Je lui dis: "Pour vous aider, j’ai besoin que vous répondiez à mes questions." Là, il ouvre les yeux et me dit: "Tu crois que je fais semblant?" Et il me met un coup de poing en pleine poire. Il a ainsi confirmé que j’avais raison..."

Jordan n’a pas été spécialement sonné, "mais surpris."

Le coup lui a valu une petite plaie dans la bouche. C’est là, encore, qu’il a ramassé un second coup de poing. Cette fois-ci, "c’était un patient psy, un peu en crise. Plutôt calme. Mais dès qu’on s’est approchés, boum! Coup de poing dans la face."

Drogue, alcool, pathologies psychiatriques... Le cocktail des urgences est "propice à ces situations de violence", constate Jordan. Il y reçoit parfois des coups de pied, "de bonnes baffes" de personnes âgées - "la seule population que j’excuse". Les insultes? "C’est quotidien." Après les coups de poing, Jordan a déposé plainte: "Pas de nouvelles..."

"Des équipes à bout"

Les effectifs réduits, les délais qui s’allongent, peuvent-ils expliquer ces dérives, à défaut de les justifier? "Sans doute que ça n’aide pas, admet Jordan. Et puis, les équipes s’épuisent. Elles sont à bout. Le sous-effectif, c’est quasi tous les jours. Ça fait effet boule de neige."

L’infirmier aux vingt ans de métier est amer. "Les gens ont besoin de nous, et ne sont pas reconnaissants. On ne prend pas soin des soignants. Je n’ai pas fait ce métier pour être un flic! Or j’ai parfois l’impression d’en être un..."

Faudrait-il des policiers, des vrais, dans les couloirs de l’hôpital? Peut-être bien, estime Jordan. Faudra-t-il former les soignants à la self-défense? "On n’est pas là pour se battre, même si on a l’impression de se bagarrer tout le temps..."

Pour l’heure, ces agressions plombent un quotidien déjà "trop lourd". Au point de faire songer Jordan, comme d’autres, à quitter les urgences. "Ça me pèserait beaucoup. Parce que j’aime ça. Pour la gratitude des patients. Malheureusement, la population est en train de nous dégoûter de notre métier."


1. Son prénom a été modifié afin de préserver son anonymat.

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