"Cette fois, je pense que c’est la bonne. Le compte à rebours a commencé !" Francesco Bongiovanni n’irait pas jusqu’à mettre sa main à couper mais, aux dires du patron d’Orbital Solutions Monaco, les prédictions n’ont jamais été aussi bonnes.
Sauf aléas majeurs – techniques ou météorologiques – le premier nanosatellite monégasque sera envoyé dans l’espace le soir du 1er septembre. Une première spatiale pour le pays aux 2,08 km² de superficie.
Mais Francesco Bongiovanni, par expérience, cultive la prudence. Après sa conception à Monaco, au cœur de Fontvieille, « OSM1-Cicero » a été intégré courant mars au lanceur Vega (un lanceur léger de l’Agence spatiale européenne) – une fusée de trente mètres de haut et pesant 136 tonnes – pour une mise en orbite programmée au 24 du même mois. Nom de vol : VV16.
Depuis, pourtant, le nanosatellite, guère plus grand qu’une boîte à chaussures, sommeille toujours dans la coiffe, l’extrémité supérieure de la fusée. Explications.
Des vents trop forts
Un fichu virus, le Covid-19 pour ne pas le citer, est passé par là, contraignant ArianeSpace à fermer son centre de lancement spatial à Kourou (Guyane).
Fin mai, il rouvrait et une nouvelle date était fixée : le 18 juin. Cette fois, c’est Dame Nature et son serviteur Éole qui jouaient les trouble-fête. Empêchant, donc, d’exploiter les fenêtres de tir. Décidément.
"Il y a eu tout l’été des vents exceptionnellement forts et stables. Il y a eu quatre tentatives avortées, dont une survenue deux minutes avant le lancement ", relate Francesco Bongiovanni.
Une annulation d’autant plus rageante qu’il avait convié à son domicile ses ingénieurs, à 3 h du matin (décalage horaire oblige), pour suivre à distance le lancement vers d’autres horizons. "Mais c’est avant tout une question de sécurité, plaide-t-il. Le vent venant d’une certaine direction, s’il y avait un accident, que la fusée explosait en vol, des débris pouvaient retomber sur les zones habitées."
Dans l’habitacle de la fusée, « OSM1-Cicero » cohabitera avec pas moins de 52 autres satellites miniatures, produits en Europe, au Canada et aux États-Unis.
Un covoiturage spatial, en somme, destiné à minimiser les coûts du vol pour ces 21 clients de treize nations différentes. Dans l’espace, tous auront des desseins divers : l’observation de la Terre, les télécommunications, les sciences, la technologie et l’éducation
Et la mission du nanosatellite monégasque ? La récolte de données brutes sur le climat, lesquelles seront revendues dans la foulée. À 430 kilomètres d’altitude et 28.000 km/h. "Notre satellite porte, comme charge utile, l’appareil miniaturisé le plus sophistiqué au monde de technique “occultation radio”, conçu à l’origine par la Nasa, laquelle permet d’effectuer des mesures atmosphériques climatiques très précises."
Les satellites GPS, en géostationnaire à 35/000 km au-dessus de nos têtes, lancent des ondes radios que notre téléphone capte.
Lorsque ces ondes pénètrent dans l’atmosphère, elles font une sorte de courbure, laquelle est équivalente à la lumière quand elle rentre dans l’eau.
C’est cette courbure qui sera analysée par la charge utile du nanosatellite, en orbite basse. Qui en déduira, alors, des données atmosphériques précises.
Pression, température, humidité sur une colonne verticale de 25 à 30 kilomètres de large. "Nous avons profité des différents retards pour faire, au sol, une mise à jour du logiciel de notre satellite qui lui permettra de capter en occultation radio, outre les signaux des constellations GPS et Glonass, celle du système de positionnement européenne Galileo. Ce qui améliorera la capacité de production du satellite."
Le retard engrangé – pas moins de six mois – n’a pas eu que des effets positifs pour la jeune société monégasque. Loin de là.
Cloué au sol, « OSM1-Cicero » ne glane pas de données brutes. Sans cela, pas de revenus financiers. Et sans chiffre d’affaires, moins de capacité à pondre un second nanosatellite plus poussé, un projet déjà dans les cartons au cinquième étage de l’immeuble Le Triton.
Bientôt un contrat?
Bonne nouvelle : le premier contrat pourrait bientôt être signé avec l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA). "Ce type d’agences dépensent 10 à 12 milliards d’euros par an pour les systèmes satellitaires afin d’établir des prédictions climatiques, détaille Francesco Bongiovanni. Ils se sont aperçus qu’il y avait des technologies de miniaturisation, des producteurs privés qui récoltaient ces données. Alors au lieu de faire un satellite qui coûte 1 milliard d’euros, ils se sont dit qu’ils pourraient acheter ces données à ces jeunes sociétés. C’est un changement de business model. C’est tout nouveau."
C’est ce que le patron monégasque aime nommer la révolution du « New Space ». Celle de l’occupation de l’espace, désormais truffé de nanosatellites évoluant au milieu des mastodontes.
Durée de vie: de 3 à 5 ans
Plus petit et donc moins cher à construire. Tout l’avantage de ces satellites modèles réduits. "Avec une flotte de nanosatellites, il y a potentiellement une couverture, un quadrillage total de la Terre. Alors que les gros satellites météorologiques, il y en a peu et ils peuvent seulement aller sur des zones précises", analyse Francesco Bongiovanni, fondateur et p.-d.g. de la société Orbital Solutions Monaco.
OSM1-Cicero, le nanosatellite fabriqué à Monaco (15 à 20 kg), pèse 1,5 million d’euros. "Cela comprend la construction, le lancement dans l’espace et les assurances", poursuit-il.
Avec la vente de données, le satellite peut être rentabilisé entre un et deux ans. Sachant que leur durée de vie est estimée entre 3 à 5 années, le business est loin d’être négligeable. "Une fois qu’il est dans l’espace, c’est un bon business, oui, confirme Francesco Bongiovanni. Il ne dépasse pas cinq ans d’existence car, contrairement à de plus gros satellites qui durent quinze ans, ils ne sont pas protégés des radiations du soleil et se font donc ‘‘bombarder’’ constamment. Au bout d’un certain temps, leurs systèmes sont endommagés."
Cette obsolescence programmée s’avère être un atout, en réalité. "Certes, ils ont des vies plus courtes. Mais en attendant que la première génération ne meure, on travaille sur la seconde qui, elle, bénéficiera de nouvelles technologies plus avancées. On parle ici d’agilité. L’embêtant avec les gros satellites coûteux, c’est qu’une fois là-haut pour quinze ans, rien ne peut être fait alors que la technologie évolue."
Une fois qu’OSM-1 Cicero captera ses premières données, la vente de ces dernières à diverses entités permettra d’amorcer la construction d’un second satellite au cœur des locaux de Fontvieille.
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