"On est prêts à sanctionner les coupables", Nathalie Péchalat s’exprime sur les accusations de harcèlements dans le patinage

Membre du jury des Sportel Awards, la "Cléopâtre" du patinage français, désormais présidente de la Fédération des sports de glace, entend redorer un patinage terni par les affaires de harcèlements moral et sexuel, et appelle le gouvernement à aider le monde du sport face à la crise actuelle.

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Thomas Michel Publié le 01/11/2020 à 19:38, mis à jour le 01/11/2020 à 19:41
Nathalie Péchalat aux Sportel Awards organisés au Grimaldi Forum de Monaco Photo Sébastien Botella

Elle manie le verbe avec la même aisance qu’elle domptait la glace. Aiguisé comme les lames de ses patins olympiques, le propos de Nathalie Péchalat l’a portée à la tête de la Fédération des sports de glace (FFSG) le 14 mars alors que le patinage artistique français était traîné dans la boue après des révélations de harcèlements moral, physique et sexuel. Le lendemain, le pays tout entier était confiné et la pratique sportive muselée.

Dans l’ombre, et en équipe, la triple championne d’Europe de danse sur glace a alors fait le ménage en interne, sans stigmatiser les forces en présence. Une mise à niveau éthique et juridique essentielle pour celle qui refuse de personnifier son action et a appris à cloisonner son intimité, notamment face à l’indélicatesse de magazines people gourmands de clichés de la belle et son mari, Jean Dujardin.

Retraitée des patinoires depuis 2014, année de sa finale dans Danse avec les Stars, Nathalie Péchalat continue de prendre une envergure qu’on lui prédisait déjà en coulisses des grandes compétitions. D’autant que la Rouennaise, engagée auprès de l’association Premiers de cordée – qui amène le sport auprès des enfants hospitalisés –, n’est pas du genre à fuir ses responsabilités. Un caractère bien trempé qui sait se nourrir du doute et interpelle aujourd’hui l’État: "On a l’impression d’être les oubliés du gouvernement".

Vous voilà présidente de la FFSG, logique dans votre parcours ?
C’était surtout soudain. Cela a été vraiment lié à la débâcle médiatique qu’on connaît et assez rapidement il a fallu se déterminer. Au bout de quelques jours je me suis rendu compte que j’y pensais beaucoup trop pour renier le fait que ça m’intéressait, dans le sens où c’est en faisant partie d’un système qu’on peut arriver à le faire évoluer. Ce n’était pas l’objectif de ma vie mais je me suis dit qu’il fallait y aller.

Êtes-vous à l’aise avec cette fonction politique ?
Je ne vois pas les choses comme ça et j’espère que ça va rester comme ça [rires]. Ce n’est pas une place pour laquelle je suis prête à donner mes valeurs et ma vie personnelle. Je le fais du mieux que je peux et donne énormément d’énergie mais je ne suis pas prête à tout pour sauver ma place, juste prête à tout pour faire évoluer la Fédération.

On est prêts à sanctionner les coupables lorsque c'est avéré

Tout est bien cloisonné…
Oui et si ça doit s’arrêter demain, ça s’arrêtera. Je ne suis pas dans le tissu politique. Si on est partenaire et qu’on travaille ensemble, comme on le fait avec le ministère des Sports, ça se passe bien. Quand on n’est pas d’accord on se le dit et on avance ensemble, en trouvant d’autres solutions.

Vous avez pris vos fonctions au cœur d’une crise sanitaire et de dénonciations de harcèlements en interne, qu’en est-il ?
C’est l’année magique [rires]. On a tout eu. On a pu mettre énormément d’actions en place sur le volet éthique pour donner des clés à nos dirigeants et encadrants, qu’il est primordial de ne pas stigmatiser. On sait que ça arrive, que ce ne sont pas forcément des cas isolés, mais il faut aussi aider à départager un comportement inapproprié d’un comportement approprié. On est là pour aider et on a mis en place une référente qui reçoit les fiches de signalement. On peut traiter tous ces problèmes de violences physiques, morales ou sexuelles.

Il y a eu une vraie réaction, donc.
Oui ! On est prêts à aider les victimes, écouter les témoins, sanctionner les coupables lorsque c’est avéré, et solidifier le tissu des encadrants dans le but de rendre de la confiance à nos licenciés. Sur le plan juridique, il a aussi fallu modifier les statuts et règlements, dont le Code du sport, qui n’étaient plus conformes aux lois. ça a pris une énorme partie de l’été mais c’est un chantier qui permet d’éviter le zigzag juridique à chaque dossier compliqué.

C'est une situation critique et complexe

Et la crise sanitaire et économique ?
Cela a été la cerise sur le gâteau. C’est une situation critique et complexe parce qu’il n’y a pas que la Fédération qui est en jeu mais tous les clubs sportifs et nos sportifs de haut niveau, qui peinent à se remobiliser alors qu’ils n’ont pas forcément d’échéances fixes. Nos clubs sportifs ont une perte de 25 % de licenciés et certains vont licencier leurs entraîneurs et fermer. Ce n’est plus un modèle viable et, au-delà des associations sportives, ne pas pouvoir faire son sport est un vrai problème de société.

Dont on mesurera les conséquences à long terme…
ça va être catastrophique. On nous prive de certaines libertés, je le comprends et nous sommes tous prêts à l’accepter, mais ne pas pouvoir faire du sport pour s’entretenir physiquement et s’échapper mentalement est dramatique. Et puis le sport aide à lutter contre les violences, la radicalisation, ça crée du lien social, ça gomme les différences, ça apprend le respect de l’autre et le respect du règlement.

Des clubs comme les Brûleurs de Loups (Grenoble) en hockey ont lancé une pétition pour accueillir du public. Qu’en pensez-vous?
Les gens ne peuvent pas faire du sport, ni le regarder. Comment peut-on espérer que le modèle économique et social puisse filer droit même jusqu’à Paris 2024. ça me paraît dingue. Une tribune a été signée par 95 fédérations dans L’Équipe, dont la FFSG, justement pour alerter. On comprend que nous n’étions pas la priorité, qu’il y avait d’autres soucis, mais là on a l’impression d’être les oubliés du gouvernement.

Mon histoire personnelle m'appartient

En tant que maman, quel message adresseriez-vous aux parents de victimes de harcèlements?
On a incité à la libération de la parole, les choses changent et les mentalités vont pouvoir évoluer. Une fédération ne peut pas se substituer à la justice, par contre on peut accompagner, recueillir les signalements et transmettre à la cellule sport du gouvernement qui mène une enquête. Nous ne sommes pas des justiciers mais on creuse l’enquête et on se porte partie civile dans tous les dossiers de violences sexuelles. On a aussi réactivé la commission disciplinaire pour pouvoir sanctionner ceux qui posent des soucis.

La libération de la parole en interne est primordiale. Avez-vous échappé vous-même à une forme de harcèlement?
Mon histoire personnelle m’appartient. Ce qui m’intéresse en tant que présidente, c’est ce qu’on peut faire aujourd’hui et demain pour sauver, rassurer, et assurer la sécurité de nos licenciés.

Vous n’entendez pas personnifier ce combat contre les violences?
Je ne suis pas du tout là pour ça, ce n’est pas ma place. Je ne suis d’ailleurs pas là pour vous raconter mon histoire personnelle.

Le faites-vous dans votre livre "Les Bénéfices du doute", à paraître le 4 novembre?
Non plus [rires]. Je raconte ma carrière depuis 7 ans mais ce n’est pas une autobiographie, plutôt comment j’ai traité le doute à différents moments de ma vie.

On travaille main dans la main avec Monaco

Quand avez-vous compris que le doute pouvait être votre allié?
Assez tard finalement. Je devais avoir bien 20 ans. Quand on est enfant on ne doute pas, on est dans le jeu. En grandissant, moins il y a de jeu, plus il y a d’enjeux et de pressions qui pèsent sur les épaules et font douter. Jusqu’au jour où je me suis rendu compte qu’en humanisant le doute, en l’acceptant, en le nommant, je pouvais le convoquer, le chasser. Avoir une relation d’égal à égal. Ce n’est pas lui qui décidait à quel moment il devait intervenir et comment je devais réagir. Je me suis sentie épaulée par ce petit bonhomme qui est devenu un allié. Si je ne le vois pas pendant quelques semaines, ça m’inquiète, je me dis qu’il y a un souci [rires]. Qu’il faut qu’on se parle.

Vous vous êtes confrontée à d’autres mentalités en Russie et aux États-Unis, des expériences que vous souhaitez mettre au profit de la formation française?
Oui totalement. En Russie j’ai pris confiance en moi, j’ai accepté même les points négatifs parce que le coach soulignait mes points positifs. Je n’ai jamais eu l’impression d’être une moins que rien et de devoir me lever pour aller au turbin. Aux États-Unis, c’est vraiment la culture de l’échec qui mène à la réussite. La première fois que je me suis cassée la figure, mon entraîneur m’a applaudi ! Je me suis dit qu’il se fichait de moi mais en fait il trouvait génial que je sorte de ma zone de confort, pour pouvoir progresser. Ces six années d’expatriation m’ont changé énormément. Je n’ai jamais été isolée, j’ai toujours fait en sorte de reconstruire mon chez moi, même ailleurs.

Monaco a une culture des sports de glace, à commencer par son Prince qui a participé à cinq olympiades en bobsleigh. Est-ce un partenaire d’avenir?
En carrière je me souviens qu’on passait beaucoup de temps avec le team leader de Monaco, on avait l’impression de faire partie de la même maison donc on va continuer et même développer cette relation. Il y a des échanges d’athlètes et de bons procédés et on est en pourparlers dans des disciplines comme le bob. On travaille main dans la main.

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