Le téléphone sonne à 10 heures pile. "Allô, c’est Théo!" Comme promis, Théo Pourchaire nous appelle depuis Bahreïn, la rampe de lancement moyen-orientale de la saison des Grands Prix où il a établi son camp de base durant près d’un mois. Le jeune Grassois, vice-champion de Formule 2 en 2022, vient de remettre le contact de belle manière: troisième au classement combiné des essais préparatoires derrière le Néerlandais Richard Verschoor et son nouveau coéquipier au sein du team ART GP, Victor Martins. Ce jeudi, toujours à Sakhir, il coiffera son autre casquette. Celle de pilote réserviste de l’écurie Alfa Romeo, en piste jusqu’à ce samedi comme ses rivales pour affûter les F1 fraîchement sorties des ateliers une semaine avant l’ouverture des hostilités (GP de Bahreïn, 3-5 mars).
À 19 ans, le pensionnaire azuréen de la Sauber Academy se rapproche de l’objectif suprême. Ira-t-il au bout de son rêve? Côté course mais aussi, et surtout, côté garage, dans l’ombre des titulaires Valtteri Bottas et Guanyu Zhou, les échéances à venir s’annoncent déterminantes pour la suite de sa carrière. Pourchaire le sait. Et il le dit.
Théo, vous voilà prêt à enchaîner une troisième saison estampillée F2. Un nouveau départ qui ne figurait pas dans vos plans il y a quelques mois. Pourquoi la donne a-t-elle changé?
À un moment, on avait tiré un trait sur cette hypothèse, en effet. Tout simplement parce qu’il était impossible de passer la troisième avec le même montage financier qu’en 2021 et 2022. La Formule 2, ça coûte très cher! Finalement, la porte s’est rouverte grâce à Sauber qui a décidé de prendre en charge le budget. Ils veulent que leur pilote de réserve F1 garde le rythme de la compétition. Donc il n’y a pas 36 solutions. La F2 me permet de courir en restant auprès de l’écurie Alfa Romeo lors de 14 des 23 Grands Prix 2023.
Que retenez-vous de la répétition générale accomplie récemment sur la piste de Sakhir? Quelle était votre priorité durant ces trois jours?
Il fallait se remettre dans le bain. Objectif atteint. Je suis content du rythme affiché. Globalement, c’était super en mode qualifications, très rapide, et plutôt correct en cadence course. Attention, le classement ne reflète pas exactement le potentiel des uns et des autres. De notre côté, quelques problèmes mécaniques ont perturbé le tableau de marche mercredi (le 15 février, ndlr), lorsque tout le monde planchait sur les runs qualif’. La hiérarchie des essais d’avant-saison, vous le savez, mieux vaut la prendre avec des pincettes. Mais il y a une certitude: on a bien bossé et on est prêt!
À 19 ans, vous demeurez l’un des plus jeunes pilotes du plateau. Et vous devenez l’un des plus aguerris. L’expérience engrangée lors des deux précédentes saisons constitue-t-elle un paramètre important?
Certainement! C’est un atout précieux, surtout quand on ne change pas d’équipe. Chez ART Grand Prix, je connais bien les gens qui m’entourent. Je connais la voiture, les pneus, le championnat, les procédures... Avantage non négligeable par rapport à un rookie qui doit tout découvrir. Cela dit, j’estime avoir encore devant moi une certaine marge de progression. On peut toujours faire mieux, optimiser des détails, en qualifications et en course. Le départ, le "pit stop", le tour de relance avec des gommes froides...
En tant que vice-champion 2022, vous prenez un risque. La seule façon de prolonger votre montée en puissance, c’est de décrocher le titre...
Oui, bien sûr. C’est une situation nouvelle pour moi. Un challenge intéressant. Le titre, je le visais déjà l’an dernier. Hélas, plusieurs pannes m’ont empêché de toucher au but. Qu’en sera-t-il cette saison? La fiabilité, on ne peut que l’espérer. Personne ne peut pas la garantir. Donc, moi, je vais me concentrer sur mon boulot. Donner le maximum en piste, faire le meilleur job possible. L’ambition, c’est de ne rien avoir à me reprocher à l’heure du bilan. Quant au résultat, advienne que pourra.
Quelques rookies aux dents longues débarquent cette année. Peut-on dire que la concurrence s’annonce encore plus féroce?
Je ne sais pas. En 2022, il y avait plus de pilotes expérimentés. Là, on va affronter pas mal de jeunes qui viennent de la F3. Le niveau sera encore très élevé, sans aucun doute. Plus élevé? Pas forcément. C’est impossible à évaluer après seulement trois jours d’essais. Attendons les premiers week-ends de course.
Parmi ces nouvelles têtes figure votre coéquipier, Victor Martins. Un sérieux rival dans la bataille pour le titre, non?
C’est le champion FIA F3 2022, donc il fait partie des principaux prétendants, naturellement. Victor et moi, on se croise depuis l’époque du karting. Je me souviens du podium du championnat du monde OK-Junior 2016 sur lequel nous sommes montés ensemble, à Bahreïn (Martins 1er, Pourchaire 3e). Il est un peu plus âgé que moi (21 ans). Il a fait trois saisons en Formule Renault, puis deux en Formule 3. Aujourd’hui, on forme nous aussi un tandem 100% français au sein d’une écurie française (comme Esteban Ocon et Pierre Gasly chez Alpine à l’étage supérieur). C’est cool!
Justement, parlons de Formule 1: entrer dans la peau du troisième pilote Alfa Romeo, ça change la vie?
C’est un sacré coup d’accélérateur, oui. Pas le temps de ronger son frein car il y a énormément de travail. Au simulateur et ailleurs. Avant le décollage en direction de Bahreïn, on a enchaîné la présentation de la C43 à Hinwil (le siège de Sauber situé près de Zurich) et la séance de déverminage à Barcelone. Maintenant, place aux essais hivernaux (cette fin de semaine). C’est une opportunité fantastique qui va me faire évoluer, grandir, dans les mois à venir. Je m’implique à fond.
Vous avez déménagé en Suisse. Le choc thermique n’est pas trop rude?
Ah sûr qu’il fait très froid! J’habite tout près de l’usine, à deux minutes. Assez pratique. Mon planning comprend déjà des tas de voyages. Inutile de rajouter des trajets maison-boulot. En contrepartie, je profite beaucoup moins souvent du soleil azuréen. Là, après Bahreïn, on va en Arabie saoudite puis en Australie. Je n’ai aucune idée de la date du prochain "stop and go" à Grasse. Avant le Grand Prix de Monaco, j’espère...
Frédéric Vasseur s’en est allé prendre les commandes de la Scuderia Ferrari. Restez-vous en contact avec lui?
Fred, c’est quelqu’un d’hyper important pour moi. La personne qui m’a fait entrer chez Sauber. Ce poste de troisième pilote, je l’occupe grâce à lui. Aujourd’hui, il reste mon patron chez ART Grand Prix (président fondateur). Si le nouveau chapitre entamé à Maranello va l’accaparer, nul doute qu’il gardera un œil sur moi.
Que pouvez-vous nous dire sur son successeur, Andreas Seidl?
Je l’ai rencontré dès son arrivée à Hinwil, cet hiver. Il a déjà tracé un bout de route avec Sauber, à l’époque où le team était associé à BMW en F1. Ensuite, il s’est forgé une solide expérience. Notamment en gagnant les 24 Heures du Mans dans le camp Porsche, puis à la tête du team McLaren jusqu’à l’an dernier. Bref, il connaît la musique.
À partir de maintenant, si besoin, il peut vous demander de remplacer au pied levé Valtteri Bottas ou Guanyu Zhou sur une grille de départ. Vous vous sentez prêt?
Parer à toute éventualité, tel est le rôle du réserviste. Remplacer l’un des deux titulaires du jour au lendemain, sans préparation, sans anticipation, ça peut arriver n’importe quand. Situation pas simple. Que vous l’appreniez une semaine avant ou au dernier moment, il faut répondre présent. Saisir l’occasion. J’ai déjà passé beaucoup de temps au simulateur. Mon bagage comprend également quelques roulages, dont les essais libres 1 à Austin (Grand Prix des États-Unis 2022). Alors, oui! Le cas échéant, je serai prêt à donner le meilleur de moi-même.
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