Avec 520 Grands Prix à son actif, le journaliste brésilien Jayme Brito raconte trois décennies de F1

Journaliste et producteur brésilien, également résident à Monaco, comptabilise 520 Grands Prix depuis 1992. Il témoigne des changements de la discipline reine et de son pilote fétiche, Ayrton Senna.

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Thibaut Parat Publié le 28/05/2023 à 10:32, mis à jour le 28/05/2023 à 11:24
Jayme Brito, journaliste et producteur brésilien, 520 GP au compteur. Jean-François Ottonello

À 63 ans, Jayme Brito fait partie des vétérans du paddock. Peu de journalistes cumulent autant de Grands Prix de F1 au compteur – en l’occurrence 520 – mis à part des sommités du milieu comme Roger Benoit de Blick ou Michael Schmidt d’Auto Motor und Sport.

Ce jeudi, avant l’entrée en piste des F1, le producteur natif de Rio de Janeiro et résident en Principauté depuis 2000 nous a donné rendez-vous au Media Center, la salle de presse nichée sur le quai Antoine-Ier pour retracer trois décennies de couverture de la discipline reine automobile. Longtemps pour TV Globo, principal réseau de télévision au Brésil. Et depuis deux ans pour Rede Bandeirantes, détenteur des droits TV de la F1 dans son pays natal grâce à sa société monégasque "VPI".

Il ôte ses lunettes teintées et, avec sa voix qui porte et son accent français chantant, rembobine le temps.

Reporter de guerre

L’aventure F1 est d’abord éphémère. En 1983, il couvre trois Grands Prix, ceux de Long Beach, de Detroit et de Montréal. Et déjà un premier souvenir à nous mettre sous la dent. "On avait convaincu Bernie Ecclestone [alors patron de la F1] de mettre un journaliste sur la pitlane équipé d’un micro avec un câble très long. Consigne avait été donnée de ne pas croiser le fil. Nelson Piquet arrive en marchant après avoir cassé sa voiture. Le journaliste part à sa rencontre. En même temps, un autre pilote brésilien arrive en voiture. Le câble, qui avait croisé, s’est pris dans les roues et a touché tout le box de Brabham, les mécaniciens et la femme de Piquet. Au même moment, le journaliste l’interviewait sans câble. Ce fut la première et la dernière fois avec (rires)."

Jayme Brito amorce ensuite un virage journalistique à 360° et couvre guerres et conflits, toujours pour TV Globo : invasion de la Grenade, guerre civile du Salvador, révolution au Nicaragua, guerre du Liban, chute de Ceausescu, guerre du Golfe… Jusqu’en 1991, rattrapé par ses nouvelles responsabilités de père, avec la naissance de sa fille Renata.

"S’il y avait un conflit, je ne pouvais pas rester au bureau.Vis-à-vis de mes collègues, ce n’était pas éthiquement correct." Retour à la F1 avec un contrat d’un an de production avec TV Globo via une société londonienne. La collaboration durera finalement jusqu’en 2021.

Les Grands Prix ratés se comptent sur les doigts d’une main, du fait d’autres engagements télévisuels pour les Coupes du monde de foot en France et en Allemagne. Ce père de deux enfants, divorcé puis remarié, a sacrifié sa vie de famille pour relater les coulisses d’une F1 en perpétuelle évolution.

"J’ai l’habitude de dire qu’on vit dans un avion, un hôtel et un restaurant, sourit Jayme Brito, pas pressé de prendre sa retraite. En 2022, j’ai planifié plus de 50 vols. Chaque Grand Prix, c’est cinq nuits sur place."

"Pas de risque zéro"

Après la mort de Roland Ratzenberger et de son ami Ayrton Senna en 1994 lors du Grand Prix de San Marin, un épisode délicat à couvrir, il est le témoin d’un renforcement draconien de la sécurité.

"Patrick Head, patron de Williams me disait à l’époque ‘‘Une F1 n’est pas sûre’’. Aujourd’hui, on voit des accidents énormes et les pilotes sortent indemnes comme Grosjean à Bahreïn. Mais le risque zéro n’existe toujours pas", insiste-t-il.

Au fil des années, il constate aussi que la proximité avec les pilotes s’étiole. À l’époque, Jayme Brito côtoie Ayrton Senna et les autres pilotes brésiliens – des compatriotes – Jean Alesi, Thierry Boutsen, Jacques Laffite, Gerhard Berger…

"Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux et attachés de presse, tout est contrôlé et bureaucratique. Mais avec le temps, on a la confiance des écuries, on peut contourner cela. Après, tu peux avoir la bombe du siècle et ne pas le sortir, sinon la confiance est brisée."

"Gérer la pression"

Son pronostic pour la course d’aujourd’hui ? "A Monaco, sur ce circuit unique, n’importe qui peut gagner. Il suffit d’un accident, de la pluie, d’une faute dans les stands… D’ailleurs, certains vainqueurs n’ont gagné que celui-ci", analyse-t-il.

Et son avis sur Charles Leclerc que tout un peuple espère voir prophète en son pays? "Un talent exceptionnel, un pilote professionnel, un homme gentil qui traite bien la presse. Je n’ai pas de doute : il est un futur champion du monde. Il peut gagner ce Grand Prix. Il faut gérer la pression. Ayrton me disait : ‘‘Ton esprit doit être concentré à 100 %. Tu ne peux pas laisser la pression abîmer ton talent’’. On lisait toute l’intensité dans ses yeux."

« Senna, le meilleur pilote de tous les temps »

Partageant la même nationalité, Jayme Brito a facilement gagné la confiance d’Ayrton, tant dans la sphère sportive que privée. « Je l’ai connu avant la F1. Il avait dîné chez moi à New York en 1985 et il m’appelait pour réaliser des vidéos privées. À partir de 1992, on est devenus plus proches. Mais il est malheureusement décédé deux ans plus tard… », témoigne-t-il.

Le jour du drame au Grand Prix de Saint-Marin

"On était en direct. Je me souviens que le commentateur de TV Globo, très ami avec AyrtonSenna, arrête de parler. Dans l’oreillette, je lui dis qu’il faut être fort et continuer."

A l’hôpital de Bologne

"Je suis monté avec le manager d’Ayrton et le pilote Gerhard Berger, l’un de ses meilleurs amis. Je me rappelle que le Pr Sid Watkins, le docteur de la F1, est venu nous demander si on voulait lui dire un dernier au revoir, qu’il ne reviendrait pas.Gerhard est revenu livide, en état de choc. Moi, je ne suis pas rentré, je ne voulais pas avoir cette dernière image de lui."

La couverture de ce funeste événement

"On était en direct tout le temps, j’avais monté un mini-plateau à l’hôpital. Quelqu’un de la morgue voulait nous vendre une photo de la dépouille d’Ayrton. L’un des journalistes a vu la photo. J’ai appelé ma direction à Rio et je leur ai dit ‘‘Si on met cette photo à l’antenne, on va se faire lyncher par la population’’.

C’était illégal, irrespectueux et un manque de respect envers l’idole de tout un peuple. Il n’y avait aucun intérêt journalistique. La direction est allée dans mon sens. À 4 h du matin, je suis rentré à l’hôtel et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps."

Son avis sur le pilote

"C’est le meilleur pilote de F1 de tous les temps, sans contestation. Et je ne dis pas ça parce que je suis Brésilien [rires]. Avec les voitures de l’époque, il a gagné six fois le Grand Prix en Principauté devant Graham Hill (5 fois). Ce n’est pas pour rien qu’il a été surnommé le Roi de Monaco."

Senna et Monaco

"Il avait une telle concentration, un tel talent, une intensité hors norme. Il regardait le circuit de Monaco d’une autre façon que les autres. Il était sur une autre planète. Tout passait au millimètre. En 1988, il tape au Portier à l’entrée du tunnel pour une bêtise. Il est sorti de la voiture et est rentré à son domicile [rires]."

Ayrton Senna a remporté à six reprises le Grand Prix de Monaco. DR.

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