Arrivé en mars comme directeur sportif, Tor-Kristian Karlsen a été promu directeur général exécutif de l'AS Monaco.
Portrait du Norvégien installé à la tête de l’ambitieux projet monégasque
"C'est qui, encore, lui ?" Au bout du fil, un agent un peu déboussolé s'interroge.
En ce mois de mars, Evgeny Smolentsev, arrivé trois mois plus tôt, a été remercié par l'AS Monaco, qui a nommé Tor Kristian Karlsen au poste de directeur sportif.
Un Norvégien inconnu ou presque en France, initialement recruté par Smolentsev, pour un énième changement dans le club princier.
Il n'aura pourtant fallu que quelques mois à ''TKK'' pour prendre discrètement, mais sûrement, ses marques dans le paysage. « Il n'est pas du sérail, mais il a su se faire apprécier du ''boss'' qui lui a rapidement fait prendre du galon »,observe Bruno Satin, agent de joueurs.
En septembre, une nouvelle réorganisation interne le promeut directeur général exécutif, responsable du « fonctionnement général du club, des activités sportives, administratives et commerciales ». « Il rendra compte directement à Dmitry Rybolovlev », précise le communiqué.
Un sacré bout de chemin parcouru par cet homme de 37 ans entré par la petite porte du ''scouting'' dans les années 90.
C'est l'histoire d'un jeune Norvégien captivé par le foot européen, déterminé à tout entreprendre pour y faire carrière dans le management.
Il a 21 ans lorsqu'il pose ses valises à Londres ; en profite pour suivre des cours d'infocom mais se tourne vite vers les affaires du ballon rond, exclusivement. Il sillonne les stades, voyage beaucoup et se fait remarquer pour ses onnaissances.
« Il était déjà très bien informé,se souvient le directeur général des Young Boys de Berne Ilja Kaenzig, alors dans le club des Grasshopper Zurich. C'était au milieu des années 90, nous cherchions des joueurs dans des niches, en Géorgie ou aux Iles Féroé par exemple. À l'époque, il n'y avait pas internet, peu d'agents. C'était très intéressant de rencontrer des gens comme Tor qui avaient des connaissances. »
Karlsen se met au service des Grasshopper Zurich (1996-98) puis collabore avec Watford sous les ordres du charismatique Graham Taylor (98-00). Il rejoint Kaenzig au Bayer Leverkusen (2000-04), et le suit à Hanovre (2004-06).
«À Hanovre, nous ciblions plutôt le marché scandinave, mais à Leverkusen, nous avions fait venir beaucoup de joueurs d'Amérique du Sud »,précise le dirigeant suisse.
C'est au Bayer, incarné par l'omnipotent Reiner Calmund et finaliste de la Ligue des Champions (2002), qu'il prend une autre dimension. Il s'illustre en recrutant Berbatov, mais aussi Lucio, Diego Placente ou Juan, témoignage d'un penchant certain pour les joueurs d'Amérique Latine, dont ce fan d'Agüero apprécie la sensibilité technique, l'intelligence de jeu et le caractère.
Fin 2008, il devient directeur sportif du club norvégien Fredrikstad, mais démissionne quelques mois plus tard après un désaccord avec les administrateurs sur le choix de l'entraîneur.
En fin de saison, le club descend en division inférieure, mais lui a déjà rejoint la cellule de recrutement du Zenit Saint-Pétersbourg, où il reste jusqu'à son arrivée à Monaco.
Comment en est-il arrivé là ? « Grâce au mélange d'un gigantesque intérêt pour le foot quand j'étais jeune, des capacités d'analyse, une bonne maîtrise des langues, les expériences et le réseau que j'ai pu bâtir - et j'aimerais penser aussi, grâce au travail que j'ai fourni au fil du temps », répond-il dans une interview accordée au site footballitaliano.
Karlsen parle anglais, italien, allemand ou espagnol comme les langues scandinaves, comprend le russe et le français. Il apprécie le vin italien, peut citer de mémoire la compo de l'ASM ou du grand PSG des années 90 et avait un petit faible, plus jeune, pour Manchester City.
Assez tôt, il se fait un nom dans les arcanes du foot continental, mais ce ''serial twitter'' repenti se fait aussi connaître dans les médias. En qualité d'expert, il collabore avec la télé norvégienne TV2 et plusieurs supports britanniques (BBC Radio, The indépendant, The Times, FourFourTwo).
« Ce qui est incroyable, c'est tout ce qu'il a déjà fait alors qu'il n'a pas quarante ans,explique Gabriele Marcotti, journaliste sportif italien basé à Londres, qui a rencontré Karlsen il y a plusieurs années. Il a occupé des postes à responsabilité dans plusieurs pays et des clubs d'envergure en commençant comme simple scout. C'est une preuve de sa faculté à s'adapter. Il sait gagner la confiance des gens avec qui il travaille, mais c'est aussi un gros bosseur. Il ne vient pas de ce monde-là. Le football est un milieu cloisonné dont les principaux acteurs, entraîneurs, managers ou dirigeants se connaissent bien ou se côtoient depuis des années. Lui est arrivé à passer outre, en créant ses propres méthodes de travail. »
« C'est un Scandinave ; sa mentalité, c'est plutôt : d'abord je prouve, ensuite je peux parler, précise Bruno Satin. Il ne se laisse pas impressionner.Ça fait un bout de temps qu'il est dans le milieu, il a pu faire des connexions. Ce n'est pas quelqu'un qui cherche la lumière ou la gloire, il est plutôt discret mais efficace. »
« Quand on le regarde, il est grand, fin et peut paraître rigide, décrit Marcotti. Ce n'est pas quelqu'un d'extraverti mais il sait mettre les gens à l'aise, créer des liens, presque à la façon d'un homme politique. »
Sur le Rocher, il impose sa rigueur et apprend à composer avec les spécificités locales. Sa première grande décision aura été de remercier Simone puis de convaincre Ranieri de s'installer sur le banc de l'ASM.
Les deux hommes, qui se retrouvent régulièrement autour d'une pièce de viande au Beef Bar à Fontvieille, travaillent en étroite collaboration, avec l'idée que chacun doit rester dans son rôle: le patron de l'équipe, c'est Ranieri ; Karlsen s'occupe du reste.
Son recrutement estival a été marqué par l'arrivée, au prix -11M€- d'âpres négociations, de Lucas Ocampos, un des meilleurs Sud-américains - on y revient - de sa génération.
Il a aussi attiré une valeur sûre, le milieu de terrain Ndinga, et deux internationaux méconnus en France, Poulsen et Bajrami, qui peinent jusque-là à se démarquer.
Karlsen a les moyens des hautes ambitions de Dmitry Rybolovlev. C'est une chance et une gigantesque opportunité, mais aussi une énorme responsabilité.
Un nouveau job, aussi. « C'est un nouveau challenge,souligne Marcotti, correspondant du Times, ESPN ou du Corriere dello sport. Avant, une bonne partie de son travail consistait à choisir les gens avec qui il voulait travailler. Maintenant, des gens travaillent pour lui et il doit vivre avec eux, les motiver et les rendre heureux pour qu'ils œuvrent dans l'intérêt collectif. »
En vingt ans passés dans le milieu, ''TKK'' a pris le temps de bâtir une riche expérience, et présente la qualité d'avoir été un témoin direct de la globalisation du football. « Notre avantage est d'avoir été dans le milieu jeune, d'avoir vécu au cœur du système les années 90 et 2000, une période très dense. Il connaît le business,assure Kaenzig, dirigeant lui-aussi précoce (39 ans), resté proche de Karlsen.
Après, il faut être au bon endroit, au bon moment. C'est ce qui se passe pour lui à Monaco. Son poste requiert beaucoup d'énergie. La clé pour lui sera de construire une relation de confiance avec le président. Il devra aussi grandir avec son poste.»
« Ce ne sera sûrement pas facile,continue Satin. Vu les moyens et les ambitions du président, il sait qu'il peut rapidement passer à la casserole s'il y a trop de vagues. Dans le milieu, on peut vite se retrouver en haut, et inversement. Bon, Tor, il garde les pieds sur terre. »
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