"On ne peut plus soulager ma douleur, je dois perdre connaissance": le témoignage poignant d'une Varoise atteinte d'endométriose
Louise, Varoise de 35 ans, a subi 24 ans d'errance médicale avant d'avoir un diagnostic officiel d'endométriose. À l'occasion de la journée mondiale, ce mardi 7 mars, elle nous raconte son parcours du combattant contre une maladie invisible mais dévastatrice.
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Lauriane SandriniPublié le 07/03/2023 à 17:30, mis à jour le 07/03/2023 à 17:29
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À 35 ans, Louise a enfin été opérée une première fois en janvier 2023.Photo DR
Non, ce n'est pas normal d'avoir mal pendant ses règles. Pas au point d'être pliée en deux, d'être paralysée par les douleurs, de survivre plutôt que vivre une à deux semaines par mois.
L'endométriose est une maladie chronique inflammatoire, qui impacte au moins une femme sur dix en France.
Du tissu semblable à de la muqueuse utérine, l'endomètre, est présent en dehors de l'utérus et peut prendre l'aspect de lésions, adhérences, kystes ou nodules.
Plusieurs organes peuvent être touchés, comme la vessie, les trompes de Fallope, les ovaires, le rectum, les intestins, le diaphragme et, dans des cas rares, les poumons et le cerveau.
Louise est atteinte d'endométriose. Le diagnostic a été posé officiellement il y a un mois, après 24 ans d'errance médicale.
"L'effort insensé pour continuer à vivre comme si de rien n'était"
Son parcours du combattant commence dès ses premières règles, à 11 ans. "J'ai tout de suite compris que ce n'était pas normal, que tout le monde ne pouvait pas avoir aussi mal, se souvient la Varoise de 35 ans. J'ai tenté de le dire mais à cette époque, les règles n'étaient pas un sujet très libéré en société."
Chaque mois, Louise éprouve une douleur lancinante dans le bas ventre, son utérus se contracte comme lors d'un accouchement. Son système digestif est "en vrac", alternant constipations et diarrhées. Elle souffre de nausées, de vertiges, d'insomnies.
En dehors des périodes de règles, les douleurs se réveillent par vagues inflammatoires, lors de la pénétration en fonction des positions et des cycles. Et l'épuisement, total.
"Comme on n'en parle pas, il y a aussi l'effort insensé pour continuer à vivre comme si de rien n'était. J'avais réussi à caler ma pilule pour que les deux premiers jours de règles tombent sur des week-ends mais ça ne faisait jamais que deux jours, il fallait travailler les autres. Et puis, il y a toutes ces soirées, ces vacances, ces moments de joie bousillés à se tenir le ventre avec le plat de la main, comme si ça changeait quelque chose..."
Des dizaines de gynécologues, d'examens, de médicaments...
À 15 ans, sa médecin de famille est la première à poser une suspicion d'endométriose. Elle l'a met sous pilule et l'a renvoie vers un gynécologue. "J'ai été parfaitement prise en charge l'espace de quelques minutes. Après, il y a eu 20 ans de tunnel."
La Varoise consulte des dizaines de gynécologues à travers la France, teste des dizaines de pilule pendant 15 ans avec son lot d'effets secondaires. "J'ai eu des règles en continu pendant des mois, j'ai été en ménopause artificielle donc bouffées de chaleur, sécheresse vaginale, prise de poids, vagues de dépression..."
Elle prend des "tonnes de médicaments", teste les médecines alternatives comme l'acupuncture, l'homéopathie, l'ostéopathie, la phytothérapie, le régime anti-inflammatoire…
Louise enchaîne les échographies et les IRM, qui ne montrent rien d'anormal. L'endométriose est très difficile à voir en imagerie, la marge d'erreur est de 30 à 40% sur les examens classiques. "On m'a répété que je n'avais rien." Et pendant ce temps, ses symptômes empirent.
"Je ne voulais plus qu'on me touche, qu'on me fasse mal"
"Il y a eu des mois, voire des années, où j'ai baissé les bras, je me suis recroquevillée sur ma douleur. Je ne voulais plus qu'on me touche, je ne voulais plus qu'on me fasse mal, je ne voulais plus qu'on me déçoive. Je n'avais plus la force. Et puis, toujours, à un moment donné, la vie est plus forte donc on retourne se battre."
La dernière spécialiste qu'elle consulte lui affirme "de façon catégorique" qu'elle n'a pas d'endométriose mais "seulement des règles douloureuses".
Elle lui concocte un "protocole anti-douleurs" très lourd, à base de morphine, anti-inflammatoires costauds et, surtout, de décharges électriques. "Tous les mois, je dispose quatre électrodes sur mon bas-ventre et mon bassin. Ils m'envoient des décharges électriques en continu pendant huit heures, ce qui permet de masquer la douleur de la contraction de l'utérus."
"Comme on ne peut plus soulager ma douleur, sauf à m'hospitaliser, il faut me faire perdre connaissance. Pendant 3 jours, je suis dans un état où dès que je regagne conscience, la douleur est intolérable. Mais qui vit comme ça?"
Première opération en janvier
Après six mois de ce protocole, jugé satisfaisant par sa gynécologue, Louise "pète les plombs" et repart à la recherche d'un diagnostic.
La première opération, une coelioscopie exploratrice, a permis de découvrir l'étendue des dégâts et d'enlever plusieurs lésions. Une deuxième opération est prévue après l'été pour retirer une nodule au rectum.
Les cicatrices de la coelioscopie sont "très petites".Photo DR.
"Il va me falloir du temps encore pour digérer, pour accepter, pour m'approprier vraiment mon endométriose officielle. Et pour faire la paix parce que j’ai tellement la haine... Tous ces moments de vie que j’ai perdus, toute cette souffrance qui aurait pu être évitée, toute cette part de moi, qui s’est construite dans la douleur et la solitude, et qui aurait dû être prise en charge. Parce que moi, je le savais que ce n'était pas normal. Je le sais depuis que j'ai 11 ans."
L'importance d'en parler
L'endométriose est une maladie dont on ne guérit pas. Il faut vivre avec les risques de récidives et espérer que les traitements, dont les opérations chirurgicales, puissent améliorer les conditions de vie.
"Le plus dur, avec une maladie chronique invisible, c'est qu'on vit ça seul. Même quand on a des proches qui nous soutiennent, et Dieu sait combien c’est essentiel, on vit la douleur, la rage, la résilience, tout seul. Et l'endométriose, en étant liée au tabou des règles, c'est la double peine. C'est comme un gouffre qui nous avale, physiquement et psychologiquement, parce que c'est compliqué de ne pas céder au désespoir."
Pour lutter contre l'errance diagnostique et améliorer la prise en charge des personnes concernées, une stratégie nationale de lutte contre l'endométriose a été dévoilée en février 2022. Elle consiste à renforcer la recherche, améliorer l'offre de soins et augmenter la formation des professionnels ainsi que l'information auprès du grand public.
"Je ne suis pas médecin, ma seule option pour faire avancer les choses en tant que patiente, c'est de parler. Il faut parler, insiste Louise. Il faut poser des questions aux jeunes filles et aux femmes. Demander si ça fait mal pendant les règles et comment, si ça fait mal à la pénétration, si ça fait mal à la défécation… On s'en fiche de la gêne et de la pudeur quand la vie de quelqu'un est en jeu. Et il faut avoir le courage et l'énergie de taper à toutes les portes jusqu'à trouver les bons professionnels de santé, compétents et bienveillants, qui changent une vie."
Congé menstruel en Espagne, une première en Europe
En Espagne, les députés ont voté définitivement en février une loi créant un congé menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses.
"Il s'agit d'accorder à cette situation pathologique une régulation adaptée afin d'éliminer tout biais négatif" pour les femmes "dans le monde du travail", est-il inscrit dans le texte de loi. L'arrêt maladie, dont aucune durée n'est précisée, devra être accordé par un médecin et sera financé par la Sécurité sociale.
L'Espagne est le premier pays en Europe à adopter un congé menstruel. D'autres pays dans le monde l'ont déjà instauré, comme la Corée du Sud, l'Indonésie, le Japon, Taïwan et la Zambie.
En France, au lendemain du vote en Espagne, les députés écologiques ont indiqué vouloir lancer une "concertation" sur le congé menstruel avec les organisations féministes et syndicales.
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