Les Français sont de plus en plus nombreux à se former aux gestes de "premiers secours" en santé mentale, une démarche de prévention pour mieux appréhender les troubles mentaux et encourager à consulter, dans un contexte post-Covid toujours marqué par l'anxiété et la dépression.
Face à "l'attaque de panique" d'une collègue, Aurélie Gaucher, chargée d'étude dans l'agro-industrie, a ainsi su "identifier le trouble" et "appliquer le protocole" pour porter assistance, appris quelques mois plus tôt lors d'une formation de secourisme en santé mentale.
Isoler la personne, la faire respirer, puis l'orienter vers un professionnel: les gestes sont assez basiques: "spontanément, c'est sûrement ce que j'aurais fait aussi, mais la formation m'a fait gagner en confiance et en réactivité", explique à l'AFP cette femme âgée de 41 ans.
Valentin, 21 ans, lui-même sujet à des troubles mentaux, juge "très utile" la formation qu'il a suivie dans son université à Caen, même si elle restait "un peu en surface". "Je suis plus observateur, j'essaie de capter les signes de détresse potentielle, surtout avec les inconnus", explique cet étudiant.
La santé mentale des Français, notamment celle des jeunes, est toujours dégradée en 2023, une tendance constante depuis septembre 2020, dans le sillage de la pandémie de Covid, a relevé Santé publique France en octobre.
Selon une enquête menée par l'organisme en décembre 2022, un tiers des Français interrogés présentaient un état anxieux ou dépressif et une personne sur dix déclarait avoir eu des pensées suicidaires dans l’année.
"Faire rentrer la santé mentale dans les chaumières": c'est ce qui a plu à Olivier Echasserieau, 58 ans, formateur PSSM (premiers secours en santé mentale) depuis deux ans, pour contribuer à "lutter contre les préjugés" sur la bipolarité, la schizophrénie mais aussi les troubles anxieux ou dépressifs, les deux plus répandus.
Plus de 86.000 personnes ont suivi la formation payante de l'association PSSM France lancée en 2019 pour les particuliers, transposition d'un programme australien d'une durée de 14 heures, un nombre de participants supérieur à l'objectif de 60.000 secouristes formés d'ici fin 2023 fixé par le Gouvernement, selon l'association PSSM, contactée par l'AFP.
"Un super outil" et "un bon point de départ"
Accessible à tous, cette formation premiers secours attire cependant en premier lieu des personnes qui ont déjà eu une expérience ou une acuité pour ces questions.
Olivier Echasserieau indique former une majorité de femmes - "bien que la santé mentale n'est pas genrée" - et "peut toucher tout le monde".
Ces dernières années, le gouvernement a "beaucoup poussé le développement" de ces formations, retrace Frank Bellivier, responsable du service psychiatrie et de médecine addictologique du groupe hospitalier Saint-Louis -Lariboisière - Fernand-Widal à Paris, et depuis 2019 délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie.
Ces formations premiers secours sont, selon lui, l'un "des dispositifs de première ligne qui facilitent l'accès aux soins", car un volet porte sur l'orientation des victimes de troubles mentaux vers les professionnels compétents, sans s'y substituer.
"Les formations sont un bon point de départ, un super outil" pour normaliser les troubles mentaux et le recours aux soins, abonde Tonya Tartour, sociologue spécialisée en psychiatrie et santé mentale.
Mais elle reste réservée sur la portée de ce dispositif car, rappelle-t-elle, "derrière, le système (de prise en charge) ne suit plus".
Les syndicats dénoncent régulièrement le manque de soignants et des moyens inadéquats pour ces pathologies, qui entraînent une prise en charge des malades irrégulière.
Entre 1997 et 2021, le nombre de lits d'hospitalisation en psychiatrie a diminué d'environ un cinquième, de presque 100.000 à un peu plus de 80.000.
"Les besoins ont beaucoup augmenté et, en face, l'offre de santé mentale et psychiatrie a plutôt stagné: l'inadéquation entre besoins et offre, notamment depuis la crise Covid, s'est considérablement creusée", reconnaît Frank Bellivier, conscient d'une nécessaire "remise à niveau".
En contribuant à faire évoluer un peu les mentalités, les formations pourraient "redonner ses lettres de noblesse à la psychiatrie" et attirer davantage de médecins et "plus de fonds", espère Tonya Tartour.
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