Des sensations de coups de poignard ou de chocs électriques... Une nouvelle technique contre les douleurs neuropathiques en piégeant le cerveau
Des stimulations électriques contre ces douleurs chroniques : efficace, mais encore peu pratiquée pour lutter contre contre les douleurs neuropathiques, cette technique devrait voir ses indications croître. Explications et témoignage.
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Nancy CattanPublié le 22/09/2019 à 11:00, mis à jour le 22/09/2019 à 13:27
Pratiquée dans de rares centres en France (dont Nice et Marseille), la neurostimulation est prise en charge par l’Assurance-maladie, dès lors que les indications sont bien posées. Charles Gloeckler
Ils ont été opérés pour une hernie discale, ils présentent une lésion de la moelle épinière à la suite d’un traumatisme, ils sont atteints d’une maladie comme le diabète, ils ont été traités par radio ou chimiothérapie… Entre 1,5 et 3 millions de Français souffrent de douleurs dites neuropathiques, qui comme leur nom l’indique, sont liés à des « blessures » au niveau des nerfs.
« Ces douleurs, de type de brûlure avec parfois des sensations de coups de poignard ou de chocs électriques, sont souvent réfractaires aux antalgiques classiques. Les seuls médicaments relativement efficaces, comme les gabapentinoïdes (Neurontin, Lyrica…) ou certains antidépresseurs, ont des effets secondaires importants : baisse de concentration, d’activité, ralentissement, prise de poids… », résume le Dr Patrick Fransen, neurochirurgien à l’IM2S à Monaco.
Ce spécialiste de la douleur voit depuis des années arriver en consultation des patients désespérés après des années de cohabitation, avec des douleurs qui transforment en véritable épreuve chaque acte de leur quotidien. Et qui ont tout essayé.
Dépendance et surdosage
« On a vu progresser de façon spectaculaire les prescriptions d’opioïdes forts (morphine, mais surtout oxycodone), aujourd’hui à l’origine d’un immense scandale sanitaire aux Etats-Unis. Sous l’influence des laboratoires, ces traitements réservés jusque-là aux douleurs cancéreuses et pour des durées courtes, ont commencé à être prescrits à long terme à des patients atteints de douleurs chroniques, neuropathiques en particulier. » Dépendance, surdosage…
Quelque 70 000 décès associés à la prise de ces opioïdes ont été enregistrés aux USA au cours de la seule année 2017. Quelles solutions pour ces personnes en proie à des douleurs neuropathiques quasi insupportables ? Encore peu répandue, et assez méconnue du grand public, la neurostimulation est un recours possible. « Il ne s’agit pas d’un traitement miraculeux, tempère le Dr Fransen. Mais, lorsqu’il est proposé à des patients bien sélectionnés, il permet de soulager sensiblement les douleurs. »
Brouiller le message douloureux
Ce n’est pas via une action directe sur le nerf lésé, mais en « mimant » un processus naturel de lutte contre la douleur que cette technique agit.
« Lorsque l’on se heurte à quelque chose, que l’on se fait mal, on a tendance spontanément à frotter la zone, illustre le Dr Fransen. Cette action permet en réalité de noyer l’information douloureuse dans l’information sensitive, plus puissante, et qui emprunte une voie différente au niveau anatomique. C’est ainsi que l’on diminue la transmission de la douleur vers le cerveau. La technique de neurostimulation est basée sur le même principe : on envoie une impulsion électrique au niveau des cordons postérieurs de la moelle épinière, là où se trouvent les voies sensitives. On bloque ainsi la transmission de la douleur neuropathique au cerveau. »
"50 % de douleurs en moins"
Lorsque l’indication de neurostimulation est bien posée, l’intervention peut donner des résultats assez spectaculaires : « 80 à 90 % des patients constatent une amélioration sensible de leurs symptômes, avec 50 % de douleurs en moins ».
Mais tous les malades ne sont, malheureusement, pas éligibles. La sélection est même drastique. Le chirurgien nous en explique les raisons : « Beaucoup de personnes atteintes de douleurs neuropathiques se livrent à une véritable errance médicale. Ils prennent de multiples avis et arrivent généralement à la chirurgie, totalement épuisés, en ayant perdu confiance dans la médecine. Et surtout, ils sont souvent addicts à leurs médicaments. Ces conditions sont assez peu favorables au succès de la technique. »
Pour que plus de patients puissent en bénéficier, il faudrait, selon le Dr Fransen, revoir les indications. « Aujourd’hui, ce traitement coûteux - environ 10 000 euros pris en charge depuis 2009 - n’est proposé qu’avec parcimonie, en dernière ligne. On devrait pouvoir traiter des patients plus tôt dans leur parcours, sachant que la neurostimulation est nettement plus efficace que les morphiniques, par exemple, contre les douleurs neuropathiques chroniques. » Heureusement, les choses seraient en passe d’évoluer, « le rapport coût efficacité jouant en faveur de la neurostimulation ». Un message d’espoir à destination de ces milliers de Français qui souffrent dans l’ombre.
Des électrodes de petite taille sont introduites, via une petite incision, et sous anesthésie générale, dans le canal rachidien, au niveau postérieur de la moelle épinière, entre la 9e et la 11e vertèbre lombaire. « C’est à cet endroit que l’on obtient les meilleurs résultats antalgiques », commente le Dr Fransen. Ces électrodes sont reliées à un petit câble qui passe sous la peau et sort pour être connecté à un générateur.
Pendant une semaine, le patient va vivre avec ce dispositif, et c’est seulement lorsqu’il l’a validé - il doit faire état d’au moins 50 % d’amélioration de la douleur - que l’implantation devient définitive. L’électrode est alors connectée à un petit boîtier générateur de type pacemaker, placé sous la peau. Le patient dispose d’une télécommande qui lui permet de régler le générateur. Un mois après la pose du dispositif, celui-ci est testé pour optimiser les conditions de stimulation les plus efficaces sur la douleur. « La gestion du dispositif de neurostimulation est assez complexe, reconnaît le spécialiste. On a besoin du feedback du patient pour optimaliser l’efficacité de la stimulation. »
"J’avais tout essayé"
Des réunions de famille qui s’espacent, des sorties de plus en plus rares, une vie assujettie à des douleurs qui ne laissent plus de répit… Catherine a 47 ans lorsqu’elle commence à être en proie à des douleurs dorsales sévères. Très active, cette commerçante cannoise consulte aussitôt son médecin ; à l’issue de nombreux examens, la décision de l’opérer est prise. « J’ai subi deux interventions de hernie discale en deux mois ; une troisième m’a été proposée peu de temps après, mais j’ai refusé. » Ses douleurs sont toujours présentes, elle tente de les juguler en absorbant quantité de médicaments. « Mais, en 2011, je me suis retrouvée dans l’incapacité même de bouger. Le centre antidouleur où j’étais suivie m’a dit qu’il n’y avait plus rien à faire, que le recours à un fauteuil roulant devait être envisagé. »
Catherine ne baisse pas les bras ; accompagnée de son mari - qui n’a cessé de l’accompagner pendant ces longues années de lutte contre la douleur -, elle se rend à Marseille pour bénéficier d’une nouvelle intervention. « Le chirurgien a réalisé deux arthrodèses [opérations consistant à fusionner des vertèbres douloureuses afin d’éliminer les mouvements entre elles, Ndlr]. Mes douleurs dorsales se sont atténuées. Mais j’avais toujours très mal à une jambe. On m’a expliqué que le nerf, pincé pendant très longtemps, étant définitivement lésé, qu’il n’y avait pas d’issue. »
"je me disais : n’est ce pas mieux de garder la morphine ?"
Les douleurs persistantes vont avoir raison de sa raison. Catherine nous confie qu’elle va alors tout essayer, jusqu’à consulter des sorciers. « On est facilement la proie de charlatans qui vous promettent la guérison à coups de breuvages et autres. J’ai parcouru la France entière et bien au-delà, à la recherche de solutions. »
Et puis, un jour, elle se rend à l’IM2S pour des infiltrations sous anesthésie. Puis une série de six séances de mésothérapie. Là encore, c’est un échec. Les douleurs ne faiblissent pas. « Sous morphine depuis 4 ans - je suis devenue totalement dépendante, avec tous les effets secondaires que l’on connaît - épuisée, je me suis laissée convaincre par des médecins de l’IM2S de rencontrer le Dr Fransen. Il m’a expliqué l’intervention, puis m’a invitée à réfléchir. Ce que j’ai fait pendant quelques mois : ce n’est pas l’intervention qui m’effrayait - j’en avais déjà subi plus d’une dizaine au total -, mais plutôt le fait d’avoir un corps étranger dans mon corps. Et puis, je me disais aussi : n’est ce pas mieux de garder la morphine ? »
Au fond d’elle-même, Catherine sait pourtant qu’elle est devenue un véritable zombie. « J’oubliais de plus en plus de choses, j’avais du mal à m’exprimer, mon regard était vide… » Alors, elle va se décider, « tout à fait consciente et informée que l’intervention ne supprimera pas 100 % de [ces] douleurs ».
Avant d’être déclarée apte à être opérée, elle consultera plusieurs spécialistes : psychiatre, médecin de la douleur… chargés d’évaluer son aptitude à supporter le dispositif qui va lui être implanté. Ils donneront leur accord. Le 15 juillet 2019, au matin, Catherine se rend à l’IM2S. Elle sera opérée le jour même, en ambulatoire. « Ce jour-là a eu lieu la pose interne du stimulateur, avec une batterie externe. Très rapidement, j’ai ressenti une amélioration de mes symptômes. Ça faisait tellement longtemps que je ne m’étais pas sentie ainsi soulagée ! Une semaine plus tard, je suis retournée à l’IM2S, pour l’implantation définitive de la pile, toujours en ambulatoire. » Cela fait seulement deux mois que Catherine a été implantée. Et c’est la voix chargée d’émotion qu’elle nous confie : « J’ai baissé mes patches de morphine et pratiquement arrêté les médicaments. » Sa télécommande ? Elle la manipule déjà avec une vraie habileté. « J’ai la télécommande de la télévision dans une main, celle de mon générateur dans l’autre. Généralement, je ne me trompe pas », sourit-elle. Un sourire que la douleur chronique avait chassé de son visage.
Pendant ses longues années de cohabitation avec la douleur, Catherine a toujours pu compter sur le soutien de son mari, Dominique. Il pose aujourd’hui un regard heureux sur ce beau sourire qui avait déserté le visage de son épouse. (DR)
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