Des capacités supérieures à la moyenne, hypersensibles, en proie aux difficultés... Comprendre les enfants hauts potentiels

Ceux qu’on surnomme les “zèbres” ont des capacités supérieures à la moyenne. Seulement, ils ne se résument pas à un QI. Ils sont hypersensibles et font face à des difficultés.

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Axelle Truquet Publié le 01/12/2019 à 15:00, mis à jour le 01/12/2019 à 14:00
Les hauts potentiels représentent 2 % de la population. Beaucoup de ces enfants peinent pendant leur scolarité car l’école ne prend pas en compte leurs spécificités. Photo Unsplash

Le zèbre est l’un des seuls équidés que l’homme n’a jamais su domestiquer. Et ses rayures, qui le différencient tant des chevaux, lui permettent paradoxalement de se cacher dans la savane. Différent et insaisissable.

C’est de là qu’est venu le surnom de “zèbre” donné à un individu présentant un haut potentiel (qu’on appelait auparavant précoce ou surdoué), imaginé par la psychologue Jeanne Siaud-Facchin, spécialiste du sujet.

Un « HP » (haut potentiel, donc) ne se caractérise pas tant par son intelligence supérieure à la moyenne que par sa manière de penser.

C’est un esprit bouillonnant, sans cesse en questionnement, qui a un besoin irrépressible de tout comprendre dans les moindres détails. Inutile de lui demander d’appliquer un théorème mathématique sans lui expliquer précisément d’où il découle. Il abhorre l’approximation. Et lorsqu’il réfléchit, son cerveau furète dans toutes les directions.

Une pensée en arborescence

"Le haut potentiel a une pensée en arborescence et divergente, alors qu’il évolue dans un monde où la pensée est majoritairement convergente, c’est-à-dire orientée dans un seul sens. À l’école, on apprend aux enfants à réfléchir d’une certaine manière ; lui, va explorer une multitude de pistes. Il va trouver la réponse à un problème en s’affranchissant de la méthodologie préconisée par l’enseignant. De quoi déstabiliser les professeurs et l’entourage", résume Cyril Rous, psychothérapeute qui intervient régulièrement au cours Cyrano, un établissement d’enseignement secondaire hors contrat à Nice.

A noter qu'il intervenait à l’occasion du colloque dédié au haut potentiel qui s’est tenu le 9 novembre dernier à l’initiative de La Maison du haut potentiel, association liée au cours Cyrano (www.cours-cyrano.fr).

Là-bas, les élèves apprennent à leur rythme. Plutôt que de suivre le programme officiel à la lettre, ils abordent les choses sous un prisme beaucoup plus large.

"Par exemple, en cours de mathématiques, on ne va pas se contenter de travailler un point précis, mais on va appréhender la leçon de manière globale, en piochant les éléments du programme de 4e, de 3e, de 2nde… voire de fac qui s’y rapportent", explique Stéphan Bousquet, cofondateur avec son épouse Mariette de cette structure. Lui-même est très haut potentiel. Repéré jeune, il n’en a pas moins vécu nombre de déconvenues. "Je ne me plaisais pas du tout à l’école", assène-t-il. Un discours que tiennent un grand nombre de "zèbres".

Car un "HP" fonctionne différemment tant sur le plan intellectuel qu’émotionnel.

"Le système scolaire n’est pas fait pour eux, car il ne prend pas en compte leur hypersensibilité", souffle Mariette Bousquet.

En effet, un haut potentiel déborde d’émotions. La moindre remarque, même énoncée à bon escient, peut déclencher des réactions semblant disproportionnées.

L’affect est tellement prépondérant que l’enfant a besoin d’avoir confiance en ses professeurs pour étudier. S’il n’accroche pas avec un enseignant, il peut carrément abandonner la matière et donc avoir des résultats catastrophiques, sans avoir conscience du préjudice que cela lui porte.

"L’argument “Tu ne travailles pas pour ton prof’, mais pour toi” n’est pas valable pour lui", résume le psychologue.

Globalement, ses relations avec les autres sont complexes. Ce qui explique pourquoi beaucoup de "HP" souffrent de phobie scolaire.

"Ce fonctionnement cognitif est compliqué pour les enseignants. Ils ne sont pas formés, pourtant ils aimeraient avoir des clés pour le comprendre et être en mesure de les aider à progresser", souligne Stéphan Bousquet.

Laisser une grande marge de manœuvre

"Lorsque les élèves intègrent l’établissement, nous sommes en premier lieu dans une démarche de réparation, confie Mariette Bousquet. Qu’ils aient 10 ou 17 ans, ils arrivent après un parcours chaotique et entretiennent une certaine défiance envers l’école. Il faut savoir que beaucoup d’entre eux, du fait de leur sensibilité, ont subi des moqueries - de leurs camarades comme des professeurs ! - voire du harcèlement scolaire."

La pédagogie des établissements spécialisés, basée sur une grande marge de manœuvre laissée aux élèves, porte ses fruits. Comme ils ont faim de nourriture intellectuelle (d’où le fait que, très jeunes, ils préfèrent la compagnie des adultes, plus intéressants à leurs yeux), il "suffit" de les rassasier avec des objectifs à atteindre, comme des projets d’étude. Cela demande un maximum de souplesse de la part du corps enseignant. Par exemple, si l’objet du cours était l’histoire médiévale et que la discussion dévie sur la géopolitique contemporaine, le professeur va s’adapter et en tirer parti pour aborder cette notion.

Devenus adultes, les "HP" doivent encore faire face à des difficultés en entreprise. "Ils peuvent représenter une menace pour les “petits chefs” qui savent qu’ils ont des capacités intellectuelles et qu’ils peuvent potentiellement prendre leur place, analyse Cyril Rous. Pourtant, ce sont des personnes sur lesquelles il faut s’appuyer. Ce sont de grands créatifs et des leaders dans l’âme. Par ailleurs, ils sont capables d’abattre un maximum de travail en un minimum de temps, ce qui, encore une fois, risque de susciter la jalousie, voire l’inimitié de collègues. À l’inverse, certains chefs d’entreprise ont bien compris tout ce que peuvent apporter les “HP”. S’ils disposent d’assez de marge de manœuvre et d’autonomie, alors ils excellent."

Pierre: "L’injustice lui est insupportable"

Pierre (prénom modifié, ndlr) est un jeune homme bien dans ses baskets malgré un parcours chaotique. Aurore (prénom midifié, ndlr), sa mère, a toujours senti qu’il était différent des autres enfants.

"A l’école, Pierre ne faisait jamais ses devoirs, il disait qu’il n’en avait pas besoin (et c’était vrai). Il s’ennuyait en classe. À côté de cela, il manifestait une grande sensibilité ; l’injustice quelle qu’elle soit lui était absolument insupportable."

Au collège, il est victime de harcèlement. Pour le protéger, sa maman l’inscrit dans un internat (à l’époque, ils vivent dans les Bouches-du-Rhône). Pierre consulte une psychiatre, qui détecte son haut potentiel. Si ces consultations lui font du bien, sa souffrance au collège devient telle qu’un jour, il avale une boîte de médicaments.

Il est pris en charge aux urgences de La Timone, avant d’être transféré dans un centre psychiatrique spécialisé pour ados. Il y passe quelques semaines "horribles" au cours desquelles son hypersensibilité est mise à mal.

Son salut viendra d’un déménagement à Nice et de son intégration au cours Cyrano. Désormais, ça va mieux pour lui… et pour Aurore qui, au fil des consultations avec son fils, comprend qu’elle aussi présente un haut potentiel. Un sujet qu’il lui est très difficile d’aborder.

"J’ai eu une scolarité normale, même si je me suis toujours sentie en décalage. Je me retrouve en Pierre: comme lui, j’ai le cerveau constamment en ébullition… sauf lorsque je fais du sport: c’est mon exutoire."

Une situation qu’elle décrit comme "épuisante". "Pour essayer de canaliser mes pensées, j’ai un petit carnet sur lequel je note tout ce qui me passe par la tête."

Au niveau professionnel, elle est l’employée idéale : elle abat deux fois plus de travail en deux fois moins de temps… mais ceci uniquement parce que son chef a su voir en elle tout le potentiel de réussite et lui accorde sa confiance et beaucoup d’autonomie. 

Yola: "J’ai compris mon propre fonctionnement"

Yola Photo DR.

Pendant longtemps, Yola, 17 ans, n’a pas entretenu une grande histoire d’amour avec l’école. "En maternelle, en primaire, ce n’était pas ce que je préférais, mais bon, je n’avais pas le choix…"

Elle s’en accommode bon an mal an et survole le collège sans trop de dégâts. Sauf que l’angoisse tapie au fond d’elle se décuple au fil des ans jusqu’à ce qu’un jour, la jeune fille ne puisse plus mettre un pied au lycée. Véritable blocage.

"J’ai souffert de phobie scolaire.Ce n’était pas que je ne voulais pas étudier; mais rien que l’idée d’entrer dans la classe me paniquait. Je ne pouvais plus y aller. Ma mère m’a proposé d’aller voir une psy pour essayer de débloquer les choses.Bien sûr, j’ai accepté car j’en avais assez, ça ne m’amusait pas de rester cloîtrée chez moi. C’est cette psy qui a évoqué la phobie scolaire."

La jeune fille fait un travail sur elle-même tout en poursuivant brillamment sa scolarité à domicile grâce à un dispositif de l’Éducation nationale, le Service d’assistance pédagogique à domicile (Sapad).Au bout de quelques mois, Yola va mieux.

Ses parents l’inscrivent pour la rentrée suivante au lycée… Elle n’y restera qu’une journée. Elle poursuit sa thérapie jusqu’au jour où sa psy évoque le cours Cyrano.

Avec ses parents, elle rencontre le couple Bousquet, avec qui elle se sent comprise et passe dans la foulée des tests qui mettent en lumière son haut potentiel.

"Tout à coup, ça expliquait tout.J’ai compris plein de choses sur moi-même, sur ma façon de penser et de fonctionner."

Progressivement, Yola renoue avec le quotidien classique d’une lycéenne de 17 ans. Elle se sent enfin à l’aise parmi ses pairs, comprise. Et surtout, elle pense à l’avenir.

"Il y a 2 ans, je ne pouvais même pas réfléchir au lendemain. Là, je prépare le bac et je réfléchis aux études que je veux poursuivre."

Elle pose un regard amer sur son parcours. "Le système scolaire est mal fichu, on nous demande à tout prix de rentrer dans des cases.Au lieu de chercher à comprendre d’où venaient mes problèmes et à m’aider, l’administration m’a cataloguée comme fainéante."

Yola, longtemps incomprise des autres – et d’elle-même – sait enfin qui elle est. Une jeune fille certes très intelligente, mais surtout très sensible, qui demande simplement qu’on l’écoute sans jugement.

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