C’est un Enfant du pays. De Monaco-Ville. Après une scolarité au lycée Albert-1er et un parcours universitaire à Nice, Eric Voiglio a revêtu la blouse blanche à Lyon, en 1988, pour enchaîner internat et clinicat.
Puis embrasser une carrière de chirurgien généraliste, spécialisé dans l’urgence, jusqu’en 2017. Date de son retour au pays pour endosser le rôle de médecin inspecteur de santé publique.
"Au départ, on se dit que la transition entre la chirurgie et la santé publique n’est pas évidente. En fait, je me suis senti relativement à l’aise dans cette gestion de crise puisque j’avais une expérience dans ce domaine."
S’il n’a jamais eu à parer à des attentats, accidents multiples ou épidémie, le Dr Voiglio a été, entre autres, l’un des responsables du Plan blanc à Lyon. Et à Monaco, il ne partait pas d’une feuille blanche.
"On a ressorti l’énorme travail qui avait été fait, notamment à l’époque du H1N1." Reste que le seul médecin inspecteur de Monaco [l’autre est actuellement détaché en France, ndlr] a dû changer de casquette. Passer de la prévention, le conseil et le contrôle, à l’action. Carnet de bord.
Les enquêtes épidémiologiques sont-elles fréquentes à Monaco?
C’est le cœur de métier, en tout cas la partie où il y a une relative urgence. Il y en a cinq ou six par an, en milieu scolaire ou en crèche par exemple. On parle de tuberculose, de méningite, ou d’autres maladies.
La taille du territoire et sa population cosmopolite rendent-elles le risque plus grand qu’ailleurs?
En matière de santé publique, Monaco est un défi perpétuel. 50.000 personnes viennent tous les jours travailler d’Italie et de France. On a des touristes du monde entier, des bateaux de croisière en escale, des résidents qui voyagent très loin, parfois dans des pays exotiques. On est obligé de garder le système de veille sanitaire à un très haut niveau et la collaboration avec les urgences du CHPG et les médecins de ville est parfaite sur ce point. On peut réagir très vite.
"On a eu peur de manquer mais on n'a jamais manqué"
À quel moment Monaco a basculé dans la crise sanitaire?
Pour moi la crise a commencé le 15 janvier, avec les premiers messages d’alerte qui venaient de la direction générale de la Santé française et de l’OMS. La direction de l’Action sanitaire et le département des Affaires sociales et de la Santé se sont alors mis en ordre de marche pour faire face.
Avant ce 15 janvier, aucun cas suspect n’avait été signalé?
Aucun. Le 15 janvier, le message d’alerte a été répercuté au CHPG et aux médecins de ville et il ne s’est rien passé, du point de vue de la maladie, jusqu’au 28 février. Et puis c’est monté en puissance petit à petit.
Le 28 février, quand le premier cas positif a été diagnostiqué, étiez-vous prêts à faire face en termes d’équipements?
Oui, car on avait pas mal anticipé. C’est pour ça aussi qu’on a été un petit peu moins en tension que d’autres. Des fois on se disait qu’on avait plus que trois ou quatre jours de réserve, sur le réassort des masques et autres équipements de protection, mais on n’a jamais été en réelle pénurie.ça n’a pas eu de conséquences fâcheuses. On a eu peur de manquer, mais on n’a jamais manqué comme ça a été le cas dans des endroits en France ou en Italie, où le personnel soignant et les pompiers y sont allés sans protection. Et ont payé un lourd tribut.
"Au maximum, on n’a jamais trouvé qu’une personne contaminée par ce qu’on pourrait appeler le patient zéro"
La première enquête épidémiologique a-t-elle été facile à mener?
La chance qu’on a à Monaco, c’est que les gens sont très coopératifs et, dans ce cas particulier, le patient m’a envoyé un mail où il retraçait tout ce qu’il avait fait les quinze jours précédents, plus les numéros de toutes les personnes à joindre. Le rêve absolu. En une demi-journée, l’enquête épidémiologique était close.
Fort heureusement, aucun contact n’a été contaminé. On a identifié qu’il s’était infecté dans un pays d’Europe qui ne figurait pas dans les pays à risques à l’époque, contrairement à l’Italie.
L’intérêt de retrouver le patient zéro à l’échelle internationale est évident, mais est-ce utile de le chercher à l’échelle de Monaco?
On peut parler de patient zéro si derrière on a un cluster ou une épidémie. Là, on n’a rien. Ce qu’on appelle le “R zéro”, c’est-à-dire le taux de réplication de la maladie, est extrêmement faible à Monaco. Au maximum, on n’a jamais trouvé qu’une personne contaminée par ce qu’on pourrait appeler le patient zéro. Il n’y a pas eu de vague. Les choses étaient contrôlées par les mesures de prévention qui ont été mises en place très tôt et parfaitement suivies par la population.
Il n’y a donc pas eu de foyers au Palais princier ou dans la caserne des Carabiniers du Prince?
On n’a pas eu à proprement parler de clusters, c’est-à-dire de foyers à partir desquels tout part. On a eu une juxtaposition de cas sporadiques dont les chaînes épidémiques ont parfaitement été identifiées. On n’a pas pu mettre en évidence, même chez les Carabiniers, de contaminations internes autres que familiales. Il n’y a pas eu d’origines communes aux contaminations.
"On ne vas pas arrêter la campagne de dépistage comme ça"
Le travail d’enquête a-t-il été compliqué?
On a arrêté vers le dixième cas. Parce que ça demande du monde, et surtout il faut que ça ait du sens. à un moment dans la cinétique de l’épidémie, lorsque tout le monde est confiné et porte le masque, ça n’a plus de sens de retrouver les chaînes épidémiques.
Aujourd’hui, ça aurait du sens de nouveau. Si on avait un cas, il faudrait identifier comment il l’a attrapé et à qui il l’a transmis. Le circonscrire pour ne pas repartir en arrière dans des mesures de confinement plus strictes.
Il n’y a donc eu aucune chaîne de transmission à briser…
On n’a pas eu de véritables chaînes de contaminations identifiées. En tout cas pour les dix premiers cas on sait à peu près, ou pas, comment ils se sont contaminés. Ils n’ont a priori contaminé personne.Mais c’était un peu difficile au début d’avoir accès à la PCR et on n’a peut-être pas testé autant qu’on l’aurait souhaité des sujets contacts.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui avec la campagne de tests des résidents et salariés?
Dernièrement, une enseignante a été testée positive dans un établissement scolaire, tous les élèves des deux classes concernées ont eu une PCR. Elles étaient toutes négatives. On a maintenant un accès plus simple à la PCR, on peut cloisonner de manière plus ferme et surtout lever la crise en 48 heures. Le temps des résultats. D’ailleurs, on ne vas pas arrêter la campagne de dépistage comme ça. Il y aura toujours moyen de se faire dépister gratuitement à Monaco. On est en train d’étudier selon quelles modalités.
"Une maladie qui n’immunise pas, je n’y crois pas"
Sans avoir de garantie que les personnes qui ont été contaminées sont immunisées…
On n’a pas de garantie absolue. Une maladie qui n’immunise pas, je n’y crois pas, donc, à mon sens, les gens qui ont fait la maladie doivent être protégés au moins quelques années. Le vrai problème, c’est qu’on a très peu de recul sur cette maladie et on ne sait pas très bien comment fonctionne cette immunité.
Quand on fait plusieurs tests de différents types immunologiques à une personne, par exemple, on a des résultats qui peuvent être discordants en fonction de la marque du test. Tout simplement parce que les différents tests détectent probablement différents anticorps, y compris peut-être des anticorps de coronavirus qui ne sont pas ceux qui donnent la Covid. Peut-être ceux du rhume de l’année dernière, qui provoquent une immunité croisée. Il faut avoir un recul d’encore un ou deux ans pour que les immunologistes arrivent vraiment à comprendre comment fonctionne l’immunité. C’est une étape essentielle pour produire un jour un vaccin.
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