Après les séances législatives publiques du mois dernier, Monaco 2040, incarné par les deux observateurs éclairés de la vie publique Bernard Pasquier et Fabien Forchino, analyse les positions du Gouvernement et du Conseil national. Une vision en marge du microcosme local. Interview de Fabien Forchino, Monégasque parisien.
Lors des récents débats du Conseil national, le Gouvernement a annoncé la publication, cet été, d’un texte commun Monaco-Union Européenne qui fera le point des négociations en cours. Comment Monaco 2040 accueille-t-il cette annonce ?
C’est une bonne nouvelle! Les déclarations plutôt étranges du Ministre d’État, il y a quelques semaines, au Monaco Press club, selon lesquelles "on n’est pas sûr d’y arriver", se trouvent ainsi balayées. Les choses sont clarifiées. Nous savons désormais que la négociation a avancé et nous nous apprêtons – enfin – à en connaître davantage sur le contenu de l’accord à venir et peut-être avoir aussi une idée plus précise de la date à laquelle il pourra être conclu. Depuis le début, en effet, nous n’avons cessé de constater le manque d’informations précises sur ce dossier, ce qui est déplorable vu son importance. Pour mener notre analyse telle qu’elle figure sur notre site internet, nous avons dû nous fonder principalement sur le Rapport du Parlement européen traitant des accords d’association avec les trois petits États (Andorre, Monaco, Saint-Marin). Il n’est pas normal, à nos yeux, que le Gouvernement se soit contenté au sujet de l’Europe de déclarations plutôt vagues et n’ait jamais publié de document structuré faisant état des enjeux de la négociation, des objectifs poursuivis et de la stratégie.
Le Conseil national a tout de même parlé beaucoup d’Europe le mois dernier…
Il n’a pas fait grand-chose non plus pour expliquer aux Monégasques ce qui se passait. Une Commission spécialisée dite "de suivi de la négociation avec l’Union européenne", présidée successivement par Guillaume Rose puis Fabrice Notari, a été créée après les élections. S’est-elle exprimée sur le sujet ? A-t-elle produit le moindre rapport ? Absolument pas ! Heureusement que le Parlement européen existe et que l’on peut aller chercher dans les documents qu’il publie – la transparence n’est pas un vain mot dans les Institutions européennes – de quoi savoir ce qui se passe chez nous !
" La majorité a compris tout l'inconvénient qu'il y aurait pour elle à détruire ce qui a été construit par le Gouvernement"
Mais vous savez très bien que ce n’est pas la Haute Assemblée qui négocie…
Non, vous avez raison, le Conseil national n’est pas à la table des négociations. Mais, en bout de procédure, il devra ratifier l’accord d’association puisque, conformément à l’article 14 de la Constitution, cet accord entraînera forcément la modification de dispositions législatives existantes. Le Conseil national pourrait donc en définitive tout faire échouer… Mais nous avons noté un point positif : Stéphane Valeri demande maintenant au Gouvernement de l’associer "en amont" aux évolutions du dossier. Manifestement, la majorité Primo! a compris tout l’inconvénient qu’il y aurait pour elle à démolir ce qui a été patiemment construit par le Gouvernement. Le rôle du Conseil national dans cet accord d’association doit être celui d’un facilitateur. Il doit expliquer sans relâche à ses collègues parlementaires européens quelles sont nos spécificités, leur origine historique et les équilibres socio-économiques qui fondent notre modèle et qui en ont fait le succès. Il devrait aussi expliquer aux Monégasques, comme nous le faisons nous-mêmes, qu’un accord avec l’Union européenne est tout à fait indispensable si nous voulons considérer l’avenir avec une certaine sérénité…
Justement, dans sa dernière intervention en séance publique, le président du Conseil national fixe ses propres "lignes rouges": on ne doit toucher ni à la situation actuelle des professions réglementées dont l’accès est réservé aux Monégasques, ni aux régimes d’autorisation pour les activités en Principauté…
Tout le monde veut que, dans cette négociation, Monaco défende au mieux ses intérêts ! Monaco 2040 n’a jamais dit autre chose. Si l’on regarde un peu ce qui se passe ailleurs (c’est un point que nous expliquons dans nos publications en ligne), on s’aperçoit que la Suisse a le même genre de préoccupations. L’accord qu’elle négocie actuellement s’appelle "Accord institutionnel", mais en réalité il n’est pas très différent du nôtre. Les problématiques sont assez semblables aussi: la Suisse veut garder la maîtrise de son marché du travail et des activités que les Européens peuvent exercer chez elle. Ce que l’on appelle la "libre circulation des travailleurs", et qui recouvre aussi la liberté d’établissement pour certaines professions, est donc "sorti de la négociation" pour permettre à celle-ci d’avancer. Moyennant quoi la Suisse comme Monaco sont bien conscients de l’intérêt qu’il y a à "engranger" dès à présent les résultats obtenus.
"Que la négociation aboutisse le plus vite possible"
Selon vous, un point d’étape est-il nécessaire avant l’installation de la nouvelle commission à l’automne ?
La Commission européenne actuelle n’est en fonction que pour quelques semaines encore, jusqu’au 31 octobre. Alors que nous négocions depuis quatre ans, il ne faudrait pas prendre le risque de devoir repartir de zéro ou presque, avec une nouvelle Commission dont on ne connaît pas l’orientation politique, mais dont on peut soupçonner que l’accord d’association à passer avec les trois « petits » États européens ne sera pas pour elle une priorité. La publication cet été d’un "document d’étape", que Monaco 2040 aimerait aussi précis que possible, est donc une garantie pour nous. En plus, et cet argument vaut davantage pour nous que pour la Suisse, le président Jean-Claude Juncker est lui-même issu d’un pays de petite taille (le Luxembourg). Il est évident que son expérience lui permet, mieux qu’à d’autres, de comprendre ce que nous sommes et d’accepter la légitimité de nos demandes. Il l’a d’ailleurs montré lors de sa rencontre avec le Souverain qui a débouché sur une annonce tout à fait positive qui est sur le point de se concrétiser aujourd’hui.
Que souhaitez-vous maintenant?
Que la négociation continue et qu’elle aboutisse le plus rapidement possible. C’est une obligation pour l’Union européenne. Rappelons la déclaration annexée au Traité de Lisbonne: "L’Union prendra en compte la situation particulière des pays de petite dimension territoriale entretenant avec elle des relations spécifiques de proximité". Ce texte est fondamental et le "prendra", verbe conjugué au futur, a ici une valeur d’impératif. De notre côté, la conclusion d’un accord avec l’Europe s’impose aussi. Nous n’avons cessé de le répéter : la construction européenne a rendu inopérants, et sur des points très importants, quantité de dispositions conventionnelles bilatérales avec la France. Nous n’y sommes pour rien, nous ne l’avons pas voulu, mais il nous incombe de participer à la recherche d’une solution. C’est un point fondamental. Les vides juridiques laissés par les dispositions désormais inapplicables de nos accords avec la France doivent absolument être comblés. L’accord d’association avec l’Union européenne n’a pas d’autre objectif : restaurer une sécurité et une stabilité juridique que nous avons perdues. C’est pourquoi nous disons que personne ne devrait accepter d’être celui qui ferait échouer la négociation : il en porterait une très lourde responsabilité devant les générations futures.
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