Le gouvernement princier écarte la loi sur la réduction des loyers commerciaux face au Covid-19

La proposition de loi, visant à imposer aux bailleurs privés de baisser leurs loyers pendant le Covid, est écartée. Le gouvernement invoque des risques juridiques et constitutionnels.

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Thibaut Parat Publié le 17/06/2020 à 14:02, mis à jour le 17/06/2020 à 14:02
Certains bailleurs privés, selon leur bon vouloir, ont octroyé des réductions à leurs locataires. D’autres continuent de faire la sourde oreille aux préconisations du gouvernement. Photo Jean-François Ottonello

Dans l’hémicycle monégasque, même si les joutes verbales peuvent parfois être musclées entre le Conseil national et le gouvernement, le consensus finit (presque) tout le temps par l’emporter. Pas hier, en tout cas. En introduction de séance, ce dernier a annoncé avoir "retoqué"» - comprendre interrompre le processus législatif - la proposition de loi n°250 du Conseil national. Votée le 6 avril (en même temps qu’une autre proposition de loi visant à interdire tout licenciement abusif durant la crise sanitaire, jusqu’au 18juin, ndlr), en pleine crise sanitaire, au moment où la Principauté était sous cloche, elle imposait aux bailleurs du secteur privé de "participer à l’effort collectif".

En clair: que ces acteurs accordent à leurs locataires une réduction de 20% des loyers commerciaux et bureaux pendant un trimestre, ainsi qu’un échelonnement d’une partie de la créance locative sur, au moins, les deux trimestres suivants (lire ci-contre). Impossible, juridiquement parlant, selon le gouvernement princier, lequel a invoqué l’article 24 de la Constitution pour justifier son refus ("La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité, établie et versée dans les conditions prévues par la loi.", ndlr).

>>RELIRE. Faut-il légiférer sur les loyers des baux commerciaux face au coronavirus?

En même temps qu’une autre proposition de loi visant à interdire tout licenciement abusif durant la crise sanitaire, jusqu’au 18juin.

"L’analyse de cette proposition de loi a en effet révélé des risques juridiques et constitutionnels importants, liés en particulier au droit de propriété garanti par l’article 24 de la Constitution. Je ne reviendrai pas ici sur le détail de ces risques, a défendu officiellement, devant les conseillers nationaux, Serge Telle, le Ministre d’État. Le gouvernement a privilégié la sensibilisation des acteurs du secteur, tant au niveau de la Chambre immobilière que de manière individuelle."

Certains ont fait preuve de bienveillance, accordant des coups de pouce financiers salutaires aux entrepreneurs locaux. Leur générosité, en ces temps de crise, a été saluée sans ambages par le Conseil national et le gouvernement. D’autres ont fait (et font toujours) la sourde oreille. En ce qui concerne les locaux commerciaux domaniaux - gérés par l’État -, les loyers ont été remboursés pour mars et annulés pour avril, mai et juin.

"Des bailleurs hostiles à l’effort de solidarité"

"Le gouvernement exerce là un droit constitutionnel qui n’est pas anodin et qui demeure assez rare", a, dans la foulée, fait remarquer Stéphane Valeri.

Le président du Conseil national - puis les élus Corinne Bertani et Thomas Brezzo - a dit regretter l’interruption de ce processus législatif.

"Avec la crise qui touche notre pays, tout le monde doit se sentir concerné, pour participer, aux côtés de l’État, à l’effort solidaire (...). Les propriétaires concernés doivent donc, eux aussi, participer à cet effort collectif pour affronter cette crise (...). Il ne s’agissait pas, bien évidemment, de viser les propriétaires en général, mais bien de faire comprendre à une minorité de bailleurs, hostiles à tout effort de solidarité partagé, que cette position était indéfendable dans les difficultés historiques que nous rencontrons depuis mars dernier", a-t-il défendu.

Arguant que "la volonté politique doit l’emporter sur une approche juridique". C’est sur ce point, justement, que s’opposent radicalement les deux institutions. Un choix gouvernemental dicté, on l’a dit, par des contraintes légales, plus qu’un choix de principe.

Stéphane Valeri déroule son argumentaire: "La jurisprudence du Tribunal Suprême, à travers plusieurs décisions, n’interdit pas les atteintes au droit de propriété, à condition que ces atteintes puissent être justifiées pour des motifs d’intérêt général et proportionnelles par rapport aux enjeux. Des motifs d’intérêt général, c’est manifestement le cas aujourd’hui."

Et le président du Conseil national d’appuyer son argumentaire avec des exemples d’antan, remontant à 1934, 1949, 1967 et 2018.

Reste à savoir si la situation rentrait alors dans la définition de cette notion de "motifs d’intérêt général".

Ce que voulaient les élus...

La proposition de loi – si le processus législatif avait suivi son cours – aurait obligé les bailleurs du secteur privé à participer à l’effort collectif durant le trimestre de l’urgence sanitaire. Comment?

- Baisse de 20%
Les bailleurs auraient dû accorder à leurs locataires une réduction de 20 % des loyers commerciaux et de bureaux du secteur privés pour un trimestre. Uniquement pour ceux dont l’activité aurait été durement touchée.

- Report de 30%
50% du loyer serait versé directement et 30%, échelonnés sur au moins les deux trimestres suivants.

- Une infraction pénale
En cas de non-respect de cette loi, les bailleurs pouvaient encourir une amende correctionnelle comprise entre 2.250 euros et 9.000 euros.

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