"J'ai tout simplement pris acte des agissements délétères menés par des forces locales obscures": à Monaco, le ministre d’État renonce, la crise politique se (ré)installe

En annonçant son choix de ne pas assurer la charge que lui avait confiée le Prince, Philippe Mettoux pointe ce qu’il nomme des "forces obscures locales" qui l’ont poussé à renoncer.

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Cedric Verany Publié le 28/06/2025 à 11:45, mis à jour le 28/06/2025 à 11:45
À quelques jours de sa prise de fonctions, le ministre d’État Philippe Mettoux a jeté l’éponge, dénonçant des "agissements délétères" en Principauté. Photo SNCF

Stupeur et tremblement. À Osaka, le titre du roman initiatique d’Amélie Nothomb au Japon pourrait coller à l’état d’esprit de la délégation monégasque, cueillie par l’annonce inattendue de Philippe Mettoux de renoncer au poste de ministre d’État (chef du gouvernement monégasque).

Hasard du calendrier, le prince Albert II, comme Isabelle Berro-Amadeï, ministre d’État par intérim, et Thomas Brezzo, président du Conseil national (le parlement monégasque), se trouvent au Japon où la Principauté doit être célébrée ce samedi à l’Exposition universelle d’Osaka.

Les trois plus importants personnages du pays ont donc accueilli cette mauvaise lune au pays du Soleil Levant, qui ne fait qu’un peu plus amplifier les turbulences qui malmènent la Principauté. Attendu le 4 juillet place de la Visitation pour prendre les rênes du gouvernement et lui donner un souffle nouveau, Philippe Mettoux ne viendra pas.

Dans une déclaration transmise à l’AFP dans la soirée de jeudi, le haut fonctionnaire français a exprimé son intention de renoncer à sa charge avant même de l’endosser (nos éditions d’hier). Il en a informé auparavant le prince Albert II.

Confirmation hier, un communiqué émanant du Palais princier - envoyé à 10 h 26 - indique que le Souverain " a été informé par Philippe Mettoux de son désistement aux fonctions de ministre d’État. Son Altesse Sérénissime le Prince Souverain a pris acte de cette décision. Il remercie M. Mettoux de s’être porté candidat. "

" Je ne me suis pas désisté "

Une sémantique palatine à laquelle le principal intéressé ne goûte guère. Réplique du séisme de jeudi soir, ce vendredi à 17 h 05, Philippe Mettoux a partagé une mise au point indiquant qu’il a pris connaissance " avec une certaine consternation du communiqué diffusé ce vendredi matin par le Palais princier de Monaco qui, malgré sa brièveté, comporte des inexactitudes. "

Et de détailler : " Je ne me suis pas désisté mais j’ai tout simplement pris acte des agissements délétères menés par des forces locales obscures, malheureusement très actives en Principauté, pour m’empêcher de prendre mes fonctions le 4 juillet prochain, comme cela était convenu ; je n’étais pas simplement candidat au poste de ministre d’État, puisque j’ai été effectivement nommé chef du gouvernement princier par le Souverain qui avait diffusé un communiqué de presse le 4 juin dernier et signé une ordonnance souveraine le 12 juin qui m’a été officiellement transmise. C’est parce que j’ai malheureusement compris que je ne serai pas en situation d’exercer pleinement et efficacement la fonction que le Prince m’avait demandé de mener que j’ai décidé d’y renoncer. J’attire l’attention des journalistes et des médias sur le fait que des fausses nouvelles, calomnies et autres diffamations circulent actuellement afin de tenter de porter atteinte à ma réputation. "

Quelles sont ces " forces locales obscures ", ces " agissements délétères " qui l’ont déstabilisé au point de renoncer ? Celui qui ne sera finalement pas le nouveau ministre d’État semble pointer - avec cette formule mystérieuse - les arcanes du pouvoir monégasque sans précisément nommer les responsables de son renoncement ou leurs fonctions. Il espère par ailleurs que le pays " retrouve de la sérénité et tout le sens de ses valeurs. "

Et forme le vœu d’une " indispensable " transformation. " Monaco traverse des crises à répétition qui lui sont très préjudiciables et la lutte contre la corruption et le blanchissement doit être intensifiée avec sérieux et résolution. "

" Des forces négatives qui font perdurer des pratiques archaïques "

Le ton grave de tout cet épisode résonne dans un pays naviguant dans une crise politique depuis plusieurs mois. Flashback, le 4 juin dernier, le prince Albert II annonçait que son choix se portait sur Philippe Mettoux pour devenir son 8e ministre d’État. Une décision attendue dans le contexte particulier de ce début d’année 2025 marqué par la mort soudaine de Didier Guillaume, après quelques mois à ce poste. Et l’intérim assuré depuis par Isabelle Berro-Amadeï, récupérant cette mission confiée par le Prince, en plus de son rôle de conseiller de gouvernement-ministre pour les Relations exterieures.

Le profil du haut fonctionnaire français, ancien magistrat, homme de droit et conseiller de Dominique de Villepin à Matignon entre 2005 et 2007 cochait les cases - pour le Souverain - du bon candidat. Sa nomination intervenait quelques heures avant l’arrivée en Principauté d’Emmanuel Macron pour une visite d’État visant à louer les liens séculaires entre les deux pays. Promesse de beau temps en cette fin de printemps ?

Selon nos informations, Philippe Mettoux n’était pas le choix de l’Élysée et du président français qui n’avait d’ailleurs pas évoqué cette nomination lors du toast qu’il a porté, pendant le dîner d’État, pour célébrer l’amitié franco-monégasque. La décision effective désormais de Philippe Mettoux de ne pas venir à Monaco rebat les cartes. Et ce nouvel épisode a ceci d’inédit qu’un ministre d’État qui renonce au seuil de sa prise de fonctions, ça ne s’est jamais vu ! La raison interroge. Car Philippe Mettoux indique avoir fait ce choix " la mort dans l’âme ". Motivé par des obstacles mis sur son chemin.

" Il ressort de différents échanges que j’ai eus tout récemment que des forces négatives et contraires sont d’ores et déjà à l’œuvre pour faire perdurer les pratiques archaïques du passé et m’empêcher de mener à bien la mission que le prince Albert m’a confiée. Il m’est apparu malheureusement évident que je ne disposerai pas des leviers indispensables pour écrire la nouvelle page [...] nécessaire au rayonnement, à la stabilité et au redressement du pays. C’est la raison pour laquelle j’ai pris acte, de l’impossibilité - qui m’a été signifiée - de mener à bien la charge qui m’a été personnellement et directement confiée par le prince Albert II que je remercie chaleureusement pour sa confiance. "

Conséquence directe, le Souverain a confirmé hier à Isabelle Berro-Amadeï sa mission d’intérim " jusqu’à la nomination d’un nouveau ministre d’État. " Mais le casting repart de zéro.

Après la volte-face, les institutions font rempart

La crise politique qui découle de la renonciation de Philippe Mettoux a ceci de surprenant qu’à quelques jours de sa prise de fonctions, il s’était lui-même déclaré " préparé " dans un long message publié lundi sur le réseau professionnel Linkedin traçant ses volontés à la tête du gouvernement. Ce message avait été salué de plus d’une centaine de commentaires, dont de nombreux signés par des personnalités locales.

" Je ne mésestime pas la charge qui m’est confiée et ne ménagerai pas mes forces pour l’assumer " écrivait alors le ministre d’État nommé. " J’aime les défis. Ce sera un travail à plein temps, délicat, complexe, exigeant. Mais je suis disposé à m’y engager sans réserve, au service du Prince, de la Principauté et de tous les Monégasques. "

Entre ce post sur Linkedin et sa renonciation, trois jours se sont écoulés. Une volte-face concretisé dans la soirée du 26 au 27 juin.

" Ce post a rencontré un succès d’audience et suscité de l’espoir, des encouragements et des vœux de réussite. Mon expérience et mes compétences, apparemment très appréciées par le Souverain, me permettaient alors d’aborder cette mission avec détermination et confiance ", regrette Philippe Mettoux dans son communiqué. Son arrivée en famille était d’ailleurs prévue ce week-end à Monaco pour s’installer dans la résidence dédiée au ministre d’État. Et sa fiche Wikipedia avait été créée et mise à jour.

" Préserver notre bien le plus précieux : l’unité de notre communauté nationale "

La renonciation s’est jouée ces derniers jours, dans le contexte poisseux des affaires du moment et de la guerre judiciaire et médiatique opposant en premier lieu le dit " G4 " composé d’anciens proches collaborateurs du Souverain, Claude Palmero, Didier Linotte, Thierry Lacoste et Laurent Anselmi au promoteur immobilier Patrice Pastor. Depuis des mois, les coups pleuvent sur la réputation de la Principauté. Derniers en date, d’une part la Commission européenne qui a ajouté le 10 juin dernier, Monaco sur sa liste de pays à haut risque en termes de blanchiment d’argent.

D’autre part, l’inculpation de l’ex-président du Tribunal Suprême Didier Linotte, pour prise illégale d’intérêt en bande organisée et trafic d’influence. Le gouvernement princier, dans un communiqué met aussi en cause un contexte médiatique et " les propos malveillants qui ont été tenus dans la presse et les réseaux sociaux dont le seul objectif est de porter atteinte à l’image et à la réputation de Monaco. "

Face à cela, les institutions font front. À la mi-journée, hier dans des communiqués envoyés concomitamment, le gouvernement, le Conseil national et la mairie ont rappelé leur soutien indéfectible au Prince.

" Alors que la Principauté est sous le regard des autorités internationales, nous ne pouvons tolérer qu’elle fasse l’objet, depuis quelque temps, d’attaques diverses, y compris médiatiques, par la diffusion de propos qui visent à la déstabiliser ", écrit Thomas Brezzo, président du Conseil national.

" Aujourd’hui plus que jamais, il est impératif que chaque Monégasque, chaque résident et chaque acteur économique de Monaco agisse avec responsabilité et modération dans l’intérêt de la Principauté, tout en protégeant son image comme sa réputation et en faisant surtout preuve de détermination pour préserver notre bien le plus précieux : l’unité de notre communauté nationale derrière notre Souverain. "

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