Ancienne ministre française de la Justice et des Affaires européennes, actuelle présidente de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, la députée socialiste Élisabeth Guigou était hier soir en Principauté. À l'invitation de la Monaco Méditerranée Foundation, elle donnait une conférence sur le thème « Méditerranée, trait d'union entre l'Afrique et l'Europe » et parlait de la fondation Anna Lindh, qu'elle préside. Fondation cofinancée par les 42 pays de l'Union pour la Méditerranée et la Commission européenne, qui œuvre pour l'échange entre les peuples.
Pourquoi est-ce important de lier l’Europe et l’Afrique?
C’est encore plus important que l’Europe est environnée par une multiplicité de crises. En Irak, en Syrie, mais on s’inquiète aussi pour la Libye. Ces crises génèrent des migrations et des défis que nous devons relever ensemble. Il est indispensable de renforcer la coopération Euro-Méditerannée et de projeter ce partenariat vers l’Afrique subsaharienne.
Comment?
Le Sahara n’est plus une frontière, c’est devenu un lieu de trafics, de foyers de terrorisme. Donc nos destins sont liés. Nous avons besoin d’un partenariat d’égal à égal de co-développement, de transferts de technologie, d’investissements croisés, de co-production et de partage de la valeur ajoutée. La coopération plutôt que la concurrence, la co-localisation plutôt que la délocalisation. Il faut passer du paternalisme au partenariat. Il n’y a pas de sécurité sans développement et inversement. Et l’économie ne pouvant pas tout, il faut assortir ce partenariat d’échanges culturels. Et ça, on peut le faire avec la Fondation Anna Lindh.
Avec quel genre d’actions?
Cette fondation, c’est 43 pays, les 28 de l’UE plus des États associés dont Monaco et l’ensemble des pays nord-africains et proche-orientaux. Nous travaillons beaucoup avec les femmes et les jeunes et avons des programmes concrets. Par exemple, notre programme Young Arab Voices forme des jeunes au débat public. Nous avons impliqué 13 000 jeunes du Sud de la Méditerranée, et en avons touché 90 000 via internet. Nous voudrions dans ce cadre, développé les échanges avec des jeunes du Nord de l’Europe. Ils pourraient ensemble développer, sur le Net, un contre discours à la radicalisation par exemple. Nous étudions une coopération avec Facebook. Je crois profondément que dans cette lutte contre la radicalisation, les gouvernements ont leurs limites et que la société civile doit agir et se faire entendre.
Les gouvernements se doivent de réagir. Que pensez-vous de la mise en place du fichier PNR, plébiscité par Manuel Valls à la suite des derniers attentats?
Il faut absolument le faire voter. Que l’on prenne des précautions dans la constitution des fichiers, oui, on sait le faire.Quand j’étais ministre de la Justice, j’ai créé le premier fichier génétique pour les délinquants sexuels, avec la CNIL, et on a pris les précautions nécessaires.Il faut que nous ayons ce fichier, on a besoin de savoir qui rentre sur notre territoire.
Qu’est-ce qui bloque?
La peur que les fichiers envahissent tout. Mais dans le contexte actuel, nous avons besoin de ça. Nous avons besoin d’une coopération plus étroite entre les services de renseignements, de police et de justice européens.
Mais n’existe-t-il pas déjà des services de coopération européens, comme Europol?
Europol, c’est une coopération en matière de police, il faudrait davantage.Les services de police et renseignement sont souvent réticents à partager leurs informations pour des raisons de confidentialité. Souvent, l’Europe ne progresse que dans les crises, je le déplore.
Il y a aujourd’hui (hier), à Bruxelles, une réunion de tous les ministres de la Justice et de l’Intérieur. Que peut-on en attendre?
D’abord, une pression pour faire adopter ce fichier PNR.Que l’on fasse également avancer l’harmonisation des conditions d’asile et d’immigration.
Que pensez-vous de la pétition, lancée par Nathalie Kosciusko-Morizet, pour la perpétuité réelle pour les terroristes?
En France, on se conforme aux règles européennes. Et la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme dit qu’il faut qu’il y ait, à terme, un espoir de libération. Je ne pense pas que l’on sera plus efficace en ne respectant pas les valeurs qui nous sont communes.
commentaires