Ce qu'il faut retenir de l'interview du Ministre d'Etat, Serge Telle, au Press Club

Le Ministre d’État a livré son point de vue concernant de nombreux dossiers, offensif sur la question du logement et laissant poindre du pessimisme sur un accord avec l’Europe.

CEDRIC VERANY Publié le 15/04/2019 à 11:18, mis à jour le 15/04/2019 à 11:35
Dans les locaux de l’Automobile Club, Serge Telle a répondu pendant une heure aux questions des membres du Press Club. Photo Jean-François Ottonello

Sur le dossier des Jardins d'Apolline

Sur l’épineux dossier des Jardins d’Apolline, l’expertise judiciaire est toujours en cours pour comprendre pourquoi les canalisations ont été défaillantes dans les quatre immeubles, obligeant la reconstruction des bâtiments, toujours en cours.

"La décision qui m’avait été reprochée il y a deux ans de ne pas attendre, de désosser les immeubles, reloger dans des conditions exemplaires tous les gens touchés et de financer à nos frais avancés l’ensemble du relogement et la reconstruction, était la bonne décision. Et ce malgré les tentatives d’intimidation qu’il y a eu, comme l’épisode Dupont-Moretti."

Sur le fond, les premiers échos de l’expertise semblent confirmer l’hypothèse qu’une grande partie des problèmes est liée au temps de séchage de la chape. "La justice établira les responsabilités. Il est probable que l’État ne puisse pas rentrer dans la totalité des dépenses avancées mais je suis satisfait d’avoir pris cette décision. Les gens concernés s’apercevront que c’était la bonne. Ils vont retrouver des appartements mis à neuf, dans des conditions irréprochables. Nous avions chiffré 50 millions d’euros pour la restauration, nous avons dépensé pour le relogement mais ce sont de bonnes dépenses que nous assumons. Le rapport de l’expert sera rendu au tribunal en février [2020], alors que la moitié des occupants d’Apolline seront déjà rentrés chez eux."

Sur les logements pour les pendulaires

Le gouvernement réfléchit avec les autorités françaises à une façon de proposer des logements accessibles à la population française travaillant en Principauté, dans les communes limitrophes. 

"C’est un dossier qui n’est pas simple, plaide le ministre d’État. Seulement 7% de la population salariée française en Principauté a accès au logement social des communes limitrophes. La situation est paradoxale car des gens avec des petits revenus, travaillant à Nice, habitent dans les communes limitrophes de Monaco. Et des gens travaillant à Monaco avec des revenus plus importants se logent à Nice. Sur la base de ce diagnostic, avec le préfet des Alpes-Maritimes, nous avons réfléchi à faire évoluer la loi SRU pour permettre d’adapter les conditions d’accès au logement social en France au niveau de salaires en Principauté."

Un groupe de travail doit être mis en place, car la situation existe dans d’autres régions frontalières en France. Le Ministre d’État y voit un enjeu pour la qualité de vie et l’empreinte carbone, "car 45.000 personnes qui viennent travailler chaque jour représentent un flux de voitures colossal".

La Principauté est déjà propriétaire de 600 logements en France, occupés par des agents publics français qui travaillent en Principauté. Et Serge Telle écarte l’idée d’en construire davantage. "Nos recettes fiscales ne sont pas infinies, l’État ne prendra pas la responsabilité financière."

En revanche, des entreprises pourraient le faire. Une réflexion est en cours avec la Fedem pour établir une cotisation de 1% patronal, favorable à la construction. "Pour l’instant, nous n’y sommes pas. Quand il s’agit de payer, personne n’est prêt (rires)."

Sur la smart city

Sur les avancées de la smart city et de la transition numérique, Serge Telle a annoncé le lancement d’un très grand projet, le 30 avril, qui donnera les contours de cette Principauté smart et qui s’appellera Extended Monaco.

"Ce sera la pierre angulaire de cette numérisation sur laquelle on a beaucoup travaillé", explique-t-il, citant par exemple les abribus connectés qui seront dopés par le déploiement de la 5G.

"On partait d’assez loin. Sur le plan de l’administration, on casse le mode de fonctionnement grâce au numérique qui permet l’horizontalité et de rendre le travail plus intéressant. L’ensemble des agents est désormais relié. C’était à peine 60% il y a trois ans. Ensuite, on va dématérialiser de plus en plus les relations entre l’administration et l’administré. Ça pose d’autres problèmes, notamment de sécurité. On y travaille. Tout cela prendra du temps mais on se forme."

Et d’ajouter: "Le numérique consomme de l’énergie mais ce qu’on consomme d’un côté, on le récupère de l’autre. On est dans une période de transition fondamentale, où tout le modèle économique va être transformé."

Sur les logements inoccupés

Depuis l’annonce du plan logement, l’élu Jean-Louis Grinda a fait valoir son point de vue sur le fait que des appartements domaniaux seraient loués par des Monégasques qui ne les occupent pas et préfèrent vivre en France.

Une polémique qui, de nouveau, a fait réagir Serge Telle, avançant pour la première fois des chiffres, collectés par les services de l’Administration. "Cette polémique a été un peu curieuse au moment où nous annoncions un plan logement de très grande ampleur", estime le chef du gouvernement.

"Quand cette observation de Jean-Louis Grinda est arrivée, je me suis posé la question de savoir comment regarder. Est-ce une légende urbaine ou du concret? La seule indication qui pouvait nous permettre de donner un contenu à l’affirmation de Monsieur Grinda, c’était de regarder la réalité des consommations d’eau."

Aussi les équipes de l’administration ont-elles consulté les relevés d’eau de 450 appartements parmi des immeubles domaniaux où les charges sont communes. "On s’est aperçu de quelque chose d’intéressant. Sur un échantillon statistique de 450 appartements, on a observé que dans quatre à cinq appartements, les consommations d’eau sont faibles voire nulles. Si on considère que c’est un échantillon représentatif, ça représente 0,88%, soit 25 appartements de notre parc domanial. Vous ne construisez pas une politique publique de logement sur 0,88 %."

L’administration a écrit aux locataires de ces appartements où la consommation d’eau est quasi inexistante. "Quand bien même on arriverait à montrer qu’ils n’occupent pas totalement cet appartement, il y a une certaine forme de liberté à laquelle on ne va pas s’attaquer comme ça. Je ne vais pas être celui qui va expulser des Monégasques de leur appartement domanial. J’aimerais bien que l’on mette un point final à cette question, l’administration a regardé et ce qu’on a trouvé n’est pas suffisamment significatif pour changer quoi que ce soit dans l’approche du plan logement. Même si on récupérait ces 25 appartements mal occupés, ça ne changerait rien de la réalité des tensions qui existent dans le domaine du logement."

Sur les négociations avec l'Europe

Quatre ans que les négociations ont commencé. Au cours de son échange avec le Monaco Press Club, Serge Telle a fait un point sur les avancées des échanges sur un éventuel accord avec l’Union européenne. Livrant un discours qui laisse apercevoir une éventuelle possibilité de ne pas réussir à trouver un terrain d’entente. 

"La négociation est totalement asymétrique si l’Europe ne fait pas un pas vers nous. Mais c’est difficile pour les Européens. L’Europe s’est construite sur deux grands principes : l’abolition des frontières et la non-discrimination. La frontière, c’était la guerre; la discrimination, c’était l’extermination des Juifs. Ce sont des principes qu’on ne peut pas changer comme ça. Mais ces principes ne peuvent pas s’appliquer de la même façon à Monaco comme ils s’appliquent à Malte, en Lituanie, en Allemagne ou en France."

"La Principauté, et la relation spécifique qu’entretient le Prince avec les sujets, se fait sur un principe de discrimination. Et nous sommes le seul pays au monde où la population est minoritaire. Il faut absolument que les Européens puissent prendre en compte cette réalité qui n’est pas seulement sociologique, mais économique et politique."

Une posture qui laisse apparaître des difficultés dans la négociation engagée. "Effectivement, la négociation est difficile car l’Europe doit céder ; nous ne pouvons pas céder. Je ne dis pas qu’on n’y arrivera pas. On doit pouvoir négocier un accord d’association qui permette à Monaco de demeurer ce qu’il est, tout en permettant à nos entreprises et aux Monégasques de circuler dans le grand marché intérieur. Nous travaillons aujourd’hui sur différentes hypothèses. Cette négociation sera longue, compliquée, nous ne sommes pas assurés de réussir. On peut y arriver, mais il y a des antagonismes très forts. Et nous n’avons pas non plus pour objectif de réussir. C’est mieux si nous y arrivons."

Lors de sa rencontre avec le souverain en début d’année, le président de l’Union européenne Jean-Claude Juncker avait formulé le souhait que ces négociations avancent pour déjà signer un protocole sur l’état des négociations en juin prochain. Pour Serge Telle, il s’agit d’être "maître du temps" dans la négociation.

"Le président Juncker a souhaité qu’en juin nous signions une sorte de protocole sur l’état des négociations qui nous permette d’avancer. Et qui lui permette, à lui, de dire qu’il avançait avec les trois petits pays. Il y a des élections en Andorre, San Marin est dans une situation financière catastrophique, ils ont beaucoup plus besoin d’accès à l’Europe que nous. Notre approche est différente et nous savons ce que nous voulons. Nous n’avons pas forcément besoin de signer. Si nous avançons, très bien."

"Personnellement, je peux vous dire que nous ne sommes pas près d’y arriver. Juin c’est demain et les montagnes sont énormes. Chaque problème nécessitera un effort de créativité juridique, et rien, par rapport aux lignes rouges fixées par le souverain, me permet de dire aujourd’hui que nous sommes proches d’un accord. "

Pour autant, le Ministre d’État semble demeurer convaincu des avantages à conclure un accord. "Pour avoir beaucoup travaillé sur les questions européennes au début de ma carrière, je suis absolument convaincu du bénéfice qu’a apporté l’Europe aux 27 pays membres. Aujourd’hui, ces bénéfices ne se posent pas dans les mêmes conditions pour Monaco. On travaille, on avance à notre rythme. Je n’ai aucun doute sur le besoin, à terme, de voir nos entreprises accéder au marché européen et aux besoins qu’auront nos concitoyens de pouvoir s’installer et travailler dans n’importe quel pays européen. Ce qui est en jeu, c’est le principe de non-discrimination."

"Il serait inimaginable que les Monégasques ne puissent pas être protégés dans leur pays. On y arrivera, peut être…"

sur un statut pour les Enfants du pays

Alors que la proposition de loi formulée par le Conseil national doit revenir sur le bureau des élus en projet de loi, Serge Telle a confirmé que ce texte législatif ne donnera pas naissance à un statut pour les Enfants du pays.

"C’est impossible. On ne peut pas créer une catégorie de population à part et lui reconnaître des droits collectifs. Ce serait anticonstitutionnel. Le projet de loi ne permettra pas de reconnaître un groupe ou une communauté des droits."

"En revanche, la loi dira qu’il y a eu une contribution à l’histoire, à l’économie, que la Principauté reconnaît et salue de ces personnes. C’est une réalité sociologique, des gens qui habitent en Principauté depuis plusieurs générations et ont contribué au rayonnement du pays. Et, ce qui s’est fait depuis longtemps, c’est de permettre à ces populations, de manière individuelle, d’accéder à l’emploi, à l’éducation, au logement dans des conditions différentes des autres. Cela fait partie des discussions que nous avons avec le Conseil national sur le secteur protégé. On peut travailler pour élargir cette définition, mais pas créer un statut."

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