Affaire Caroli contre Etat: pour Serge Telle, "le gouvernement a sauvé le Grand Prix" de Monaco

Trois jours après la condamnation de l’État à verser près de 150 millions d’euros à Caroli Immo, Serge Telle, le chef du gouvernement, assume ses décisions prises, dit-il, pour la pérennité du Grand Prix.

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Arnault Cohen (acohen@nicematin.fr) Publié le 28/06/2020 à 17:58, mis à jour le 28/06/2020 à 20:22
"Dans cette affaire, nous avons agi en responsabilité." Photo Jean-François Ottonello

L’État monégasque a été condamné. Lourdement. Dans cette affaire qui oppose depuis quatre ans le promoteur Antonio Caroli à l’Administration, le Tribunal Suprême a tranché. Caroli Immo a gagné. Aujourd’hui, la messe est dite. Cette décision de justice est définitive, sans recours possible (Seule une personne physique ou morale peut saisir la Cour de justice européenne, en ultime recours d’une décision du Tribunal Suprême. Pas un État, Ndlr). L’État devra donc payer près de 150 M€.

Comment? Le Ministre d’État aurait-il pu faire autrement? Mieux gérer cette affaire, comme le pensent des élus du Conseil national? Nous avons posé toutes ces questions à Serge Telle, ce dimanche à la mi-journée.

Quelle a été votre réaction en découvrant la décision du Tribunal Suprême?
Je ne commenterai pas cette décision de justice. Je n’en ai légalement pas le droit.

Soit. Mais comment a-t-on pu en arriver là?
Les faits sont assez simples. En septembre 2014, un contrat est passé entre mon prédécesseur et MM. Caroli et Goddio (Franck Goddio devait réaliser le Centre de l’Homme et de la Mer, Ndlr) pour un projet immobilier et culturel sur l’esplanade des Pêcheurs. C’est le point de départ. Dans ce contrat, deux conditions sont posées: le vote d’une loi de déclassement, puisque nous sommes sur un terrain public; la compatibilité du projet avec le Grand Prix. Mon prédécesseur retire une première fois le projet de loi, considérant que l’on n’a pas de certitudes sur cette compatibilité.

Vous arrivez alors à la tête du gouvernement. Nous sommes en 2016…
J’étudie le dossier et je m’aperçois, sur la base de ce que me disent l’Automobile Club et les experts, qu’effectivement, ce projet immobilier n’est pas compatible avec le Grand Prix. L’expertise judiciaire commandée par le Tribunal Suprême nous le confirmera. Alors, comme le Grand Prix est une institution absolument essentielle, un événement international, le plus populaire de la Principauté, je ne redépose pas le projet de loi de déclassement. Je confirme ainsi la décision de mon prédécesseur. Notre position est qu’aucun projet d’intérêt privé ne peut porter atteinte au Grand Prix et au rayonnement international qu’il offre à la Principauté.

"Tout a montré que ce projet n’était pas réalisable"

Avec le recul, pensez-vous que l’État aurait pu faire différemment et éviter une telle condamnation?
Nous avons cherché des arrangements avec M. Caroli. Nous avons entamé des négociations pour déterminer une indemnisation après le retrait de l’État. Cela n’a pas abouti. Et M. Caroli a saisi le Tribunal Suprême. Encore, une fois, je ne vais pas commenter ce qui a été fait. Le gouvernement voulait préserver le Grand Prix. Or, ce projet le mettait en péril. Le gouvernement princier a sauvé le Grand Prix. Grâce à ce qui a été fait, plus jamais aucun projet, quel que soit son montant ou son attrait, ne pourra porter atteinte à cette épreuve. Regardez les conséquences économiques d’une année sans Grand Prix… C’est colossal!

Que répondez-vous aux critiques d’élus du Conseil national qui estiment que vous auriez « minimisé le risque » et que vous seriez coupable de "mauvaise gestion"?
M. Caroli avait une obligation de résultat, en donnant des plans qui permettent le développement de ce projet tout en maintenant le Grand Prix. Je constate que nous n’avons jamais eu les plans réservant les 3.000 m2 exigés pour le Grand Prix. Je ne veux pas jouer une partie de ping-pong par presse interposée avec le Conseil national, on s’expliquera le moment venu en séance publique. Je rappelle juste que la position du gouvernement avait été confirmée par le Prince souverain, dans vos colonnes, en 2019, où il disait: "Je ne suis pas inquiet parce que les premiers éléments de l’expertise démontrent le bien-fondé de la décision qui a été prise de ne pas donner suite à ce projet." Je n’étais donc pas inquiet, moi non plus.

Le Tribunal Suprême a toutefois estimé que l’État avait commis une faute…
S’il y a eu faute, c’est en 2014, quand on a pu penser que ce projet était faisable. Effectivement, un contrat a été signé. Tout a montré, ensuite, que ce projet n’était pas réalisable. Dans cette affaire, nous avons agi en responsabilité. Nous l’avons traitée très sérieusement depuis mon arrivée. Mes collaborateurs et les membres du gouvernement ont été motivés par le sens des responsabilités. L’unique but était de protéger le Grand Prix.

"150 millions, c’est une somme faramineuse"

La décision du Tribunal Suprême est définitive. L’État va donc devoir payer une somme que l’un des avocats du gouvernement juge exorbitante…
L’État a mis 300 M€ sur la crise du Covid, sans compter les pertes de recettes. 150 millions, c’est une somme faramineuse. Cela représente la moitié de ce que nous avons dépensé pour protéger la Principauté des conséquences de la crise sanitaire. Et tout ça pour un projet infaisable, sur le domaine public. Ceci posé, 150 millions, c’est trente fois plus que l’estimation de l’expertise judiciaire. (Serge Telle lit): "À l’issue de ses travaux, l’expert judiciaire est d’avis que les montants des frais engagés au titre de l’opération de l’Esplanade des Pêcheurs pouvant être retenus dans le cadre d’une indemnisation, s’élèvent à 4.677.000 euros." Alors c’est vrai, c’est six fois moins que l’indemnité demandée, qui avoisinait le milliard d’euros. Chacun jugera. Je ne commenterai pas la décision du Tribunal Suprême.

Comment comptez-vous régler une telle indemnité, en cette année 2020 déjà frappée par les conséquences financières du Covid?
Nous verrons comment faire, en lien avec le Conseil national, qui sera associé aux discussions sur la façon de payer. Ce sera soit une inscription budgétaire, soit le FRC. Le Conseil national aura peut-être d’autres idées.

Puiser dans le Fonds de réserve constitutionnel vous semble-t-il être une bonne piste?
Le rôle du Fonds de réserve constitutionnel est de financer les déficits du budget. Dans son article 41, la Constitution prévoit que l’excédent des recettes sur les dépenses, constaté après l’exécution du budget, est versé au Fonds de réserve constitutionnel. À l’inverse, l’excédent des dépenses sur les recettes est couvert par un prélèvement sur le même compte, décidé par une loi.

Les 4 dates clés

- 5 septembre 2014: Michel Roger, Ministre d’État, signe un protocole d’accord avec la société Caroli Immo portant sur un projet immobilier et culturel sur l’esplanade des Pêcheurs.

- 11 juillet 2017: Serge Telle, le nouveau Ministre d’État, ne dépose pas le projet de loi de désaffectation des parcelles, préalable au lancement du projet.

- 23 février 2018: Caroli Immo saisit le Tribunal Suprême, réclamant l’annulation de la décision de Serge Telle pour "pour excès de pouvoir et pour atteinte aux libertés des droits consacrés par la Constitution".

- 25 juin 2019: Le Tribunal Suprême juge illégal le retrait de la signature de l’État et le condamne à verser une indemnité frôlant les 150 M€.

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