Quand il n’est pas en vadrouille dans des zones reculées du globe, qu’il ne traîne pas un traîneau sur les banquises hostiles des pôles ou qu’il n’escalade pas un iceberg chancelant (1), Mike Horn prêche la bonne parole environnementale.
homme de terrain à la carrure aussi charpentée que son mental est d’acier, l’explorateur aux 54 printemps n’a de cesse d’alerter qu’il est urgent d’agir. "Il ne faut pas arrêter de vivre mais il faut vivre différemment", argue-t-il.
Encore plus vrai en pleine pandémie galopante de Covid-19. Pendant le confinement, nul ne l’ignore, la nature a repris ses droits face à l’absence salutaire d’activités humaines.
Lundi soir, à l’occasion de la semaine de la santé planétaire à Monaco, ce précieux observateur des changements climatiques a présenté et commenté les images de ses deux dernières expéditions. Toutes deux en Arctique, dont une périlleuse en hiver, qui a nécessité l’intervention urgente d’un bateau de secours.
"Je montre ce contraste saisissant entre l’été et l’hiver. D’un côté, des images incroyables des baleines et ours polaires qui nagent, et très peu de glace. De l’autre, les images de l’enfer, la nuit noire, pas de lumière, au bout de ta vie, où tu te coupes les doigts dans la tente", décrit-il. Entretien avec une force de la nature.
En juillet, vous avez mené une expédition scientifique en Arctique avec Bernard Stamm, loin des exploits et records auxquels vous êtes habitués…
Sur la route, en allant en Islande, on a largué des balises météo qui flottent et dérivent dans l’eau.
Si on ne le faisait pas après le confinement, on pouvait avoir des "trous" dans les recherches.
Puis, en Arctique, on a mené des recherches sur les baleines. Grâce à un drone, on a pu voler dans le sillage de leur respiration et capter leur ADN.
Cela nous donne une idée de leur état de santé, nous permet de savoir si elles ont des infections. On a également enregistré leurs chants pour mesurer la différence entre l’avant et l’après confinement.
Avez-vous observé des effets positifs de l’arrêt de la navigation sur les baleines?
Oui. Pendant cette période, il n’y avait pas d’activité de chasse, ni de touristes en bateau, ni d’avions survolant leur zone.
On a constaté, grâce à leurs chants, qu’elles étaient beaucoup moins stressées. C’est la première fois dans l’histoire de notre existence que la Terre a arrêté de vivre pendant plusieurs mois.
Les animaux étaient tranquilles, n’avaient plus à se cacher et évoluaient là où ils doivent être normalement.
"On doit vivre différemment"
À bord de Pangaea, vous avez convié des youtubeurs influents. Vous tenez aussi une chaîne Youtube. C’est par écrans interposés qu’on arrive le mieux à toucher la jeune génération?
Mes filles m’ont demandé si j’étais intéressé pour influencer la jeune génération. Normalement, ce sont des gens âgés qui me suivent. Les jeunes s’en foutent de Mike Horn, de ce vieux con qui a traversé le pôle Nord il y a vingt ans (rires). Pour avoir un contact avec eux, il fallait les chercher là où ils se trouvent. Le retour est très bon. En très peu de temps, on en a touché beaucoup. Là, j’essaye de remettre la nature au centre de leurs préoccupations, qu’ils essayent de voir ce qu’ils peuvent faire pour elle. Youtube est un bon outil de communication.
L’Arctique, une terre que vous connaissez bien. La dernière fois, c’était l’hiver dernier, pendant la longue nuit polaire. Et ça a bien failli mal finir…
(Rires) On repousse tellement loin les limites que les marges d’erreur deviennent infimes. En 2006, la glace au pôle Nord mesurait 2,50 mètres d’épaisseur. Cette fois, c’était à peine 5 centimètres. La banquise dérivait, reculait avec le vent. On faisait du surplace, comme sur un tapis roulant. On a passé onze jours sans faire de progrès. On bossait vingt heures par jour par moins 40°C.
Nos doigts étaient gelés, on était morts de fatigue…
Et la nourriture s’amenuisait...
En 2006, quand on a fait les premières expéditions de nuit au pôle Nord avec Børge Ousland, on en a tiré la conclusion que traverser l’océan Arctique était quasiment impossible, qu’on arrivait foutu au pôle Nord.
Treize ans plus tard, on a presque oublié qu’on était quasi mort cette année-là. Puis, on a de nouveau eu les coui**es. On a plus d’expérience et de connaissances qu’à l’époque. En 2006, on avait pris cinq jours de nourriture en plus. En 2019, on a pris quinze jours de rations supplémentaires. Notre marge de sécurité était donc plus grande…
"Pas peur de mourir car j’ai vécu ma vie"
Vous avez surmonté bien des dangers et difficultés. Cette fois, vous avez eu peur d’y rester?
La peur est omniprésente dans ma vie. Si elle n’est pas là, elle me manque. C’est un compagnon de voyage. Quand tu as des doutes qui s’installent avec la peur, c’est là où tu es foutu. Oui, j’ai peur de sortir de la tente car je n’ai pas envie de mourir. Mais je ne doute pas de mes capacités, de mes connaissances.
Ce que vous avez vu sur place ne vous a pas rendu plus optimiste sur l’avenir de la planète?
Je reste optimiste. Je ne peux pas baisser les bras et me dire que notre Terre est foutue. Il faut donner de l’espoir. La Covid-19 nous montre que le comportement des baleines – comme l’état de notre planète – peut changer.
La nature reprend ses droits. Cela prendra du temps de changer. C’est l’homme qui a creusé ce trou, à lui de le remplir de nouveau.
Ne craignez-vous pas que ce réveil des consciences ne soit qu’éphémère ? Le changement doit s’opérer sur le long terme…
C’est vrai. La Covid-19 a donné de l’espoir aux gens : si l’on baisse nos activités, on peut avoir une influence. On n’a pas besoin d’arrêter de vivre, on doit juste vivre différemment qu’il y a un an. Si on n’agit que sur le court terme, on mérite de mourir. Si on est con, on doit payer. Pourquoi doit-on laisser les êtres humains répéter les mêmes erreurs les unes après les autres ?
Finalement, la nature doit pousser l’homme à une certaine humilité…
Quand quelqu’un est arrogant, qu’il pense qu’il est indispensable, il n’a rien compris à la vie. L’homme est tellement faible. On n’est rien sur cette Terre et on est vite remplacé. On ne doit pas penser que la planète nous doit quelque chose.
Que répondez-vous à ceux qui critiquent vos expéditions, les jugeant à la limite de la folie?
Eux ne le feraient jamais, certes. Mais ils ne doivent pas critiquer ceux qui font quelque chose. C’est triste de faire ça. J’ai décidé moi-même d’adopter ce style de vie. Pourquoi ne pas soutenir la vie des autres ? Quand tu as ce comportement, tu as un retour positif et ça te sert dans ta vie. Écraser la vie des autres, critiquer n’est pas constructif.
Y a-t-il des régions que vous n’avez pas encore explorées?
Très peu. Mais il y a des régions à l’intérieur de moi-même que je n’ai pas encore découvertes. Comme les limites jusqu’où je peux aller. Il y a eu ce moment dans ma tente au pôle Nord, avec très peu de nourriture. Si je n’essaye pas de faire mieux demain, je vais mourir. Ces explorations personnelles ne s’arrêtent jamais.
Mais ces limites poussées à l’extrême peuvent entraîner la mort…
Oui. Ce sera fatal un jour. C’est sûr que je vais mourir un jour. En exploration ou, si je suis fou, je saute depuis ce troisième étage du Yacht-club. Depuis le jour où je suis né, je me rapproche de la mort. Je n’ai pas peur de mourir car j’ai vécu ma vie. Si l’envie de gagner devient plus forte que la peur de perdre, c’est là où tu peux oser, essayer.
Vous êtes souvent de passage à Monaco. Un lieu pourtant éloigné de la nature que vous chérissez tant?
Je suis toujours de passage ici. Le prince Albert II est quelqu’un que je respecte énormément. En 2009, je l’ai amené au pôle Sud. J’ai vu un prince tirer sa luge, marcher chaque mètre de lui-même. Tout ça pour conserver notre planète, avoir une voix, faire quelque chose pour la génération future. Je ne peux que soutenir un chef d’État qui a gelé ses coui**es pendant trois semaines. C’est quelqu’un qui s’engage.
(1) Une vidéo publiée en septembre par Mike Horn le montre en train de grimper un iceberg, avant que celui-ci ne se retourne dans une eau à -2°C. Plus de peur que de mal. Le drame n’est pas passé loin.
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