Autrice d'une biographie sur Karl Lagerfeld, Marie Ottavi livre ses vérités sur les mille vies du grand couturier

Biographe du créateur star, la journaliste était l’invitée du Monaco Press Club pour évoquer les mille vies de ce personnage phare de la seconde partie du XXe siècle, fidèle de la Principauté.

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Cédric Verany Publié le 04/12/2021 à 18:53, mis à jour le 04/12/2021 à 23:14
Marie Ottavi, au micro du Monaco Press Club. Photo Cyril Dodergny

C’est un livre tentaculaire de presque 700 pages qui raconte la vie ou les vies de Karl Lagerfeld. Alors que la Principauté se souvient ces jours-ci du Kaiser de la mode, le Monaco Press Club a invité Marie Ottavi, journaliste et auteur de Karl, une biographie complète, fouillée et minutieusement documentée, parue en septembre dernier.

Devant les membres du club, elle a raconté comment elle a plongé dans les méandres de l’existence du singulier créateur. Soulevant toutes les couches, les vérités, les mensonges et les mystères, pour approcher au plus près, l’homme.

Pourquoi vous être penchée sur l’étude du personnage Karl Lagerfeld ?
J’avais écrit il y a quatre ans un livre sur Jacques de Bascher, personnage secondaire de la galaxie mondaine des années 70/80, son compagnon, son grand amour. Et j’ai demandé à Karl Lagerfeld de me parler. Son entourage a commencé par refuser disant que c’était un sujet trop douloureux, mais il a finalement accepté. Nous nous sommes vus deux fois, plus de deux heures. Ce furent des entretiens très forts, il s’est dévoilé, il a montré un autre visage. Je l’avais prévenu que ce n’était pas un hommage que je voulais rendre à Jacques. Que je voulais raconter sa vie. Et en creux, c’était un portrait de Karl. Je crois qu’il a aimé mon honnêteté.

À la disparition de Karl Lagerfeld, l’idée de rédiger sa biographie s’est alors imposée ?
On me l’a proposé. J’ai longuement réfléchi. On a rarement l’occasion de rencontrer des personnages de cette envergure dans sa carrière. Plus on l’étudie, moins il ressemble au commun des mortels. Ce qui m’intéressait c’était d’explorer ses ambivalences et cette construction qui l’a amené à devenir ce qu’il était.

En quatrième de couverture, vous le décrivez comme roi de l’autofiction. Votre premier travail a été celui d’une enquêtrice pour démêler le faux du vrai dans la légende Lagerfeld ?
Oui, cela a été mon travail du début à la fin. C’est quelqu’un qui a récrit sa vie à différents égards, tout au long de son existence. Mentir c’est une chose, mais mentir pendant cinquante ou soixante ans, sans s’emmêler les pinceaux c’est compliqué. Et il a à peu près réussi.

Son premier mensonge, était celui de sa date de naissance…
C’est vrai, il est né en 1933 et non pas 1938. L’enjeu était d’explorer les raisons de ce mensonge. Et de revenir chez lui à Hambourg, dans le petit village où il a grandi. J’ai retrouvé une copie du passeport, où il avait repassé toutes les lettres au stylo et transformé le 3 en 8. C’était une coquetterie pensée aussi pour ne pas avoir à répondre aux questions sur le nazisme. En 1933, c’est l’avènement de cette idéologie en Allemagne. Un journaliste avait révélé que ses parents ont adhéré à des associations nazies sans l’être fondamentalement mais pour pouvoir continuer leur production de lait. Pour Karl, c’était trop lourd à porter. Il savait que, dès lors qu’il admettrait cette implication, toute sa vie il devrait répondre à ces questions, sur la faiblesse de ses parents.

Cela n’a pas dû être aisé de "faire parler" tout son sérail, pour raconter leur Karl ?
Il a fallu convaincre. Mais le livre sur Jacques a eu un succès public. Karl Lagerfeld m’a dit qu’il l’a apprécié. Ça a créé des ondes positives, on a vu que mon travail était minutieux pas graveleux. Au total, une centaine de proches ont témoigné.

La princesse Caroline, notamment, y livre de beaux souvenirs…
C’est l’un des plus beaux témoignages du livre. Elle m’a reçue chez elle à Monaco et m’a raconté énormément d’anecdotes. C’était très émouvant.

Avez-vous compris qui était l’homme au terme de deux années de recherches ?
C’est difficile, je pourrais continuer vingt ans encore, je n’aurais toujours pas cerné Lagerfeld. C’est quelqu’un qui était dans le ici et maintenant, en grand décalage avec l’époque.

Votre travail est loin de l’hagiographie. Vous ne passez pas sous silence ses problèmes avec le fisc, ses phrases parfois assassines, loin du politiquement correct…
On se demande ce qu’il en serait aujourd’hui s’il faisait des déclarations similaires, comment elles seraient reçues. Ses problèmes avec le fisc sont apparus quand Jacques meurt, en 1989. Karl traverse une grande dépression qu’il n’assume pas. Il prend beaucoup de poids, se crée des besoins démesurés, dépense beaucoup. Il était question, je l’explique dans le livre, de l’évincer de chez Chanel. Puis, début 2000, comme une sorte de remontada, il se reprend en main. La collection qu’il crée pour H&M lui fait alors changer de statut, l’impose comme une star dans le monde. Dès lors, plus rien ne pourra l’arrêter.

Vous êtes journaliste de mode, qu’est-ce qu’il a apporté à la discipline ?
Karl n’a pas cherché à créer une silhouette qui marque l’allure féminine. Ce qu’il a inventé, c’est un système. Il a favorisé le prêt-à-porter. Un point fort était le dessin. Il n’était pas couturier au sens de mettre la main à la pâte, mais il dessinait tout. Aujourd’hui, ça a complètement disparu. Il était très prolifique et parfois il fallait lui dire "ça, ça ne va pas".

Qui arrivait à lui dire ?
Bonne question… Virginie Viard, qui a pris sa suite chez Chanel. Très peu de gens en somme. C’est un jeu très dangereux. Dans ce milieu qui rend fou, Karl n’était pas un tyran. Il était affable, respectueux de chacun. En revanche, il a brisé des amitiés, tourné le dos à certaines personnes du jour au lendemain car on lui a dit des choses qu’il n’appréciait pas. Il pouvait se montrer cruel. Beaucoup ont subi ses foudres.

Aujourd’hui, qui sont ces héritiers ?
Ah c’est la question ! Je crois que c’est très complexe à régler. Il y a plusieurs noms Sébastien Jondeau, Virginie Viard, Brad Kroening, la princesse de Hanovre également serait destinataire de souvenirs. Mais tout en haut de la liste, le premier nom c’est Baptiste Giabiconi. Ça a surpris tout le monde. Karl Lagerfeld avait une affection assez filiale pour ce garçon, c’était une façon de l’officialiser. Beaucoup ne s’y attendaient pas, ça a grincé dans l’entourage. Mais c’est Baptiste qui devrait toucher près de 40 % du total de la succession. Mais quel total? Personne ne le sait vraiment…


Karl de Marie Ottavi aux éditions Robert Laffont, 679 pages, 22,90 euros.

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