Jeffrey Tate est un héros. Né avec une maladie de la colonne vertébrale qui lui a cruellement déformé le corps (la spina-bifida), il aurait pu choisir de vivre en marge de la société. Il a décidé de faire le contraire. Souhaitant pousser au plus loin la connaissance du mal qui le torturait, il étudie la médecine au Christ's College de Cambridge. Devenu docteur, il commence à exercer à l'hôpital Saint Thomas de Londres. Puis, ayant la révélation du pouvoir de la musique pour sublimer la condition humaine, il se lance dans l'étude de cet art.
Il s'y révèle si doué qu'il devient en quelques années l'un des meilleurs chefs d'orchestre au monde, demandé aussi bien au Metropolitan Opera de New-York que dans les festivals les plus cotés, enregistrant des disques admirables. Il a été fait commandeur de l'Empire Britannique après avoir occupé le poste de chef de l'Opéra de Londres.
C'est lui que le Philharmonique de Monte-Carlo a accueilli samedi soir dans l'Auditorium Rainier-III.
Il entre sur scène, appuyé sur une canne, se dirige vers le pupitre de chef, s'installe sur un siège devant l'orchestre, cramponne sa main droite à sa baguette de chef et, déployant au-dessus des musiciens une main gauche d'une largeur inaccoutumée, déclenche l'enchantement de la musique.
Travail fouillé et précis
L'enchantement... pas tout à fait. Car la première œuvre du programme, samedi, était une partition moderne due au compositeur George Benjamin qui, datant de 1980, a visiblement mal vieilli. Elle s'intitule Ringed by the flat horizon (Cerné par l'horizon plat). Si ses déchirements orchestraux ont pu étonner et séduire il y a trente-cinq ans, ils nous laissent indifférents aujourd'hui.
L'enchantement vient ensuite, avec les sublimes Quatre derniers lieder de Richard Strauss, écrits en 1948, à l'âge de 84 ans, par un compositeur qui semblait attendre la mort comme une amie. Tel est le message délivré par cette musique infiniment délicate, à laquelle les incessantes modulations donnent un aspect de velours.
Ces lieder ont été chantés avec soin et musicalité par la cantatrice allemande Annette Dash, arrivée en Principauté le matin même pour remplacer la soprano américaine Emily Magee, tombée malade la veille. Jeffrey Tate a ménagé autour d'elle un accompagnement orchestral puissant et coloré. Beau tête à tête entre Tate et Annette !
Puis le chef s'empare de la première symphonie de Brahms. On admire le travail fouillé et précis qu'il accomplit avec l'orchestre afin que tous les pupitres sonnent avec clarté et apparaissent dans la diversité de leurs couleurs, mais on regrette qu'il prenne des tempos trop lents, bridant ainsi la fougue inhérente à cette musique. Jeffrey Tate est un chef hors norme. Chapeau bas, devant ce héros de la musique !
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