Certains pensaient peut-être qu’il allait ralentir la cadence. Voire qu’il commençait à préparer sa sortie. Que nenni! Bien qu’ayant nommé cet hiver un team manager pour l’épauler en la personne de Nicolas Goyon, chef mécano jusque-là, Hervé Poncharal, à 65 ans, conduit toujours la destinée de Tech3 sans relâche, ou presque. "Je ne lève pas le pied", martèle l’emblématique patron de l’équipe varoise, également président de l’IRTA (International Racing Team Association). "La preuve, je vous parle par téléphone depuis le Portugal où je suis arrivé le 8 mars. Après les essais MotoGP, les essais Moto3 et le Grand Prix enchaînés ici, à Portimao, on mettra le cap direct sur les deux courses suivantes, Argentine et États-Unis. Soit six semaines non-stop loin de Bormes-les-Mimosas." Pas vraiment un début de saison en mode préretraite... Juste avant le top départ de la catégorie reine, ce week-end sur le toboggan lusitanien, le boss hyperactif prend le temps d’évoquer l’alliance avec la firme espagnole GasGas, membre de la famille KTM dont la robe rouge habille les RC16 confiées au revenant Pol Espargaro et au rookie Augusto Fernandez. En espérant que la mue accouche de lendemains meilleurs, histoire d’oublier le pénible exercice 2022 au plus vite...
Hervé, Tech3 change de couleur et de pilotes mais pas de machine. Peut-on parler d’un nouveau départ?
Non, car on est dans la continuité. Disons que Tech3 négocie un virage. Nous ne sommes plus l’équipe B de KTM. Désormais, il y a deux structures officielles clairement identifiées: KTM Factory et nous, GasGas Factory. Chacune possède son propre département marketing, son propre service communication. Tout en restant dans le groupe Pierer Mobility, on jouit d’une autonomie plus importante. Et on véhicule l’image d’une marque en plein essor qui bénéficie d’une forte cote d’amour. C’est valorisant.
Pol Espargaro, 18e, et Augusto Fernandez, 21e, n’ont pas fait d’étincelles lors de l’ultime répétition générale à Portimao. Qu’est-ce qui cloche?
Le principal problème, c’est le grip sur l’angle maxi. Nos pilotes, comme ceux de KTM (Brad Binder 9e, Jack Miller 17e, ndlr) perdent du temps quand ça tourne fort. Ils sentent mal la moto, virent plus large qu’escompté, parfois. Et puis la roue arrière patine à l’accélération à cause du manque de grip.
Êtes-vous inquiet?
Après les tests très positifs à Valence (fin 2022) et à Sepang (en février), je ne vous cache pas qu’on accuse un peu le coup. Les ingénieurs se triturent les méninges pour trouver une issue. Il n’y a pas péril en la demeure mais on aurait aimé voir la nouvelle RC16 plus proche de ses meilleures rivales. Le profil atypique, unique, de cette piste portugaise, super vallonnée, avec des dévers plus ou moins défavorables, des freinages de trappeur, ne convient guère à notre package. Gageons que ça ira mieux ensuite en Argentine et aux États-Unis, sur des tracés assez différents.
Justement, quel est l’objectif: faire mieux ou beaucoup mieux qu’en 2022?
Beaucoup mieux! Sans vouloir paraître prétentieux. Pol a annoncé la couleur dès l’officialisation de son retour parmi nous: "I wanna be the captain!" ("Je veux être le capitaine"). Comprenez qu’il veut finir devant les deux voisins du team KTM. Ça promet une grosse baston entre Binder, Miller et lui. Sans coup bas car ces trois-là s’entendent bien. Ils échangent leurs ressentis. Saine émulation. Belle attitude. Tout le monde a envie de tirer les machines du groupe Pierer Mobility vers le haut. Et côté Tech3, on veut mettre notre touche de rouge sur le tableau. Du rouge GasGas! Plus vif que le rouge Ducati...
Le calendrier 2023 comprend 21 échéances. Avec l’introduction de la course sprint le samedi, ça fait 42 départs! A-t-on atteint le plafond?
Oui, c’est le grand maximum! J’en ai parlé plusieurs fois avec tous les gens concernés, promoteur, constructeurs, teams... Le pic était fixé à 22 courses par saison avant l’intégration de la "sprint race". Aujourd’hui, impossible de faire plus. La saison 2022 fut déjà très éprouvante pour les organismes. Après les six semaines non-stop outremer, du Japon à la Malaisie via la Thaïlande et l’Australie, le paddock tirait la langue. On a fini exténués. Rendez-vous compte: avec ces nouvelles aides au pilotage greffées sur les machines, les temps d’intervention ne cessent d’augmenter. En peu de temps, on vient de passer du simple au double. Les mécanos bossent dur, de plus en plus. L’homme a ses limites. Les dépasser, c’est courir à la catastrophe. Une erreur humaine commise dans le garage peut provoquer un drame en piste.
Pour ou contre la course sprint?
Pour! Je pense que les spectateurs, les téléspectateurs, les sponsors et les organisateurs de GP se réjouissent de ce changement. Le samedi, mieux vaut regarder une vraie bataille de chiffonniers qu’une FP4 (quatrième séance d’essais libres) chiante à mourir, non? Un conseil: allumez la télé samedi à 16h. Ne manquez pas le départ et le virage 1. Ça va être chaud! Sur 9 ou 10 tours, on ne gère ni les pneus, ni l’essence. Zéro stratégie. À fond d’un bout à l’autre. Si le format en vigueur jusque-là marchait bien, il y avait une demande d’évolution, de modernisation. Moi, je suis favorable à tout ce qui permet au MotoGP de progresser, d’avancer. Car qui n’avance pas recule comme on dit...
Pourquoi ne pas avoir testé ce concept sur quelques manches, comme la F1, avant de le généraliser?
La Dorna gère aussi le WorldSBK (championnat du monde Superbike) où la course sprint existe et fonctionne sans souci depuis 2019. Donc ils ne plongent pas dans l’inconnu. Ils savent ce qu’ils font. Et puis ils veulent absolument traiter chaque manche de la même manière. À leurs yeux, aucun Grand Prix n’est plus important qu’un autre. Pas de jaloux chez les organisateurs: la course sprint, c’est pour tout le monde ou pour personne. Je suis d’accord avec eux.
Yamaha a perdu son équipe satellite, ne conservant que les deux machines officielles sur la grille de départ en 2023. Surpris?
Pas du tout, non! Fin 2018, Tech3 a quitté Yamaha parce que nos visions du partenariat entre une usine et son team satellite divergeaient. Compte tenu du long chemin accompli ensemble (depuis 1999), j’espérais obtenir autre chose qu’un contrat d’un an afin d’assurer une certaine pérennité à la société. Quand l’opportunité de rejoindre KTM s’est présentée, je n’ai pas hésité. Même chose pour Razlan Razali (le premier patron de Fabio Quartararo en MotoGP, partenaire de la firme d’Iwata depuis 2019). Courant 2022, Yamaha lui propose une prolongation d’un an alors qu’il veut renforcer l’implantation de sa structure. Résultat: le team RNF choisit de s’allier avec Aprilia. Normal. Côté italien, le deal porte sur trois ans et ses pilotes (Miguel Oliveira et Raul Fernandez) sont recrutés par l’usine. Il n’y a pas photo. C’est la loi du marché. L’offre et la demande...
Pour conclure, comment voyez-vous la course au titre? Qui peut détrôner Francesco Bagnaia?
Lors de l’ultime répétition générale, deux jours durant, "Pecco" a été tellement impressionnant d’aisance. Il a effectué des simulations de course fabuleuses. Une démonstration qui frappe les esprits, forcément. Bagnaia dispose du package technique le plus abouti, le plus performant. Il sait tirer la quintessence de sa Ducati. Bref, le grandissime favori, c’est lui. Une certitude: avec 42 courses à négocier, le facteur régularité pèsera encore plus lourd. Les pilotes Aprilia (Aleix Espargaro et Maverick Viñales) font figure de sérieux outsiders. Mais à mes yeux, seuls les deux autres cadors du paddock représentent une menace sérieuse. Fabio (Quartararo) a redressé la barre in extremis sur une piste de Portimao qu’il adore (3e). Il a les crocs qui rayent le bitume comme jamais. Quant à Marc (Marquez), il est champion MotoGP puissance 6, il connaît le chemin... Donc on ne peut pas l’écarter, même si la Honda souffre de la comparaison.
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