"La guerre peut avoir lieu en mer, nous y sommes parés": retour sur la mission Antarès, partie de Toulon

Parti de Toulon le 15 novembre dernier à la tête du groupe aéronaval, le contre-amiral Christophe Cluzel revient sur les deux premiers mois de la mission Antarès. Entretien.

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Propos recueillis par Pierre-Louis Pagès Publié le 15/01/2023 à 09:00, mis à jour le 14/01/2023 à 21:56
Le contre-amiral Cluzel, commandant du groupe aéronaval en visite sur l'un des escorteurs de la force lors de la mission Antarès en mer Méditerranée. Depuis le 15 novembre 2022, le groupe aéronaval a été déployé en Méditerranée, mer Rouge et océan Indien dans le cadre de la mission Antarès. ©Marine Nationale

Après quelques jours de relâche à Djibouti (du 3 au 7 janvier), le groupe aéronaval, constitué autour du porte-avions nucléaire Charles-De-Gaulle, est à nouveau en mer et navigue désormais en océan Indien.

Après quasiment deux mois de mission, nous faisons le point avec le contre-amiral Christophe Cluzel, commandant du GAN.

Le 30 décembre dernier, un attentat revendiqué par Daesh s’est produit à Ismaïlia en Égypte. La traversée du canal de Suez est-elle plus risquée?

Le franchissement d’un passage obligé, qu’il s’agisse d’un détroit ou d’un canal, est toujours une opération sensible au cours de laquelle nous renforçons notre posture de protection au niveau requis par l’analyse de la menace. Cette analyse de la menace repose sur des éléments d’appréciation autonome mais également sur des échanges, nombreux et en confiance, avec les autorités égyptiennes. Nous avons traversé le canal de Suez le 18 décembre 2022 avec un niveau de risque maîtrisé, dans un convoi ouvert par une corvette égyptienne et en coordination avec un très important dispositif de sécurité terrestre mis en place tout le long du canal par les forces armées égyptiennes. Ce qui traduit non pas une appréhension mais la volonté commune que ce franchissement se déroule en toute sécurité.

Pourquoi avoir changé de théâtre, être passé en mer Rouge, puis en océan Indien si Daesh, et le terrorisme sont toujours actifs, voire se développent au Levant?

Ce n’est pas parce que le groupe aéronaval a quitté la Méditerranée que les forces armées françaises ont abandonné la lutte contre Daesh. Lorsque nous contribuons à l’opération Chammal, nous renforçons un dispositif permanent qui s’appuie notamment sur l’engagement de l’Armée de l’air et de l’espace à partir de la base aérienne projetée au Levant. Nous agissons en complémentarité, depuis la Méditerranée orientale, mais aussi du nord de la mer Rouge, ce que nous avons fait d’ailleurs jusqu’à la fin du mois de décembre, et si c’était nécessaire du Golfe arabo-persique. De manière plus générale, je pense que c’est important de montrer que nous respectons tous nos engagements: nous avons montré notre détermination à lutter contre le terrorisme, à renforcer la posture de défense et de la dissuasion de l’alliance en Europe de l’Est et à défendre notre liberté d’action partout en Méditerranée.

Le 21 décembre 2022, l'hélicoptère Panther de la flottille 36F déployée sur la frégate de défense aérienne Forbin conduit un PHOTEX du porte-avions Charles-De-Gaulle pour le passage à l'année 2023. Depuis le 15 novembre 2022, le groupe aéronaval a été déployé en Méditerranée, mer Rouge et océan Indien dans le cadre de la mission Antarès. ©Rachel Bodier / Marine Nationale.

Retour sur le début de la mission Antarès. Le président Macron, lors de sa visite à bord du Charles-De-Gaulle, a parlé d’un comportement inamical à propos des Russes. Pouvez-vous détailler?

Pendant Antarès, la majeure partie des interactions avec les forces russes ont été professionnelles mais certaines, trop proches de nos bâtiments, ont pu mettre en cause la sécurité de nos activités et ont été jugées inamicales. Nous avons l’habitude, en mer et dans les airs d’être au contact des forces russes, avec des comportements parfois provocants. Même si nous étions en coordination avec nos alliés dans une situation beaucoup plus favorable de supériorité aéromaritime en Méditerranée, cela a requis une vigilance permanente des 3.000 militaires du groupe aéronaval pour être capable d’éviter la surprise, mais également la méprise sur les intentions des Russes.

Par rapport aux missions Clemenceau, quelles différences notables avez-vous relevées en Méditerranée orientale?

La posture et le comportement des forces russes sont très différents, moins de bâtiments, moins d’aéronefs, moins d’activité, des interactions moins provocantes. L’analyse partagée avec la chaîne de commandement, c’est que ces forces sont fatiguées, isolées en Méditerranée, et qu’elles cherchent à économiser leur potentiel opérationnel et axent leurs efforts sur la protection des flux logistiques essentiels au maintien d’une présence minimale sur zone. Le deuxième point saillant, très nettement, c’est l’approfondissement de la coordination dans la planification ou la conduite de nos opérations avec nos alliés, le groupe aéronaval américain 10 autour de l’USS Bush, la force permanente de l’Otan, les états-majors de l’Alliance mais aussi nationaux, ce qui nous a permis de couvrir une vaste zone en Méditerranée au profit du renforcement de la posture de l’Alliance.

Ressentez-vous la haute intensité souvent évoquée par le chef d’état-major de la Marine?

Tous les marins savent que depuis plusieurs années la logique a changé et que si auparavant on pouvait faire la guerre à partir de la mer, aujourd’hui elle peut avoir lieu en mer. Et le passage en haute intensité en mer, ce n’est qu’une question de secondes. Donc nous y sommes parés en permanence, vigilants, avec une organisation de la force et une posture des armes adaptées, en prenant en compte tous les milieux et tous les champs. Cela demande une grande force morale, que nous nous attachons toujours à développer, à renforcer au sein de nos équipages, comme l’exercice POLARIS 21 a pu le démontrer.

DR / Nice Matin.

Pour la première fois, le SNA Suffren est déployé en opération comme l’a révélé Emmanuel Macron. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qu’il apporte par exemple?

Vous comprendrez que je reste discret dans ce domaine-là. Nous avons l’habitude d’intégrer des sous-marins au sein du groupe aéronaval. La complémentarité des moyens du groupe aéronaval démultiplie son efficacité, élargit la palette des modes d’action possibles. C’était déjà le cas avec le SNA de type Rubis, la modernité du Suffren accroît encore les performances. Sa létalité est également supérieure, il fait peser une menace plus importante et l’emport du missile de croisière navale et la capacité de mise en œuvre de forces spéciales permet de travailler sur des modes d’action nouveaux. Nous avons beaucoup travaillé pour accélérer l’intégration du SNA Suffren dans la force et optimiser son emploi.

Un mot sur les attentes de votre passage en océan Indien. Ce n’est pas la première fois, mais on a l’impression que l’action est ailleurs, plus à l’ouest…

L’océan Indien est une zone de tensions, parfois croissantes. C’est une zone de compétition permanente, une zone de conflit larvé, une zone de frictions, où la situation peut se dégrader très rapidement. En déployant le groupe aéronaval en océan Indien, la France démontre sa capacité et sa volonté d’y être un acteur de sécurité majeur en y déployant un moyen de premier plan pour renforcer sa capacité d’appréciation autonome de situation, essentielle pour prévenir les crises, mais également pour consolider, développer ses partenariats stratégiques et ses points d’appui. Dans le contexte de changement des influences dans la région, le déploiement du groupe aéronaval est un témoignage de crédibilité, de fiabilité de notre détermination à faire respecter le droit international et la liberté de circulation maritime et aérienne. C’est aussi un message de rassurance. Et puis, vis-à-vis de nos compétiteurs, quels qu’ils soient, la capacité du groupe aéronaval à se déployer loin et longtemps, à soutenir des opérations aux objectifs très divers, à agréger, à fédérer autour de lui des partenaires de nations très différentes, est un signal extrêmement fort.

Question d’ordre sanitaire: la France est touchée par une triple épidémie. Comment est la situation à bord du porte-avions et des autres unités du GAN?

La situation est très saine, il n’y a aujourd’hui aucune épidémie au sein des unités du groupe aéronaval. Nous avons pris des mesures de prévention avant le début de la mission (le 15 novembre 2022) pour que le Covid ne soit pas un sujet. Nous restons vigilants également sur d’autres terrains épidémiologiques, comme la grippe qui circulait lors de notre dernière escale à Djibouti.

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