A-t-elle profité de la crise sanitaire pour s’enrichir illégalement? C’est la question que la justice niçoise s’est dans un premier temps posée en examinant les pratiques d’une pharmacienne de 60 ans, installée près de la gare du Sud. Au terme de plusieurs heures d’audience, marquées par de fermes dénégations de la prévenue, la décision a été mise en délibéré et sera rendue le 20 juin.
L’enquête a démarré en 2021, après plusieurs signalements adressés à l’Agence régionale de santé (ARS) et à l’Ordre national des pharmaciens, notamment par le syndicat de la profession. Une première inspection en septembre dans l’officine met alors en lumière l’usage de tests salivaires avec promesse de résultat en 15 minutes pourtant interdits à l’époque. Leur fiabilité et sensibilité ayant été jugée insuffisante, leur utilisation avait été proscrite (1).
À la barre, la pharmacienne tente de se défendre: "Je n’ai rien voulu cacher, car je pensais être dans mon bon droit. Je faisais la publicité de ces tests sur les réseaux sociaux et sur ma vitrine. Vous imaginez bien que si j’avais voulu frauder, je ne l’aurais pas crié sur tous les toits." Une explication jugée toutefois peu convaincante par les parties civiles. À savoir, la CPAM représentée par Maître Magali Di Crosta et le Conseil national de l’ordre des pharmaciens (CNOP) par Maître Beatriz De Silva. Le conseil du CNOP fait d’ailleurs remarquer: "Il y avait une communication très claire à cette période. Chaque matin, le professeur Salomon détaillait les consignes à la télévision ou à la radio".
Maître Adrien Verrier, en défense, en total désaccord avec sa consœur, plaide la confusion générale: "Il y avait sans cesse des informations et des contre informations, on en perdait notre latin".
Une fraude à la facturation pointée du doigt
Au-delà de l’usage interdit, c’est également la facturation de ces tests à la CPAM qui est remise en cause. Grâce à une simple manipulation informatique – le choix d’une mention "autre" dans un logiciel –, la pharmacienne a pu se les faire rembourser indûment par l’Assurance maladie. Un procédé qualifié de frauduleux par le procureur Christophe Tricoche: "Elle n’a pas respecté ses obligations déontologiques et a mis des patients en danger. De plus, un professionnel de santé est censé maîtriser les règles de facturation." Il ajoute: "C’est tout même étonnant, c’est la seule pharmacie qui a été signalée pour cela sur les 1.814 que compte la région". La prévenue évoque pour sa part un "acharnement" de ses confrères, attribué à l’agrandissement de sa pharmacie en 2019.
Des pratiques professionnelles controversées
Autres accusations portées contre la prévenue à la suite d’une seconde inspection en décembre 2022: l’absence régulière d’un pharmacien titulaire dans l’officine au moment des ventes, et l’intervention de personnel non diplômé pour vendre des médicaments. Ce que la loi interdit strictement. "Même pour une simple boîte de Doliprane, cela ne peut être fait sans pharmacien", a rappelé le président du tribunal, Christian Legay. La mise en cause dément: "Il y avait toujours un professionnel présent". Pourtant, plusieurs anciens salariés ont affirmé le contraire.
Il lui est également reproché d’avoir fourni des médicaments à substance vénéneuse ou stupéfiants, sans pouvoir fournir les ordonnances relatives à ces derniers. Notamment à un couple d’infirmiers étrangers, qui ont par ailleurs été condamnés à 3 ans de prison dont un an ferme pour exercice illégal de la profession de médecin.
Un préjudice estimé à 53.000 euros
Le préjudice estimé par la CPAM s’élève à environ 53.000 euros. "On est loin des fraudes massives qu’on voit d’ordinaire", a nuancé Me Verrier, tout en reconnaissant la portée sanitaire de l’affaire.
Le procureur Christophe Tricoche a requis 18 mois entièrement assortis d’un sursis simple, une amende de 30.000 euros pour la pharmacienne, 75.000 pour l’officine, et une interdiction avec sursis d’exercer pendant trois ans.
1. Les tests salivaires, mais non rapide, ont été déployés dans les écoles seulement.
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