La scène s’est déroulée à moins de 500 mètres du palais de justice de Nice, là où l’accusé comparaît depuis jeudi pour assassinat. Le 27 octobre 2020, vers 22 heures, en plein confinement, une patrouille de police tombe sur le suspect. Il est couvert de sang. Dans le même temps, un appel paniqué au 17 signale un homme agonisant, 109 quai des Etats-Unis.
Un certain Omar, 29 ans, vient d’être atteint de cinq coups de couteau, notamment au poumon et au larynx. Il est en train de succomber à une hémorragie massive. Un couple de touristes et une serveuse tentent des points de compression puis un massage cardiaque mais à l’arrivée des secours, il est trop tard.
Pour justifier son acte, Ahmed Ibrahim, 34 ans, évoque des insultes et des menaces proférées le matin même.
La victime était allongée sur un duvet, peut-être même endormie, sur la terrasse de la plage Beau-Rivage quand elle a été attaquée par l’accusé. Malgré ses blessures, Omar a tenté de rattraper son agresseur. Il a eu la force de grimper les escaliers qui débouchent sur la promenade des Anglais avant de s’effondrer sur le terre-plein, juste après la piste cyclable.
Couteau volé
Un couteau de cuisine est découvert sur la terrasse maculée de sang par les enquêteurs de la brigade criminelle. L’accusé l’a volé sur une table de restaurant peu avant le drame. "Reconnaissez vous avoir tué Omar?", questionne la présidente Emmanuelle De Rosa.
"C’était pour me défendre, répond d’emblée l’accusé en langue arabe. C’était lui ou moi. Il me menaçait. Et pourquoi il est en France, lui, s’énerve l’accusé. Il a dépassé les limites. Il a détruit ma vie. Je suis là à cause de lui. Pourquoi je suis là? C’est lui le criminel, c’est lui qui a commencé." La présidente lui demande baisser d’un ton.
Les deux compagnons d’infortune d’Omar, qui eux aussi comptaient passer la nuit sur la plage, contestent la version de l’accusé et cette prétendue querelle. Anapatou, un Nigérian, reste interloqué: "La veille, ils riaient ensemble. Ibrahim nous avait même coupé les cheveux."
Ahmed Ibrahim ne regrette rien. Pas l’ombre d’un remords. "Si je n’avais pas été désarmé, je l’aurais découpé et mis sur un barbecue", a-t-il confié en garde à vue. Les policiers de la brigade criminelle découvrent que le suspect s’est déjà montré violent avec des compatriotes. Il se dit jalousé parce que titulaire d’un titre de séjour de dix ans, en dépit du rejet de sa demande d’asile politique.
Paranoïaque?
Me Antoine Dalbera, son avocat, avance surtout l’hypothèse d’une paranoïa. Le Dr Lay-Macagno, l’expert-psychiatre la réfute: "Sa victimisation permet de rationaliser son échec d’insertion. Son mode de fonctionnement est celui d’une personne psychorigide, en détresse." "Je pense qu’il a davantage besoin de médecins que de geôliers", plaide Me Dalbera qui regrette l’absence de contre-expertise.
Pour l’avocate générale Sandra Verbrugghen, Ahmed Ibrahim est "pleinement responsable" de son crime. "Son intention homicide est d’une rare intensité." Pas de trace d’alcool ou de drogue pour expliquer une telle rage destructrice.
La magistrate demande "une peine d’éviction sociale". La cour d’assises a suivi à la lettre les réquisitions: Ahmed Ibrahim a été condamné vendredi après-midi à trente ans de réclusion criminelle dont deux tiers de sûreté et une interdiction définitive du territoire national.
L’eldorado rêvé depuis Khartoum s’est transformé, à Nice, en un cauchemar sanglant. Et Omar reste à tout jamais une victime inconnue.
commentaires