Présumée complice dans une affaire de vente de tableaux, cette résidente monégasque livre ici, en exclusivité, sa version des faits. Et raconte ses relations avec le couple Rybolovlev.
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Elle est présumée complice dans l'affaire d'escroquerie qui secoue le monde de l'art depuis plus d'un mois. Tania Rappo, résidente monégasque de 64 ans, dotée de la double nationalité bulgare et suisse, a été placée en garde à vue pour 96 heures, le 25 février dernier, en même temps qu'Yves Bouvier, marchand d'art suisse reconnu, dans les locaux de la Sûreté publique de Monaco. Inculpation : blanchiment.
La victime ne serait autre que Dmitri Rybolovlev, multimilliardaire et propriétaire de l'AS Monaco. Durant une dizaine d'années, l'homme d'affaires russe a rassemblé une collection d'œuvres uniques pour un coût estimé à près de 2 milliards d'euros.
Modigliani, De Vinci, Van Gogh, Cezanne, Picasso... En tout, c'est une quarantaine de transactions qui ont été effectuées grâce à Yves Bouvier. Tania Rappo, amie proche du couple Rybolovlev durant de longues années, a, quant à elle, servi d'intermédiaire entre le vendeur et l'acheteur.

A ce titre, elle a encaissé des commissions. Chose qu'elle ne nie absolument pas.
Alors qu'Yves Bouvier (photo ci-contre) a tenu à donner sa version des faits le 6 mars dernier dans le quotidien suisse Le Temps - qui a d'ailleurs révélé l'affaire - Tania Rappo a décidé de contre-attaquer et de s'expliquer dans les colonnes de Monaco-Matin.
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Comment avez-vous rencontré le couple Rybolovlev, à l'époque encore marié ?
C'était aux alentours de l'année 1996, à Genève. Mon mari était dentiste d'Elena Rybolovleva. Je suis Bulgare mais j'ai appris le russe assez jeune. Quand elle a su que je parlais sa langue, elle a voulu me rencontrer. Je l'ai aidée pour plusieurs choses et surtout à s'intégrer. Elle avait tout d'un petit oiseau fragile. Je l'aidais à faire des lettres, des papiers... Et puis on s'est perdues de vue car je voyageais beaucoup à l'époque. Quelque temps après, on s'est retrouvées et elle m'a présenté son mari, Dmitri. C'est un homme fascinant mais qui vous glace immédiatement le sang. C'est quelqu'un de dur et froid, qui ne parle pas beaucoup. Le lendemain de cette rencontre, il m'a appelé car il voulait que je l'aide à devenir membre du golf club de Genève. Je les aidais aussi pour un problème de passeport... Je n'ai jamais été rémunérée pour ça et je ne l'aurais jamais demandé. C'était vraiment des services, j'étais devenue très proche d'Elena et une amie de la famille.
Quel a été votre rôle, au départ, dans ces achats de tableaux ?
Un jour, il m'a dit qu'il voulait acheter des tableaux. Je n'ai jamais été spécialiste dans ce domaine mais j'ai pu lui trouver quelqu'un pour son premier achat. C'était un Chagall. C'est là que j'ai vraiment découvert le business de l'art. Avec le jeu des intermédiaires, le tableau, qui valait 5 millions au départ, allait lui être vendu 8 millions. Par le biais de mes contacts, j'ai appris qui étaient les premiers vendeurs. J'ai directement présenté ces personnes à Rybolovlev. Je lui ai donc fait économiser 3 millions d'euros. Et cela a été la seule et unique fois où il y a eu un rapport d'argent direct entre lui et moi. Il m'a d'ailleurs reversé 50 000 euros. Mais il est important aussi de noter que quelque temps plus tard, il l'a lui-même revendu 12 millions d'euros !
Comment a-t-il rencontré Yves Bouvier ?
Dmitri l'a rencontré dans son port franc à Genève (Yves Bouvier en est le propriétaire, NDLR). J'étais là, comme toujours, car je faisais la traduction pour eux, et Elena y tenait. Quand on est sortis de ces entrepôts, je me souviens très bien qu'il a dit à sa femme : « C'est exactement quelqu'un comme ça qu'il nous faut. » Bouvier connaissait tout le monde et les ventes se faisaient en toute discrétion. Mais le lendemain, c'est Yves Bouvier qui m'appelle et qui me dit qu'il souhaite le rencontrer mais qu'il n'ose pas l'appeler directement. J'ai prévenu Dmitri et il a dit oui tout de suite. On s'est donc retrouvés tous ensemble et ils avaient l'air de s'entendre parfaitement. D'ailleurs, Dmitri m'a demandé de partir pour qu'ils puissent évoquer certainement les aspects financiers et certains accords. Mais c'était une chose tout à fait normale puisque ce sont des gens qui aiment la discrétion. A la suite de cet entretien, c'est Bouvier lui-même qui me remercie d'avoir facilité la rencontre et il me précise : «S'il y a transaction, je vous verserai quelque chose.» Sur le moment, je ne l'ai pas vraiment cru, et puis je ne savais pas trop ce qu'il adviendrait. J'aurais arrangé ces rendez-vous de toute façon... Mais surtout, personne ne pensait à cette époque que Rybolovlev achèterait 40 tableaux avec des montants aussi élevés.
Comment s'est déroulée la première vente avec Yves Bouvier ?
Très rapidement, il y a eu un Van Gogh. Je suis allée voir le tableau avec Elena. Mais je n'ai pas su tout de suite que la transaction avait eu lieu. C'est en recevant, comme promis, de la part d'Yves Bouvier, ma commission, que j'ai compris que Dmitri l'avait acheté. J'ai d'ailleurs découvert le prix de la vente seulement sur la facture de Bouvier. Et cela a duré comme ça dix ans, sans jamais que je connaisse le prix des tableaux avant la réception de ces factures.
Pourquoi Yves Bouvier a continué à verser les commissions alors qu'il pouvait clairement se passer de vous par la suite ?
C'est vrai que, comme la plupart des gens, il aurait pu verser juste pour les premiers tableaux car ensuite il a développé une relation personnelle avec Dmitri et il n'avait plus besoin de moi. Je pense que c'était pour me fidéliser, car il pensait peut-être que j'aurais pu présenter d'autres vendeurs à Rybolovlev. Vous savez, les galeristes du monde entier couraient derrière lui pour lui proposer des tableaux. Il s'était mis à acheter comme un fou. Mais si Dmitri avait décidé d'aller voir ailleurs, je n'aurais jamais pu l'en empêcher. Monsieur Rybolovlev n'est pas du tout un homme influençable.
Dmitri Rybolovlev savait-il que vous touchiez des commissions ?
Je suis sûre qu'il le savait, il connaît parfaitement le monde des commissions. C'est un homme d'affaires averti. Il est vrai que je ne lui ai jamais dit directement et je rappelle encore une fois qu'on ne parlait jamais d'argent ensemble. Je ne le lui ai jamais caché non plus et s'il m'avait demandé je lui aurais dit. Pour preuve, je versais cet argent sur mes comptes à la HSBC Monaco, là même où il a les siens.
Pourquoi pensez-vous que Dmitri Rybolovlev a déposé plainte contre vous aussi ?
Je suis convaincue que la raison tient au fait qu'il voulait rattacher artificiellement cette affaire avec la Principauté où je suis domiciliée. Je répondrai en vous racontant ce qu'un jour il m'a confié : « Il y a trois endroits au monde où je peux faire ce que je veux : chez moi à Skorpios(en Grèce, NDLR), à Chypre et à Monaco.» Mais je crois que pour Monaco, il se trompe. La preuve, après 96 heures de garde à vue, j'ai été libérée sans caution.
Comment s'est déroulée votre arrestation à Monaco ?
J'étais chez moi et huit policiers sont venus pour une perquisition. Ils m'ont dit qu'il m'embarquait, qu'ils devaient me mettre les menottes mais ils ne l'ont pas fait. Pour que vous compreniez quel personnage est Monsieur Rybolovlev, il faut que je vous précise que je le voyais à peu près quatre ou cinq fois par an ces dernières années. L'avant-dernière fois que je l'ai vu, c'était pour son anniversaire le 22 novembre dernier avec beaucoup d'autres personnes. La veille de mon arrestation, le 24 février, Rybolovlev nous a invités chez lui, mon mari et moi, pour un dîner en compagnie de son papa et sa maman. Il m'embrassait, il me faisait boire, il m'a même dit : « Reprends encore une vodka ! » Quand je refais le film dans ma tête, il est très clair qu'il savait que j'allais être arrêtée...
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