Un quinquagénaire imposant, bipolaire et hargneux a comparu devant le tribunal correctionnel pour des faits de violences d’un animal de compagnie. Condamné à trois mois d’emprisonnement assortis du sursis, le prévenu a quitté la salle d’audience sans avoir pris véritablement conscience, semble-t-il, qu’un bull-terrier peut devenir un chien dangereux à la vue d’autres mammifères domestiques.
Les faits ont été constatés le 6 janvier 2021, sur le chemin de la plage Marquet à Cap-d’Ail, apprend-on par le président Florestan Bellinzona. L’élément perturbateur qui enclenche l’infraction apparaît au moment de la rencontre des deux compagnons à quatre pattes.
L’un, de race écossaise, est tenu en laisse par la victime. L’autre, aux origines anglaises, vagabonde en totale liberté. La reniflade réciproque engendre une réaction de rivalité plutôt violente de la part du roquet british. Reconnu comme un animal de combat, il mord à la gorge le premier, rejeton d’une lignée de chiens de berger. La plaignante, affolée, va défendre son toutou afin d’éviter son étouffement.
"On vous sert un récit de broderie"
Elle frappe l’animal provocateur, qui réplique en refermant ses mâchoires sur la cheville de la demanderesse venue plaider sa cause au cours d’une interminable audience.
"Pourquoi avoir autant attendu pour maîtriser votre bull-terrier?", demande le magistrat. "Le temps que j’arrive, répond le prévenu. J’étais à une dizaine de mètres. On vous sert cependant un récit de broderie. C’est plutôt le chien de Madame qui a agressé le mien. Je me suis même blessé au doigt pour lui tenir la gueule. Regardez mes quatre points de suture. C’est la preuve que je suis intervenu pour contenir mon animal! Pourtant, il ne faisait qu’obéir à son instinct."
Les propos suivants frôlent l’incompréhension. Le récit de cet être singulier, à la double nationalité française et monégasque, apparemment bien connu pour ses extravagances caractérielles, dévie sur des antécédents équivoques.
"Je veux la vérité, dénonce-t-il. J’ai du mal à garder mon calme en pareil cas. Voilà vingt ans que je me bats pour faire valoir mes droits à Monaco. J’ai même mouchardé sur une personnalité qui touche 70.000 euros par mois. Il n’avait pas tenu ses promesses. Il n’a rien fait! Comme cette dame. C’est son chien qui a sauté sur le mien. Mensonges et discrimination!"
Réaction instantanée de la victime. "C’est faux! J’ai des témoins qui confirment votre passivité. Tout comme la blessure à la gorge décrite par le vétérinaire. Je demande 1.000 euros!". L’expression de hargne et de défi envahit d’un seul coup le visage de l’agent administratif. Il fait fi des décisions du président et discute directement avec la plaignante. Il hurle et sa voix couvre et coupe toute réflexion.
La police contrainte de rentrer dans la salle
C’est trop! Le magistrat sort de ses gonds. Il s’égosille afin d’obtenir le silence et menace le prévenu d’exercer son droit d’exclusion. Mais rien n’apeure le prévenu. Au point de déclencher la venue d’un peloton de policiers dans le prétoire pour anticiper un imprévisible débordement.
Et à l’atrabilaire de poursuivre: "Une seule personne a été reconnaissance dans ce pays: c’est Monseigneur! Aucune autre institution de la Principauté a levé le petit doigt pour me soutenir." Finalement l’homme quitte la salle et le président peut rappeler les résultats de l’expertise psychiatrique.
"Le patient est atteint de troubles bipolaires, mais asymptomatiques. Actuellement, il est très sensible à tout ce qu’il considère comme une injustice. Outre des risques de réitération, il conteste toutes violences. Son attitude, même sans contact, peut engendrer un choc émotif pour les personnes concernées." D’ailleurs, une autre partie civile sur un ton apeuré, fait part de ses doléances. "Le 5 octobre 2021, au niveau de l’accueil de la CCSS, ce Monsieur était sans masque. Quand je me suis approché pour lui rappeler l’obligation de le porter, il a explosé."
Et de poursuivre: "Comme les témoins, j’étais terrifié, traumatisé quand on s’est retrouvé front contre front. Vous pensez, en pleine période de Covid, sans protection, avec le danger des postillons… Ce visage agressif m’a causé de longues insomnies. Le médecin m’a prescrit cinq jours de ITT, suivis de plusieurs périodes d’interruption de travail. Le préjudice est évalué à 1.151 euros."
Remise en cause de la Justice… et antécédents
Pour motiver cette réaction, le prévenu déclare: "Je suis un hypersensible. J’ai du mal à fermer ma gueule. La troisième injonction de mettre le masque m’a mis en colère. Des bleus? Ou sont-ils? Et on ose me demander le remboursement des frais médicaux? Je suis pugnace et tenace. Je n’ai aucune confiance dans votre institution. J’ai des preuves et ils le savent…"
Le magistrat, blessé dans l’honneur de sa fonction exercée dans une complète transparence, vocifère: "Ça fait 45 ans que je suis Monégasque et je n’ai jamais manqué à mon devoir!" Il coupe court à tout autre commentaire et recueille le montant de 1.582,54 euros présenté par Me Joëlle Pastor-Bensa au nom de l’assureur-loi représenté.
Le parquet note à son tour un prévenu conforté dans sa situation d’injustice et volontiers procédurier. Face aux deux événements malheureux, le substitut Maxime Maillet craint d’éventuelles réitérations des faits. "L’obligation de sortir, les interruptions intempestives et les protestations n’empêchent pas la caractérisation des infractions. Ni le comportement inadmissible et incompréhensible du prévenu. Cette dame qui vit dans le même immeuble du mis en cause retourne en arrière dès qu’elle l’aperçoit. Elle craint d’être confrontée aux tempéraments violents de cet homme irascible. Il faut avertir ce dernier sérieusement avec une peine de six mois d’emprisonnement assortie du sursis."
À la lecture du délibéré le tribunal sera moins sévère que ministère public: trois mois avec sursis. Mais avec l’obligation de verser une somme globale de 3.333,54 euros aux parties civiles.
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