Le psychiatre qui facturait jusqu'à 148 consultations par jour, a-t-il escroqué les caisses sociales?
Relaxé en première instance, le Dr Zemori est suspecté d'avoir facturé des consultations et actes fictifs. Ses avocats dénoncent des témoins aux déclarations « incohérentes et incompatibles »
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JEAN-MARIE FIORUCCIPublié le 21/02/2018 à 05:12, mis à jour le 21/02/2018 à 12:12
"il s'agit d'une carambouille où ce personnage fait signer à ses patients des feuilles de soins en blanc pour se faire rembourser."Photo Cyril Dodergny
En première instance, le tribunal correctionnel avait relaxé le Docteur Armand Zemori. Mais le ministère public et la partie civile, en l'occurrence les caisses sociales de la Principauté CCSS et CAMTI, ont fait appel de cette décision.
Ils soupçonnent toujours ce psychiatre monégasque d'avoir facturé des consultations et encéphalogrammes fictifs entre 2005 et 2008. Plus concrètement, il est question de milliers d'actes litigieux, plus une somme approximative de 725.000 euros perçue par le biais de manœuvres frauduleuses.
Lundi matin, dans son rapport, la présidente Sylvaine Arfinengo évoque l'affaire où il est essentiellement reproché au médecin d'avoir demandé le remboursement de soins non effectués ou non médicalement justifiés.
En 2008, en effet, les caisses sociales s'interrogent sur la pratique du spécialiste et considèrent un volume d'activités anormalement élevé. Les organismes opèrent alors des contrôles auprès d'un échantillon de soixante-cinq patients pour vérifier les éventuels actes fictifs, ces fameuses consultations où les malades ne seraient pas présents au cabinet.
"Il se croit intouchable"
La défense attaque déjà: "Non! Tous ont confirmé leur présence dans les lieux. Supposés fragiles sur le plan cérébral, ces clients n'étaient nullement sous dépendance envers leur psychiatre ou les médicaments qu'il leur prescrivait comme le soutiennent les caisses sociales!"
Inutile d'aller plus loin… CCSS et CAMTI déposent plainte le 2 octobre 2009 pour escroquerie. Il est alors dénoncé jusqu'à 146 actes dans la même journée du 16 août 2016.
Conseil de la partie civile, Me Frank Michel élève aussitôt la voix.
"Ce n'est pas possible! Pour une justice faite de bon sens, il y a fraude. Ce n'est pas un psychiatre. À la barre, il adopte le visage du professionnel compétent poursuivi à tort par les caisses dans une vindicte imaginaire. Or, il s'agit d'une carambouille où ce personnage fait signer à ses patients des feuilles de soins en blanc pour se faire rembourser. Il n'a aucune forme de morale : il ne pense qu'à l'argent. Il se croit intouchable parce qu'il est à Monaco et qu'il est expert ! Nous sollicitons le remboursement de 700 000 euros!"
"ce volume est possible dans mon activité"
Le praticien réfute ces allégations. "Les caisses n'ont jamais été en mesure de fournir ces justificatifs. Quand il m'est reproché d'avoir pu effectuer jusqu'à 146 actes par jour, seules ont pu être établies quelques journées en 2006 et en 2007 à 60 actes. Ce volume est possible dans mon activité, car je travaillais de 6 h 30 à 22 h 30, six jours sur sept et quelque fois sept sur sept."
Après quatre renvois et deux ans écoulés, il y a toujours autant de passion, assure le procureur Alexia Brianti. "La culpabilité du docteur est pourtant soulignée par le nombre considérable d'actes, des données comptables vérifiées, des remboursements effectués… C'est tellement éloquent que les experts n'ont pas eu besoin d'examiner les documents. 95 % des procédures HNP (honoraires non payés) ont facilité les facturations fictives…"
Après avoir tenté de battre en brèche le crédit d'honnêteté affiché par le prévenu, une peine de deux ans avec sursis sera requise, avec le régime de la liberté d'épreuve pendant cinq ans afin d'obtenir le remboursement des sommes pour la partie civile. La voix de stentor de Me Éric Dupont-Moretti, le ténor du barreau de Paris, résonne aussitôt dans le prétoire afin de s'élever contre la vision du ministère public.
"On marche sur la tête"
"Pas un nom de patient escroqué est cité, aucun n'est interrogé. Le témoin à la barre n'est témoin de rien. On reproche le rythme des consultations à mon client. On marche sur la tête. Où est l'escroquerie ? On part du principe que la mauvaise foi se présume… Au bénéfice du doute on en tire les conséquences. Respectez le principe." À la suite, Me Arnaud Zabaldano n'aura pas à pâlir. Il défend bec et ongles son client.
Jusqu'à élever aussi la voix pour déclarer: "En fait, les caisses ont établi des listings pour essayer de restituer les journées du praticien travaillées et payées. Nous contestons ces documents : ils n'apportent pas la preuve des actes pratiqués chaque jour. Les témoins ne sont pas des gens fiables. Ils ne se souviennent de rien, d'autres confirment d'abord avoir été soignés pour finalement revenir sur leurs déclarations une décennie après. Le dernier a même affirmé avoir écrit n'importe quoi dans sa déclaration versée au dossier pénal."
Et à l'avocat de conclure, après six heures de débats contradictoires: "La CCSS et la CAMTI ont finalement sorti de leur chapeau, à cette audience et après dix ans de procédure, cinq prétendus témoins dont les déclarations sont incohérentes et incompatibles. La véritable difficulté pour les caisses, c'est de justifier de la réalité des chiffres avancés, y compris lorsqu'elles sollicitent d'importants dommages et intérêts qu'elles reconnaissent d'ailleurs ne pas pouvoir justifier…"
Décision prévue le 16 avril 2018.
Les deux avocats de la défense profitent d'un instant de pause pour s'entendre sur leurs plaidoiries.Photo J.-M.F..
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