Comment la justice monégasque veut combattre les violences intrafamiliales

Après avoir dévoilé les chiffres relatifs aux violences faites aux femmes à Monaco, le secrétaire d’Etat à la Justice, Robert Gelli, a dévoilé les conditions à réunir pour mieux combattre le fléau.

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Thibaut Parat Publié le 01/12/2020 à 17:25, mis à jour le 01/12/2020 à 17:25
En 2019, 31 faits de violences envers les femmes ont été recensés par la Sûreté publique. (Illustration Jean-François Ottonello) Photo d'illustrationJean-François Ottonello

À la vue du clip de campagne, un frémissement se fait sentir dans l’auditoire. Une minute et 35 secondes mettant en scène le funeste quotidien d’une femme violentée au cœur du huis clos familial, le tout vu par le regard candide d’un enfant. Un fléau qui gangrène le monde entier.

Les chiffres sont parlants: une femme sur deux assassinée dans le monde le fut par son partenaire ou sa famille. Autre donnée brandie par le Conseil de l’Europe: 12 à 15% des femmes de notre continent sont victimes, quotidiennement, de violences domestiques. "Monaco n’échappe pas à ce fléau. Celui-ci n’est lié ni à une classe sociale, ni à une nationalité, ni à une tranche d’âge", a introduit Pierre Dartout, ministre d’État, lors d’une conférence tenue pour la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

Les chiffres monégasques, distillés à cette occasion, en témoignent. Toutefois, ceux-ci sont à relativiser et, dans les faits, demeurent sans doute sous-estimés. "Même si de plus en plus de femmes portent plainte, on sait que, pour beaucoup d’entre elles, il y a encore des obstacles psychologiques, sociaux, économiques qui font qu’elles ne font pas la démarche. Elles ont peur des conséquences", poursuit Pierre Dartout. Peut-être encore plus vrai dans un territoire étriqué de 2 km², où les nouvelles vont vite.

Monaco salué par le Grevio

Libérer la parole, faire en sorte que la honte change de camp, que les enfants ne soient plus les otages innocents d’agissements insupportables… En ce sens, dans un rapport publié le 17 septembre 2017, le Grevio (groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, ndlr) a largement salué l’engagement de la Principauté contre les violences faites aux femmes.

Depuis, la naissance du Comité pour la promotion et la protection des droits des femmes et la nomination de Céline Cottalorda (déléguée interministérielle aux Droits des femmes, ndlr) en 2018 sont venues renforcer cette noble cause, déjà portée par un solide maillage étatique, associatif et professionnel. Le cadre normatif, lui, a été jugé satisfaisant.

Un nouveau projet de loi, s’il est adopté au Conseil national, renforcera l’arsenal juridique. "Pour autant si le cadre législatif est nécessaire, il ne suffit pas, concède Robert Gelli, secrétaire d’État à la Justice. Pour permettre à la justice pénale d’atteindre son office, plusieurs conditions doivent être réunies."

Un argumentaire étayé par une étude sur les meurtres conjugaux, menée par Robert Gelli du temps où il officiait à la tête du parquet général d’Aix-en-Provence.

1. La révélation de faits
L’émergence d’une parole, on l’a dit, est souvent freinée par des obstacles de diverses natures. "Dans la quasi-totalité des cas, les proches de la victime étaient au courant des violences subies. Il est donc essentiel de permettre à ceux qui ont connaissance des faits de les révéler en offrant la possibilité de recours à des services sociaux, des associations, des numéros verts", martèle-t-il, insistant sur le rôle majeur de certaines professions, notamment de santé, pour déceler des situations de violences conjugales et alerter.

2. La prise de plainte
"J’estime que la main courante doit être bannie. L’ouverture d’une enquête, permettant de procéder à des vérifications et auditions, s’avère indispensable pour ne pas passer à côté d’une situation de détresse et de danger (...) La révélation par la femme des violences qu’elle subit doit être toujours accueillie avec un a priori favorable, une présomption de vérité", ajoute-t-il, indiquant que, pour mieux caractériser l’infraction, l’enquête ne doit pas se limiter aux déclarations des deux principaux protagonistes du dossier. Mais à l’entourage familial, amical et aux professionnels ayant pu recevoir des confidences.

3. L’accompagnement
"L’accompagnement de la victime est un autre enjeu en matière de violences conjugales. Le travail des associations d’aide aux victimes est remarquable et doit être soutenu et encouragé. Au-delà de l’aide d’urgence consistant souvent à trouver un hébergement, le suivi tout au long du processus judiciaire, sur le plan psychologique, doit être assuré."

À Monaco, ces liens instaurés dans le cadre du réseau de référents ont déjà permis d’assurer ces missions.

4. La réponse pénale
Dans ce genre de dossiers, la réitération des faits et la récidive ne sont pas rares. "Il y a tout intérêt à apporter une réponse judiciaire dès les premiers faits, quel que soit leur niveau de gravité. De plus, je ne verrai que des avantages à ce que nous puissions, à Monaco, mettre en place des programmes de prise en charge des auteurs de violences conjugales."

5. La question des enfants
Bien souvent, l’enfant est un témoin direct des violences conjugales. Et, de fait, une victime collatérale. "Le risque de les voir, à l’âge adulte, reproduire les situations qu’ils ont vécues, enfant, est loin d’être négligeable. Il y a une double préoccupation à avoir le plus tôt possible: éviter que l’enfant prenne sur lui, en lui, et lui permettre de verbaliser cette situation. Et, d’autre part, prévoir dans les cas les plus difficiles, une assistance, un accompagnement plus suivi au besoin dans le cadre d’une assistance éducative."

Robert Gelli, secrétaire d’Etat à la Justice.

Un projet de loi sur les agressions sexuelles déposé

Actuellement, la loi du 20 juillet 2011 donne un cadre juridique au traitement de toutes les formes de violences, avec l’incrimination du harcèlement, du mariage forcé, des mutilations génitales, la reconnaissance du viol entre époux, la prise en compte du caractère domestique des violences dans l’individualisation et l’aggravation de la peine.
Il y a quelques jours, un nouveau projet de loi a été adopté en conseil de gouvernement et constitue selon Robert Gelli, secrétaire d’État à la Justice, "un nouveau pas supplémentaire en faveur de la protection des victimes". Le texte, déposé au Conseil national pour y être étudié, porte réforme des dispositions pénales relatives à l’incrimination des agressions sexuelles.

En résumé? "Le gouvernement princier estime essentiel que la définition juridique des viols et des autres agressions sexuelles soit désormais fondée sur l’absence d’un consentement libre et non équivoque. C’est pourquoi, il importe que le mot ‘‘consentement’’ apparaisse explicitement au sein de la définition des infractions sexuelles", a détaillé Laurent Anselmi, président du Comité pour la promotion et la protection des droits des femmes.

Dans l’assistance, Me Régis Bergonzi, bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Monaco, a plaidé pour la création à Monaco « d’un fonds d’indemnisation des victimes » en cas d’insolvabilité de l’auteur des faits. "C’est certainement un sujet sur lequel il faudra réfléchir à un moment ou un autre", a répondu Robert Gelli.

Les chiffres à Monaco

En 2019
Selon l’IMSEE, 31 faits de violences envers les femmes ont été recensés par la Sûreté publique. Cela a débouché sur 4 condamnations. En parallèle, l’association d’aide aux victimes d’infractions pénales (AVIP) a reçu 42 femmes victimes de violences. Le CHPG, lui, a eu à traiter 113 cas de violences à l’égard de la gent féminine.

En 2020
Depuis le début de l’année, 24 procédures pénales ont été ouvertes au parquet général de Monaco, toutes infractions confondues. Dans 18 d’entre elles, le conjoint ou l’ex-conjoint est en cause.

Où en sont ces 24 affaires? Pour dix d’entre elles, l’enquête est toujours en cours, 3 ont donné lieu à une dénonciation officielle aux autorités judiciaires françaises.
Une procédure a été jugée et a donné lieu à une condamnation à une peine d’emprisonnement avec sursis, avec interdiction d’entrer en contact avec la victime.

Une autre a été clôturée à la suite de l’admission en service de psychiatrie du mis en cause.

Enfin, 9 procédures ont été classées sans suite, dont 6 en raison du caractère insuffisamment caractérisé de l’infraction.

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