"C’est un combat en plus": au procès du 14-Juillet, les victimes s’impatientent face au retard des remboursements de frais

Le procès de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice reprend ce mardi. À une semaine du verdict, de nombreuses parties civiles déplorent de gros retards dans le remboursement des frais de justice.

Christophe CIRONE Publié le 06/12/2022 à 07:30, mis à jour le 05/12/2022 à 20:52
Me Nicolas Gemsa, avocat de nombreuses parties civiles, au palais Acropolis avec Nadège Renda, sa fille Coralie, Julie Serfaty et Frédéric Zaborowski. Tous attendent d’être remboursés. (Photo Christophe Cirone)

Plus de 10.000 euros! C’est le total des frais engagés par Nadège Renda et Georges Richard pour suivre le procès de l’attentat du 14-Juillet. "Sans compter les 3700 euros de perte de salaire pour Georges, qui a pris un congé sans solde." Un gouffre. Or les remboursements tardent à arriver. Si bien qu’à une semaine du verdict, ce couple de Cagnois, victimes psychologiques, n’est pas sûr de pouvoir monter à Paris le 13 décembre.

Certes, Nadège et Georges ont "joué de malchance". Ils avaient payé plus de 3000 euros une location à Paris pour six semaines, jusqu’au jour de leur déposition. Ce logement était un taudis: ils ont tout perdu. Nadège a aussi eu des frais médicaux imprévus. Elle comptait au moins sur le remboursement des tickets de train, réservés à la mi-août. Or à ce jour, toujours rien.

Si le cas de Nadège et Georges est extrême, il est loin d’être isolé. Alors que le procès entre dans sa dernière ligne droite ce mardi, avec les réquisitions du ministère public, de nombreuses parties civiles attendent toujours le remboursement de leurs frais de justice. Et elles expriment de plus en plus fort leur impatience.

"Un effort de trésorerie"

En théorie, tout a été fait pour faciliter leur participation à ce procès historique. À défaut de l’organiser à Nice, le ministère de la justice a mis les moyens: tickets d’avion et de train remboursés, forfait de 110 euros par nuit d’hôtel à Paris, 17,50 euros pour chaque repas, et une indemnité de compensation de 43,78 euros par jour de présence, à Paris comme au palais Acropolis de Nice, où est retransmis le procès - un dispositif il est vrai hors norme.

Mais en pratique, tout ceci prend du temps. Beaucoup, parfois. Or "270 victimes sont venues témoigner à Paris, rappelle Me Nicolas Gemsa, avocat de trois cents parties civiles. La plupart sont venues de Nice, mais aussi de Toulouse, de la Réunion... Ces personnes qui ont fait un effort de trésorerie sont aujourd’hui exsangues."

"Je me suis restreinte au cas où"

Frédéric Zaborowski, 49 ans, est sapeur-pompier professionnel à Nice. Victime psychologique, il est en arrêt "à cause du procès". Frédéric est monté à Paris du 10 au 12 octobre, avec sa compagne, pour témoigner. Coût: environ 1000 euros - avion, hôtel et repas. Il n’est toujours pas remboursé. "Mais je ne regrette pas d’être monté. Je suis venu avec mon sac à dos rempli de peines, pour le laisser à la Cour. Ça aide à avancer dans un processus de guérison."

Julie Serfaty, autre victime psychologique, avait anticipé. "Je me suis restreinte au cas où je ne serais pas remboursée", sourit cette Niçoise de 28 ans. Ses trois jours passés à Paris lui ont coûté une centaine d’euros, le coût du train. "J’étais hébergée par mon frère. Il m’a laissé son studio de 14m2. Je mangeais des sandwiches. J’y suis allée au minimum."

Certains renoncent à témoigner

D’autres victimes ont été remboursées, au moins partiellement. C’est le cas d’Alain Dariste, même s’il trouve la grille tarifaire très limite. Mais au sein de l’association Promenade des Anges, ce grand-père endeuillé connaît des membres "qui n’ont rien touché depuis le début", ou qui ont renoncé à venir témoigner. "C’est frustrant! À Paris, c’est plus vivant, on est acteur du procès. Ici [à Acropolis], on ne participe pas, même si l’intention est bonne."

86 morts, 458 blessés, 2500 victimes prises en charge par le Fonds de garantie: face à une telle tragédie, la question de frais pourrait paraître secondaire, voire indécente. Elle ne l’est pas.

"Nous avons besoin d’être présents physiquement à Paris pour le verdict", explique Nadège Renda. Elle envisage de gager ses bijoux au Crédit municipal pour pouvoir monter. Au-delà, ce retard est mal vécu chez les victimes: "C’est un combat en plus, qui n’est pas nécessaire dans le contexte actuel..."

"Les sommes seront payées avant la fin de l’année"

Depuis l’ouverture du procès le 5 septembre, environ 120 parties civiles assistent chaque jour à l’audience, dont 80 dans la salle de retransmission aménagée à Nice.

"À ce jour, 250.000 euros de remboursement de frais engagés et d’indemnité de compensation ont été sollicités par les parties civiles, indique une source judiciaire. La moitié a d’ores et déjà été réglée. Pour le surplus, sous réserve que l’ensemble des pièces nécessaires figurent au dossier de demande de remboursement, les sommes sollicitées seront payées avant la fin de l’année."

Pourquoi des retards pouvant aller jusqu’à plusieurs mois? "Le délai peut paraître long pour les parties civiles, concède cette source. Mais les règles de comptabilité publique exigent des vérifications strictes et un processus de validation avant paiement. "

Dans le cas du procès de l’attentat du 14-Juillet, les demandes "font l’objet d’une attention particulière, au regard de la durée du procès et des dépenses engagées par les parties civiles."

Les dépenses engagées par l’État sont, elles aussi, à la mesure des enjeux. Location du palais Acropolis, personnel mobilisé, recrutement de vacataires, remboursement de frais… Notre source judiciaire confirme : "Le coût global de l’organisation du procès se chiffre en millions d’euros".

Mais pour les victimes, la quête de vérité et de résilience n’ont pas de prix.

L’Etat a loué une partie du palais Acropolis pour y retransmettre le procès. Photo C. D.

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