"Mesdames, Messieurs... Levez-vous." Ce vendredi, au terme de deux semaines de procès portant sur l’affaire des vrais-faux résidents belges en Principauté, le président du tribunal correctionnel invite les 11 prévenus à prendre la parole une ultime fois, s’ils le désirent. Un seul saisit l’opportunité : Christian Carpinelli, pierre angulaire d’un volumineux dossier né fin 2016 d’écoutes téléphoniques et de dénonciations par son épouse d’alors de faits de corruption.
Durant l’intégralité des débats à la barre, cet ex-haut gradé de la Sûreté publique accusé d’avoir perçu pots-de-vin et cadeaux pour avoir apporté son précieux concours dans l’attribution et le renouvellement de cartes de séjour, pendant et après sa carrière, s’est montré volontiers volubile et s’est affiché en pourfendeur du système monégasque. Cette fois, il se restreint à une succincte intervention. "Je persiste à affirmer que les dossiers que j’ai traités l’ont été conformément au texte actuel, et celui-ci a été appliqué de la sorte de 1964 à ma retraite en 2013. Qu’il y ait eu remise d’argent ou de cadeaux, les cartes auraient été délivrées de la même manière", a conclu celui contre qui le premier substitut du procureur général, Julien Pronier, a requis la plus lourde peine : 4 ans de prison ferme et 180.000 euros d’amende.
« Ils sont tremblants »
À l’instar d’autres avocats de la défense, son conseil Me Pierre-Olivier Sur a fait valoir son interprétation des textes autour de l’effectivité de la résidence et, ce fut tout l’objet du débat à l’audience, de la nécessité de résider au moins 3 mois à Monaco. "La vérification de cette effectivité n’est pas requise dans le cadre des cartes de séjour temporaires et ordinaires octroyées aux Belges, qui sont l’objet de votre saisine", a-t-il martelé avant d’évoquer, à nouveau, la correspondance manuscrite entre le prince Alexandre de Belgique et le prince Rainier III facilitant l’installation de Pierre Salik à Monaco, personnage principal côté belge. "Le fait du Prince est imprescriptible. Qui sont ces prévenus face à ces lettres ? Ils sont tremblants devant le Souverain", tonne-t-il.
Sur le volet corruption : non, serine-t-il, Christian Carpinelli n’a rien perçu quand il était aux affaires à la Sûreté publique. "Il n’y a aucun élément matériel et aucun crédit ne peut être apporté aux déclarations de son ex-épouse, une menteuse à 100 %. Quant à ses aveux en garde à vue et dans des lettres en détention, il était sous psychotropes et, en pleine pulsion suicidaire procédurale, a lâché ce que les enquêteurs voulaient obtenir de lui comme aveux."
Après sa retraite, et l’enquête le démontre, il a allègrement bénéficié des largesses de Pierre Salik, touché des dizaines de milliers d’euros et reçu des cadeaux. "Cela lui a permis de payer les études de son fils à Harvard. Cela s’inscrit-il dans un pacte de corruption ? Non", affirme-t-il.
"Ces dossiers ont été traités par d’autres avant"
Même raisonnement chez Me René Schileo, avocat de Serge D., successeur de Christian Carpinelli à la tête de la section des résidents, lui aussi accusé de corruption mais dans de bien moindres proportions (1 an de prison ferme et 50.000 euros d’amende requis). "Le droit, c’est déterminer ce pacte corruptif ayant précédé ou succédé à la remise d’argent entre l’un et l’autre. L’accusateur public n’en a pas apporté la moindre preuve. Oui, il a fauté par erreur, par maladresse, mais pas contre la loi pénale", déclare l’avocat niçois.
Autre membre de la Sûreté publique sur les bancs des prévenus, René J., intervenu sur trois dossiers belges à la demande de Serge D. et Christian Carpinelli (1 an de prison avec sursis et 20.000 euros d’amende). "La prévention des faits court sur 5 mois et demi. S’il avait été un flic ripou, qu’il était dans la sphère de la magouille, pourquoi ne s’est-on pas tourné vers lui avant ? Ces dossiers ont été traités par d’autres avant, et ceux-ci ne sont pas renvoyés devant ce tribunal, souligne Me Régis Bergonzi. Il ne savait par ailleurs rien des appartements vides et des sous-locations."
"Un discours globalisant"
Aux yeux de l’accusation, un autre protagoniste demeure indispensable au fonctionnement du "système" de domiciliation fictive : Jean-Louis C., gérant de l’agence immobilière Immobilia 2000 ami de longue date de Christian Carpinelli. Mise en place de sous-locations, collecte du courrier, augmentation artificielle de l’électricité ont permis à ce que les ressortissants belges fictifs passent sous les radars de l’administration monégasque. Deux ans ferme et 180.000 euros ont été requis à son encontre.
"Il y a eu un discours globalisant dans lequel les choses ont été caricaturées pour essayer de faire croire à un ‘‘système’’ et à une ‘‘triangulation’’ criminelle entre Salik, Carpinelli et mon client, intervient Me Thomas Giaccardi, aux intérêts de Jean-Louis C.. Ce dernier n’a vu que trois fois Salik... Quant à la corruption [la supposée remise d’enveloppes d’espèces de Jean-Louis C. à Christian Carpinelli], elle repose sur les déclarations et une lettre de Carpinelli. A ce moment-là, il veut le tuer et le mettre au trou. Finalement, il avouera avoir menti."
Délibéré le 14 octobre
Tous sans exception ont plaidé la relaxe de leur client et tiré à boulets rouges sur le procureur général, dont les minutieuses réquisitions (près de 4h) ont fait l’objet de vives critiques. Certains y dénichant des "faussetés" ou des "imprécisions" ; d’autres déplorant le maigre temps accordé à leur client dans cet argumentaire fleuve et, de fait, "l’absence de démonstration juridique" quant à leur culpabilité.
La formation collégiale, présidée par Florestan Bellinzona dont la connaissance intime du dossier a été saluée par la défense, rendra son délibéré le 14 octobre.
L’affrontement entre les ex-époux Carpinelli se poursuit via les avocats
L’interrogatoire à la barre des ex-époux Carpinelli, ce mardi dans le cadre du volet "harcèlement sur conjoint" et "tentative d’extorsion de fonds" du procès (lire notre édition du 12 juin), a viré au déballage intime, ponctué de détails scabreux sur leur vie sexuelle et de graves accusations. L’affrontement entre Christian Carpinelli et Bernardette L. (*), à l’origine des dénonciations de corruption de son ex-mari dans un climat de divorce houleux fin 2016, s’est poursuivi ce vendredi au travers des plaidoiries de leurs avocats.
Avec des stratégies de défense similaire sur la forme : discréditer la personnalité de l’autre. Me Michel Cardix, avocat de Bernadette L. poursuivie par ailleurs pour "recel" et "blanchiment" aux côtés de son ex-mari, déclare qu’elle "a évolué dans une situation d’emprise, de domination et de soumission", appuyant ses dires d’une expertise psychologique réalisée sur Christian Carpinelli révélant les traits de caractère négatifs de celui-ci. "Il est juridiquement établi que n’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pas pu résister."
"Un narratif mensonger"
Me Sarah Caminiti-Rolland, conseil de Christian Carpinelli, a une tout autre lecture du dossier. "En 17 années de vie commune, tant qu’il y avait de la puissance, du pouvoir social et sexuel, on n’a pas entendu Madame (...) Tout dans ce dossier n’est que manipulation, orchestration et mensonge de sa part", insiste-t-elle. Et de réitérer son affirmation d’une entente préalable entre des officiers de policier judiciaire de l’époque et Bernadette L. pour nuire à Christian Carpinelli. "Des choses dans ce dossier nous échappent et sont hors procédure (...) Il résulte du dossier qu’elle a instrumentalisé la justice et a organisé tout un narratif mensonger. Elle s’en sert comme un pare-feu, en se faisant passer pour une victime qui a agi sous la contrainte. Ironie du sort, elle a en réalité été, elle-même, l’instrument des personnes dont le but était clairement de faire tomber Mr Carpinelli."
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