Accusée d'abus de confiance, une salariée d'une société de Dmitri Rybolovlev est relaxée à Monaco

La société Rigmora de Dmitri Rybolovlev accusait sa coordinatrice voyages d’abus de confiance. Le tribunal correctionnel a jugé que le dossier était vide et prononcé la relaxe de cette dame

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Arnault Cohen Publié le 15/01/2020 à 11:30, mis à jour le 15/01/2020 à 09:06
Le premier substitut du procureur a requis et obtenu la relaxe de la professionnelle du tourisme. JFO

Drôle d’affaire que celle examinée mardi par le tribunal correctionnel de Monaco. À la barre, Sabine (*), une Française de 41 ans, est soupçonnée d’abus de confiance par son employeur, la société Rigmora Holdings Limited, détenue par Dmitri Rybolovlev. Sur le papier, c’est le procès de David contre Goliath.


La société Rigmora du milliardaire russe accuse sa coordinatrice voyages "d’avoir détourné des moyens de paiement à des fins personnelles", expose Florestan Bellizona, le président du tribunal. Sabine, durant ses quatre ans et demi passés dans cette société, entre 2013 et 2016, a effectué ou fait profiter à des proches de voyages et bénéficié de points – des miles dans le jargon des voyagistes – acquis dans le cadre de la vente de voyages pour le compte de son employeur.


L’avocat de la partie civile, qui représente donc la société Rigmora, Me Thomas Brezzo, estime ainsi le préjudice à 44 732 euros (les voyages) et 4 519 euros (les miles indûment utilisés), ajoutant à ses demandes 5 000 e pour couvrir les frais de justice de son client.

"C’était l’enfer"


L’ex-employée ne conteste pas les faits. L’affaire semble pliée d’avance. Sauf que, au fil des débats, la prévenue apparaît progressivement comme une victime. Durant l’instruction à l’audience, ce petit bout de femme répond à toutes les questions du président Florestan Bellizona, décrit les pratiques dans cette société. Elle explique que les voyages dont elle profitait étaient consignés dans un tableau informatique et qu’elle attendait que le service comptabilité lui demande de les rembourser. Elle précise ensuite que "les points fidélités sont destinés aux chargés de voyages, même si c’est la société qui paie. Ce sont les usages".


Et puis, la prévenue, aiguillée par le président, s’écarte du sujet. Elle raconte ce qu’elle a vécu (lire ci-dessous). Elle décrit la charge de travail sans cesse croissante qui l’a conduite au burn-out, son hospitalisation, son licenciement. "C’était l’enfer", lâche-t-elle, avant de craquer. Des larmes sincères.


Sur le plan strictement juridique, l’avocat de la partie civile Me Thomas Brezzo et le premier substitut Olivier Zamphiroff ont opposé leurs points de vue.


L’avocat de la société de Dmitri Rybolovlev, également président de l’AS Monaco, estime que le délit d’abus de confiance est constitué. "Les salariés ont la possibilité de bénéficier de voyages personnels à prix intéressants, à condition de les rembourser. Elle en a profité pour environ 40 000 e sans jamais rembourser."

L’avocat de la partie civile ajoute : "D’autres opérations ont été réalisées pour le compte de tiers. Cette dame a perçu les remboursements mais ne les a pas reversés à son employeur." Quant aux miles utilisés, l’avocat estime qu’ils ne lui appartiennent pas.

"Comme un avantage en nature"


Son de cloche totalement différent pour le représentant du ministère public, qui, chose rare, s’est fait l’avocat de la prévenue. Avec conviction, il a requis la relaxe de Sabine, quelques mois après avoir sollicité un non-lieu dans ce dossier. Pour lui, en droit, le délit ne tient pas. "Il n’y a rien dans ce dossier, estime-t-il. C’est l’honneur du parquet de dire qu’il n’y a pas l’élément intentionnel constituant le délit d’abus de confiance."


L’avocat de Sabine ne dira pas autre chose : "Pour caractériser l’abus de confiance, il faut la volonté de dissimuler. Ma cliente n’a jamais rien dissimulé. Elle a noté dans le tableau, qui était accessible par le service comptabilité, tous les voyages qu’elle a effectués. Tout cela était connu de l’employeur. C’était admis, comme un avantage en nature qu’on ne voulait pas lui retirer… sauf si elle tombait malade."


Sans aucun suspense, le tribunal correctionnel a prononcé la relaxe de Sabine. Dans la première manche du combat de David contre Goliath (lire ci-dessous), David a gagné.

* Sabine est un prénom d’emprunt, utilisé à la demande de l’intéressée pour préserver son anonymat.

"Je sais de quoi
ils sont capables"

En juin 2016, Sabine, coordinatrice voyages dans la société Rigmora depuis 2012, est victime d’un burn-out. Elle est hospitalisée. C’est d’ailleurs à l’hôpital qu’elle a appris son licenciement.


"Je n’en pouvais plus, raconte-t-elle à l’audience. J’avais demandé l’aide d’une personne en plus mais on m’a répondu que ça coûterait trop cher. Je touchais 4 500 € par mois mais, en réalité, c’était 10 € de l’heure. Ce qui m’a tuée, c’est qu’on me donne à gérer, en plus des voyages des employés de la société et de la famille, ceux de l’AS Monaco, des joueurs et du staff. Je n’ai pas pu dire non. C’était l’année où l’ASM est remontée en Ligue 1. Je devais aussi m’occuper des déplacements en Champions League."


"Lorsque j’étais en arrêt maladie, je ne répondais plus au téléphone. C’est pour ça qu’ils m’ont licenciée. Je sais comment ils agissent, de quoi ils sont capables. Quand vous n’êtes plus disponibles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, rien ne va plus. Soit j’arrêtais, soit je creusais ma tombe. Si le médecin ne m’avait pas arrêtée, je ne serais pas là devant vous…"

La balle est maintenant dans
le camp du tribunal
du travail

Le différend entre Sabine et la société Rigmora Holdings Limited n’est pas clos avec la décision de relaxe qui a été prononcée hier soir par le tribunal correctionnel. Une autre juridiction monégasque est dans l’attente de ce jugement pour se prononcer à son tour.


La chargée de voyages, en effet, a saisi le tribunal du travail de Monaco pour réclamer l’équivalent de 6 000 heures supplémentaires qu’elle estime non payées. Soit la coquette somme de 377 000 €.


"Je devais être joignable 24 heures sur 24, 7 jours sur 7", assure l’ex-coordinatrice voyages de cette société détenue par Dmitri Rybolovlev. Les enquêteurs, dans l’ordinateur de Sabine, auront retrouvé "plus de 350 000 mails professionnels, ce qui représente environ 350 par jour", relate le président Florestan Bellizona.


Cet investissement au travail, d’après l’ex-salariée, n’aura pas été vain : "Quand je suis arrivée dans cette société, ils travaillaient avec deux agences de voyages et ça leur coûtait 2,5 millions d’euros par an. J’ai fait baisser cette dépense pour la ramener à 1,5 million. Je suis droite dans mes baskets."
Maintenant que le tribunal correctionnel s’est prononcé, la juridiction du travail a le champ libre.

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