Les policiers municipaux ont constitué leurs propres fichiers de délinquants dans cette commune azuréenne

Les fonctionnaires ont créé des groupes WhatsApp où ils partagent et archivent des centaines de documents sensibles: images extraites de la vidéosurveillance, photos des personnes contrôlées, plaques d’immatriculation, pièces d’identité...

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Eric Galliano Publié le 20/11/2023 à 07:45, mis à jour le 20/11/2023 à 09:52
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Les fonctionnaires ont créé des groupes WhatsApp où ils partagent et archivent des centaines de documents sensibles : images extraites de la vidéosurveillance, photos des personnes contrôlées, plaques d’immatriculation, pièces d’identité... Photos DR/ Frantz Bouton

Sur le premier cliché on voit deux jeunes juchés sur un scooter noir, circulant sans casque dans les rues de Saint-Laurent-du-Var. L’image est manifestement une capture d’écran extraite de la vidéosurveillance de la commune. Sur le second cliché, les mêmes jeunes aux traits bien juvéniles "posent" adossés à un camion, en mode photo d’identité judiciaire.

Entre les deux on imagine la traque. Elle a porté ses fruits. Et le tableau de chasse est épinglé sur le groupe WhatsApp de la police municipale. Accompagné de ce commentaire: "Pour info si jamais on les recroise..."

Le groupe qui compte 14 membres est baptisé "BJ1" pour brigade de jour n°1. Mais, selon nos informations, la seconde section de la PM de Saint-Laurent aurait également le sien. Des messageries internes qui regroupent la plupart de ces représentants des forces de l’ordre, chefs de brigade en tête.

Des centaines de données personnelles

Plus qu’un simple outil de communication, un fil où ces policiers partagent et archivent depuis des mois des centaines de documents sensibles: images extraites de la vidéosurveillance, photos des personnes contrôlées, plaques d’immatriculation, pièces d’identité, titres de séjour, permis de conduire... Plus de 1.200 médias ont ainsi été stockés sur le compte BJ1. Jusqu’à cette photo du patron des Républicains, le député Eric Ciotti, devant Cap 3.000 avec ce commentaire se voulant sans doute humoristique: "Dadou il a fini le service il traîne pas..."

Voilà qui ne surprend guère Noémie Levain, une des juristes de l’association La Quadrature du Net qui défend les libertés numériques. "Cela fait un moment que nous avons des soupçons sur l’existence de telles pratiques au sein de la police. Même, si, reconnaît-elle, nous n’avions jusque-là jamais réussi à en obtenir la démonstration."

Les preuves, en l’occurrence, elles tiennent en une trentaine de captures d’écran de téléphone que l’ancien adjoint à la sécurité de Saint-Laurent-du-Var vient d’adresser à la justice. "J’ai fait un signalement au procureur de la République de Grasse au titre de l’article 40", annonce Patrick Villardry.

"C’est du fichage"

Même si le maire s’en défend, pour cet élu d’opposition, l’existence de ces groupes WhatsApp et les centaines de données personnelles qu’ils recèlent "s’apparentent à du fichage". Un policier à qui nous avons soumis ces documents acquiesce: "Il semblerait que ces collègues aient décidé de constituer leur propre TAJ sauvage", souffle-t-il. Le "TAJ", ces trois petites lettres désignent le fichier de traitement des antécédents judiciaire. Un registre national, pour le coup encadré par la loi... Et auquel les agents municipaux n’ont justement pas accès.

"C'est totalement illégal"

À Saint-Laurent-du-Var, les fonctionnaires de la PM pourraient avoir trouvé une parade. Même si, assure Noémie Levain de La Quadrature du Net, "c’est totalement illégal!"

Selon la militante associative cette entorse aux dispositions de la loi Informatique et Libertés de 78 peut à la fois "faire l’objet de sanctions de la part de l’autorité administrative de contrôle qu’est la CNIL" mais aussi "relever du pénal". "En l’occurrence de l’article 226-18: le fait de collecter des données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite est passible de 5 ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende."

Pour l’heure la CNIL refuse de se prononcer sur ce "cas particulier". La Commission nationale invoque le fait "qu’en tant qu’organisme régulateur pouvant prononcer des sanctions, [elle] est tenue de suivre un processus juridique encadré par la loi et respectant les droits de la défense, avant de se prononcer sur un dossier". Reste à savoir si le gendarme des libertés numériques ou la justice grassoise vont s’en saisir. En attendant c’est maire de Saint-Laurent-du-Var, Joseph Ségura, lui-même ancien policier, qui a décidé de rappeler à ses agents quelques règles de bonnes pratiques...

Des policiers municipaux qu’il n’a pas l’intention de lâcher pour autant: "Je le dis clairement, je suis avec ces hommes et ces femmes qui font un travail exceptionnel pour la sécurité et la tranquillité des Laurentins."

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