Le ciel pleure des perles. En ce 8 avril 1973, Mougins a droit à une réinterprétation de la toile "Boisgeloup sous la pluie". Devant la forteresse Notre-Dame-de-Vie, les anonymes se massent. Répondant à un appel entendu à la radio, passé de bouches en oreilles: "Picasso est mort." Onde de choc. Le premier artiste à être entré au Louvre de son vivant n’est plus. Le maître aura atteint 91 ans.
L'ibérisation
La Côte d’Azur, qu’il fréquente depuis 1919, lui fait ses adieux. Si le natif de Malaga arrive à Paris en 1904, c’est bel et bien sous le soleil méditerranéen qu’il retrouve une lumière semblable à son Espagne, celle qu’il a fuie et qu’il ne reverra jamais. Ennemi du franquisme, son déracinement fait partie intégrante de l’homme, de l’œuvre.
Sous son impulsion, Vallauris s’ibérise et accueille des corridas - sans mise à mort. Dans les gradins, tout de blanc vêtu, le créateur dévore le spectacle, son regard de môme est revenu. À sa gauche, Jean Cocteau. La foule est en délire, les caméras tournent, les autographes s’arrachent.
Nous sommes en 1955.
L’année où il quitte sa maison de la cité des Potiers pour Cannes. Six kilomètres de distance qui prennent des airs de transatlantique: déménageant de la villa La Galloise - acquise en 1948 - pour La Californie.
Le mouvement
Le bien surnommé Roi Soleil se décale vers l’ouest. Au 22, avenue Coste Belle, l’accumulation règne : le peintre laisse déborder sa créativité à même le sol. En cette sublime demeure se côtoient boites de conserves, guidons de bicyclette et masques africains enjambés par Esmeralda. La chèvre de compagnie partage son quotidien avec Lump le teckel dans une fantaisie grandeur nature embaumée par les mimosas et les eucalyptus.
Dans cet atelier qui se prend pour une maison, les grandes fenêtres déshabillées de tout rideau laissent entrer la lumière. Parfois même les regards des privilégiés qui n’ont pas été congédiés au portail. Le maître se montre encore. Il deviendra de plus en plus rare au gré des années.
L'éclipse
Une éclipse entamée lors de son arrivée au mas Notre-Dame-de-Vie à Mougins aux côtés de sa quatrième et dernière épouse, Jacqueline Roque.
Dans cette citadelle, Pablo se replie. Derrière des grilles électriques, des interphones et des aboiements.
Un de ses chiens afghans, Kaboul, monte la garde.
Les obstacles sont nombreux pour fouler l’allée de graviers bordée de cyprès et pénétrer dans l’antichambre de l’art fait homme. Sous les murs voûtés du petit salon, il reçoit, quelques fois. Lui qui, dans ses costumes confectionnés par le tailleur niçois Michele Sapone, n’hésitait pas à prendre la pose avec les passants et tailler la bavette avec les badauds, fuit le monde.
Comment vivre sur une planète qui glorifie le moindre de vos faits, le moindre de vos gestes ? La cohabitation avec le commun des mortels se fait pesante. La gloire posthume serait-elle plus douce ?
Défier le banal, faire la nique au normal : en étant Picasso, Pablo a dû s’exiler par contumace. Le maire de Mougins de l’époque, refuse d’accéder à la demande d’un « communiste milliardaire » désirant une dérogation pour être inhumé sur sa propriété.
Son cercueil, enveloppé d’une cape noire, gagnera alors son domaine de Vauvenargues dans les Bouches-du-Rhône. L’éternité à contempler la Sainte-Victoire de Cézanne.
Laissant à la postérité 120.000 créations et objets. Et un testament non rédigé. Après lui, le chaos.
Sa dernière œuvre.
commentaires