RECIT. 6 mai 1955, le jour où Grace Kelly a rencontré le prince Rainier de Monaco

La rencontre entre Grace Kelly et le prince Rainier de Monaco, qui s’est déroulée grâce à la complicité d’un journaliste de Nice-Matin, fait l’objet d’une exposition jusqu’au 15 octobre dans les appartements du Palais princier.

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André PEYREGNE Publié le 08/09/2019 à 16:30, mis à jour le 08/09/2019 à 15:52
À la fin de leur première rencontre, le Prince et l’actrice s’apprêtent à se dire au revoir. Photo DR

"Mais, Miss Kelly, vous ne pouvez aller tête nue chez le Prince de Monaco!" Dans le hall de l’Hôtel Carlton à Cannes, Gladys de Segonzac, accompagnatrice de Grace Kelly, est aux cent coups. Elle vient de s’apercevoir que l’actrice américaine avec laquelle elle doit se rendre chez le souverain monégasque ne porte pas de chapeau.

Que faire? Il est trop tard. Le rendez-vous est prévu dans une heure à Monaco. On fabrique à la hâte un serre-tête avec un bouquet de fleurs artificielles trouvées dans le hall de l’hôtel cannois et en route pour la Principauté !

Avec ou sans couvre-chef, Grace Kelly est magnifique. Sa beauté rayonne. Tout le monde n’a d’yeux que pour elle. Elle a l’allure de grande dame au visage d’adolescente. Elle est vêtue d’une robe de soie noire imprimée de fleurs rouges et vertes. On est le 6 mai 1955.

"Une fille de la province"

Invitée au festival de Cannes pour présenter le film Une fille de la province pour lequel elle a remporté, en Amérique, l’Oscar de la meilleure actrice, elle est arrivée l’avant-veille à Nice par le Train Bleu.

Premier échange.Premiers sourires. Photo DR.

La rencontre avec le prince Rainier a été imaginée par un journaliste de Paris-Match, le Niçois Pierre Galente, époux de l’actrice Olivia de Haviland, dans le but de réaliser une opération médiatique. L’événement a été organisé la veille à la hâte, grâce à la complicité d’un journaliste de Nice-Matin, Jean-Paul Ollivier, lequel est intervenu auprès du secrétaire particulier du prince, Charles Ballerio.

Le prince a accepté avec enthousiasme la rencontre, étant attiré par tout ce qui touche l’Amérique. C’était l’époque où il souhaitait donner un souffle nouveau à sa Principauté et se dégager de la tutelle administrative française établie par la convention de 1930.

actualité internationale inquiétante

La Studebaker d’un des directeurs de la Metro Goldwyn Mayer, Elias Lapiniere, a quitté Cannes. À bord se trouvent Grace et Gladys. Les photographes de presse suivent dans une Peugeot. Soudain, un coup de frein. La Studebaker veut éviter un obstacle. Surprise, la Peugeot lui rentre dedans. Ça commence bien ! Les dégâts sont minimes, tout le monde repart.

On longe la mer. À cette époque, bien sûr, il n’y a pas d’autoroute pour se rendre à Monaco. La France vit dans ces années calmes de la Quatrième République, sous la présidence de René Coty.

L’actualité internationale, en revanche, est inquiétante. Dix ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’Europe est coupée en deux par le rideau de fer.

L’U.R.S.S. s’apprête, le lendemain, 7 mai, à dénoncer le pacte franco-soviétique et signer le fameux pacte de Varsovie qui soudera le bloc des pays de l’Est contre l’Occident. Le 9 mai, les accords de Paris feront entrer dans l’OTAN l’Allemagne de l’Ouest. La Guerre froide se prépare.

Grace Kelly, d’une folle élégance, arrive au Palais. Photo DR.

Qu’on est loin de ces considérations internationales sur la route qui longe la mer entre Nice et Monaco ! Grace Kelly retrouve les paysages qu’elle a connus, l’année précédente, lorsqu’elle a tourné le film d’Hithcock La main au collet.

C’est elle qui conduisait sur la corniche la voiture décapotable bleue (conservée aujourd’hui au Musée de l’automobile de Monaco), dans laquelle Cary Grant était assis à ses côtés. Elle vivait dans l’euphorie de sa gloire montante. Vingt-six ans plus tard, c’est là qu’elle trouverait la mort, conduisant une autre voiture en ces mêmes lieux.

Le prince est en retard

On arrive en Principauté quelques minutes avant 16 heures. Comme personne n’a rien mangé, Pierre Galente va acheter un sandwich pour Grace Kelly au Café de Paris.

De la route qui monte sur le Rocher, Grace découvre la Principauté calme comme une ville de province, dominée par le Casino et les hôtels de Monte-Carlo.

À l’entrée du Palais, le colonel Séverac, aide de camp du prince, annonce que celui-ci sera en retard. Il n’est pas encore rentré du cap Ferrat où se tenait un déjeuner.

Grace Kelly est invitée à visiter les grands appartements, accompagnée par le maître d’hôtel du Palais ainsi que par quelques dignitaires de la Principauté.

Le prince et l’actrice devant la cage du tigre dans les jardins du Palais Photo DR.

Elle découvre les collections d’art, les souvenirs napoléoniens – le chapeau de Bonaparte à Marengo, un fragment du manteau du sacre et une boucle de cheveux blonds du roi de Rome.

Au bout d’une demi-heure, le prince arrive enfin au volant de sa Lancia, le regard protégé par des lunettes teintées. Il est 16 heures 45. Il gravit le grand escalier, franchit la galerie des glaces et débouche dans le salon d’York, de couleur rouge cramoisi, chargé de tentures et de tableaux. Là se trouvent Grace et ses accompagnateurs.

La révérence

L’actrice est apeurée. La révérence! Que doit-elle faire? On la lui a apprise, la révérence, on la lui a même fait répéter. Mais, vous savez ce que c’est, dans le feu de l’action, lorsque le moment est venu! On a beau être actrice…

Alors, elle procède à sa façon, saisit la main du Prince et s’incline légèrement. La scène est immortalisée par les deux photographes, Michel Simon et Edward Quinn. C’est la rencontre "historique" entre l’actrice et le Prince.

Tous deux sont impressionnés. Grace se trouve dans le décor d’un vrai palais princier – point celui d’un film. Rainier est séduit par le charme de l’actrice, plus belle qu’on ne lui avait décrite ou qu’il ne l’avait vue en photo.

Devant toutes ces personnes présentes, le moment manque d’intimité. Rainier entraîne alors Grace dans les jardins.

On ne badine pas avec les horaires

Ils se dirigent vers le zoo où se trouve un tigre en cage, ramené blessé d’un voyage en Afrique. Grace tend son bras à travers les barreaux. Ils poursuivent leur promenade dans le jardin. Le temps est radieux sous le ciel monégasque. Vingt minutes passent.

Le prince et l’actrice aimeraient prolonger ce moment.

L’hôtel Carlton à Cannes, où logeait Grace. Photo DR.

Mais Elias Lapinère s’impatiente. Il est temps de rentrer. L’actrice doit participer à 18 heures à Cannes à la réception accompagnant la présentation de son film.
La Metro-Goldwin-Meyar ne badine pas avec les horaires.

Il faut repartir. Grace Kelly, troublée, oublie de signer le registre des visiteurs.

Peut-être sent-elle, en son for intérieur, qu’elle reviendra ! Le prince Rainier la laisse partir, à regret. La reverra-t-il?

Sur le chemin du retour, raconte Pierre Galente, Grace ne cessera de dire: "Il est charmant!"

La revoici à Cannes. C’est avec une demi-heure de retard qu’elle se présente aux Ambassadeurs pour la réception de la délégation américaine. Le soir a lieu la projection du film. Elle n’a rien vu.

Les images avaient beau défiler sur l’écran, elle n’avait dans la tête que sa rencontre avec le prince.

Peu lui importaient les applaudissements du public ou la bouderie du jury, quand reverrait-elle le prince? Elle rentra en Amérique sans prix ni palme (voir encadré) mais avec un souvenir qui faisait battre son cœur.

Le mariage le 18 avril 1956

Les choses vont alors se précipiter. Grâce à l’intermédiaire du père Francis Tucker, confesseur du prince, Rainier III est invité par la famille Kelly pour les fêtes de fin d’année.
Les amoureux annonceront leurs fiançailles le 6 janvier 1956, au cours d’un bal de charité. Tout le monde commence à se passionner pour cette histoire de conte de fées des temps modernes.

Le mariage a lieu le 18 avril 1956 sous les caméras de la télévision. Quelques années après le couronnement de la reine Elisabeth, ce spectacle nuptial ravit le monde entier. La M.G.M. ayant obtenu l’exclusivité des droits de tournage et de documentaire, la réalité rejoint la fiction.

On verse des larmes dans tous les foyers du monde. Dans ses rêves les plus fous, Grace Kelly n’avait jamais imaginé tenir un tel rôle. Ce rôle, ce n’est pas Hollywood mais Monaco qui lui avait fourni.

Tout avait commencé par un bel après-midi de mai, un jour où une actrice américaine ignorait qu’on n’allait pas rendre visite à un prince sans avoir couvert sa tête...


Un film sans récompense

Illustration Photo DR.

Le film Une fille de la province, que Grace Kelly venait présenter à Cannes était de George Seaton, avec Bing Crosby.

Il racontait l’histoire d’un metteur en scène de Broadway tentant de faire remonter sur scène un acteur qui avait sombré dans l’alcoolisme. Bien que Grace Kelly ait obtenu pour ce film l’Oscar de la meilleure actrice aux États-Unis, ce film ne récolta aucune récompense au festival de Cannes.

Le jury était présidé par l’écrivain Marcel Pagnol et comprenait entre autres le réalisateur Anatole Litvak, la comédienne Isa Miranda, l’écrivain Marcel Achard.

Ce fut le film Marty de Delbert Mann qui obtint la Palme d’or à l’unanimité. Quant au prix de la meilleure actrice, il revint à l’ensemble des actrices féminines du film soviétique Une grande famille.

Affiche du 8e Festival de Cannes Photo DR.

L’exposition jusqu’au 15 octobre

L’histoire de la rencontre entre le prince Rainier et Grace Kelly donne lieu à une exposition dans les appartements du Palais Princier de Monaco. Documents d’archives, agendas, journaux, lettres, photos inédites, négatifs, ont été exhumés pour retracer l’événement.

Illustration Photo DR.

"C’est une exposition, au sujet limité dans le temps, une heure vingt d’histoire, mais qui a eu une importance considérable pour Monaco", dit Thomas Fouilleron, directeur des Archives de la Principauté, qui a conçu cette exposition avec Vincent Vatrican, directeur de l’Institut audiovisuel de Monaco.

L’exposition a utilisé le fonds d’archives du photographe irlandais Edward Quinn conservé à Zürich, qui comprend l’intégralité du reportage.

Un autre photographe, Michel Simon, était de service le jour de la rencontre dont Paris-Match a bien voulu prêter clichés et négatifs.


Savoir+
Renseignements pour la visite : tél. 377 93 25 18 31.

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