Il y a 150 ans, le grand journal parisien traitait la Principauté de "paradis dont aucune langue ne peut donner idée"!
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André PEYREGNEPublié le 22/05/2022 à 11:00, mis à jour le 22/05/2022 à 10:38
L’article du Figaro.Photo DR
Faire connaître la Principauté et attirer les touristes: au XIXe siècle, le prince Charles III et le directeur de la SBM, François Blanc, n’avaient que cette idée en tête. Ils étaient bien décidés à employer les grands moyens.
Le 15 mai 1872 - il y a cent cinquante ans - ils obtinrent quelque chose d’unique dans la presse française : la Une du journal LeFigaro consacrée à Monaco.
Ce jour-là, les lecteurs constatent que leurs habituelles informations parisiennes, françaises, politiques, générales sont balayées par un sujet : la Principauté de Monaco.
Et l’article ne fait pas dans la demi-mesure. On y lit: "Il est un point du globe, merveille de la nature, vrai paradis terrestre, dont aucune langue humaine ne peut donner idée: la Principauté de Monaco".
Evidemment, cet article n’est pas dû au hasard.
François Blanc, qui a créé le casino de Monte-Carlo en 1863, a appris que le puissant directeur du Figaro, Hippolyte de Villemessant, est venu en touriste à Monaco au milieu des années 1860. Il a flairé la bonne occasion. Il s’est rapproché de lui, a fait connaissance, a lié une relation, a fini par lui faire acquérir pour une bouchée de pain une villa à la Condamine près du vallon Sainte-Dévote. Résultat : l’article du 15 mai 1872.
François Blanc, créateur du Casino de Monte-Carlo.DR.
Le Figaro doit pourtant préserver sa déontologie. Et si la première partie de l’article est dithyrambique, la deuxième dénonce cruellement l’enfer du jeu.
Mais cette critique est à lire au second degré. En fustigeant les casinos, Le Figaro veut décourager ceux qui auraient l’intention de lever leur interdiction en France. Cela permet, en conséquence, que Monaco garde son monopole ! Il faut parfois savoir lire les articles en négatif !
Monaco, paradis terrestre
Le Figaro, 15 mai 1872: "Il est un point du globe, merveille de la nature, vrai paradis terrestre, dont aucune langue humaine ne peut donner idée. Quand on l'a vu une fois, c'est le souvenir de toute la vie. Même dans la baie de Naples, même à travers les enchantements de la Conca d'Oro de Palerme, la radieuse vision vous suit toujours ; et, au retour de tous vos voyages, vous dites encore : rien n'est plus beau que Monaco… C'est tout petit et c'est superbe. Il semble que, sur ce rocher, la nature s'est recueillie, et que, par un sublime caprice, elle a appelé du Nord et du Midi ses plus merveilleuses créations pour former en ce point une œuvre incomparable : dressant à pic le mont de la Turbie avec ses roches sauvages ; les couvrant à mi-côte d'une forêt d'oliviers et de citronniers qui descendent avec leurs fruits d'or jusqu'à la mer ; soulevant au-dessus des flots ce nid d'aigle avec ses tours d'Orient et ses jardins enchantés ; traçant à l'horizon les lignes raphaéliques de Bordighiera, et, couronnant le tout par la chaîne des Alpes, qui, avec leurs neiges éternelles, semblent se dresser pour contempler à leurs pieds ces splendeurs de l'Orient…
Il faut avoir été dans ce pays. Il faut avoir contemplé aux rayons du couchant ce rempart des Alpes se dressant à pic dans la mer et à ses pieds ces jardins plus beaux que ceux d’Armide, avec leurs palmiers, leurs balustres et leurs senteurs d’orient. La nuit est venue… Partout l'obscurité et le silence. On n'entend que le bruit des flots, on ne voit que l'ombre de la montagne… Tout à coup, dans ce désert, un palais s'illumine, et la musique commence. Et alors, des extrémités de la côte, à travers les ténèbres, le voyageur aperçoit ce rocher de lumière, il entend cette musique qui l'appelle, il marche vers ce palais enchanté, tandis que les lucioles avec leurs ailes de feu éclairent les plumes des palmiers, et que la mer phosphorescente couvre le rocher d'étoiles."
L’enfer du jeu
Mais au cœur de ce paradis, Le Figaro s’en prend au casino: "J’ai vu des hommes entrer dans le casino d’un air indifférent, jeter un louis pour voir ce qui en adviendrait, puis cent francs pour rattraper le louis, mille francs pour rattraper les cent, et quand je repassais une heure après, je les voyais empruntant à leurs amis et envoyant des dépêches pour avoir de l’argent… J’ai vu de malheureux soldats qui venaient de se réengager arriver avec mille francs et partir sans pouvoir payer leur place. Tous, les jeunes et les vieux, les fous et les sages, je les ai vus emportés par la furie du jeu. Et comme il n’y avait pas de ville, pas de maison, pas de refuge quand ils avaient tout perdu, on les voyait errer à travers les jardins, on entendait pleurer dans les bosquets, de pauvres femmes descendaient pleurer derrière les balustres… Et voilà ce que vous voulez créer en France, dans notre France déjà si atteinte ! Vous qui parlez chaque jour de la corruption de l’Empire ! Il y a une chose que j’affirme, c’est que ce serait la décomposition de la France!"
À la suite de cet article, Hippolyte de Villemessant devint un personnage fort courtisé en Principauté. En 1873, il se fera construire à Monaco la somptueuse villa Beaumarchais. C’est là qu’il mourra en 1879.
Il avait fait beaucoup pour la Principauté. Et réciproquement!
Une seconde villa pour le directeur du Figaro
En 1873, Hyppolite de Villemessant, directeur du Figaro, se fit construire une nouvelle villa, aujourd’hui détruite, qu’il appela Villa Beaumarchais – du nom de l’auteur à qui Le Figaro a emprunté la devise "Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur".
Cette villa de style néo-classique comprenait trois étages avec fenêtres à arcades, loggia et sur la balustre bordant le toit, le buste de Beaumarchais. En 1875, Hippolyte de Villemessant céda la direction en chef du Figaro à Francis Magnard et se retira dans cette demeure à Monaco.
À partir de ce moment, on le vit participer activement à la vie de la Principauté, étant de toutes les manifestations ou réceptions importantes, se multipliant en actes de charité. Ce fervent catholique mourut à Monaco le 11 avril 1879 – un vendredi saint.
La Principauté au XIXe.DR.
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