"La ville dont le prince est un enfant". On se souvient du titre de cette pièce de Montherlant dans les années 1950.
En 1604, on aurait pu parler ainsi de Monaco. Cette année-là, la Principauté, qui s’appelait "seigneurie" à l’époque, se retrouva au mois de décembre avec un souverain, âgé de 6 ans. Il eut 7 ans pour Noël. Il était né le 24 décembre 1597. Il s’appelait Honoré II.
Cette histoire pourrait être belle si elle n’était pas le résultat d’une tragédie : le père d’Honoré II, Hercule Ier., avait été assassiné. Voici l’histoire.
Quarante coups de couteau
Il fait froid, en cette nuit du 21 novembre 1604. Un homme sort dans l’obscurité, tel un fantôme, de chez le gouverneur Gastaldi, au 15 rue du Milieu (aujourd’hui rue du comte Félix Gastaldi).
Soudain, plusieurs hommes sortent de l’ombre, se jettent sur la silhouette et la lardent de coups de couteau. On comptera quarante entailles. Le corps s’effondre dans une flaque de sang. Il faut se débarrasser du cadavre.
Les hommes le portent sur leurs épaules, descendent sur le rocher et le jettent à la mer. On le retrouvera le lendemain.
L’information circule aussitôt sur le Rocher : le cadavre qu’on a retrouvé est celui d’Hercule 1er, le seigneur de Monaco.
Il était monté sur le trône à l’âge de 34 ans, en 1589, à la mort de son frère Charles II. Marié à Marie Landi, descendante des rois d’Aragon et du Portugal, il régnait sur Monaco de manière tyrannique. Homme volage, il suscitait en plus la haine des maris dont il courtisait les femmes.
Cela faisait beaucoup d’ennemis en puissance ! À ceux-là s’ajoutaient les ennemis politiques. Monaco était alors sous protectorat espagnol, mais trois états avaient des visées sur cet État : la Savoie de Charles-Emmanuel 1er, la France d’Henri IV, et la République de Gênes. Des trois côtés, on pouvait avoir intérêt à la disparition d’Hercule 1er.
Un notaire véreux
Le 26 novembre, cinq individus, sont arrêtés. Les langues se délient parmi les prisonniers : le complot aurait été ourdi par un certain Stefano Boccone, notaire véreux, agent de la Savoie. Il aurait recruté une dizaine de complices.
Son intention était de livrer Monaco à la Savoie. Mais, dès l’arrestation des premiers complices, cet homme sans scrupule se mit au service des Génois.
Aussitôt l’attentat connu, des galères arrivent à Monaco : de France (commandées par le gouverneur de Provence Charles 1er. de Guise), de Gênes, d’Espagne, du Duché de Savoie (qui s’étendait, alors, jusqu’à Nice).
Le duc de Savoie fait même avancer ses troupes vers la Turbie. Vers quel conflit international se dirige-t-on?
Sauver la dynastie Grimaldi
Au milieu de tout cela, les Monégasques veulent rester maîtres de leur destin. Ils envahissent le château, mettent à l’abri les enfants d’Hercule Ier.
Ces enfants, deux filles et un fils, sont doublement orphelins: leur mère, Marie Landi, est morte cinq ans plus tôt.
Les Monégasques ne reconnaissent qu’un souverain, seul capable de sauver la dynastie des Grimaldi : c’est le fils d’Hercule 1er, Honoré II, encore enfant.
Ils envoient ce message à l’intention des états étrangers souhaitant faire main basse sur leur État : "Ici, par la grâce de Dieu, nous nous appliquons, avec une foi intacte, au maintien en cette place de l’excellentissime Don Honoré Grimaldi, notre seigneur et maître. Pour lui nous saurons vivre et mourir, et ferons constante et bonne garde, espérant nous garantir de ceux qui oseraient nous faire offense." Voilà qui est clair.
Le prince Valdetare
Une question se pose : qui va assurer la régence, pendant l’enfance du souverain? Une personne s’impose: son oncle maternel, Federico Landi.
Il est souverain de la petite principauté de Val di Taro, près de Parme, en Italie, partisan du maintien de Monaco sous tutelle espagnole.
Le prince Valdetare – c’est ainsi qu’on l’appelle – fait serment de fidélité envers son jeune neveu. Réunie dans la grande salle du château, la population fait à son tour allégeance à Honoré II et à son tuteur.
Ce dernier va s’occuper de l’éducation de l’enfant souverain. Il va le faire venir au Val di Taro. Il lui inculquera – à lui et ses deux sœurs – le goût des arts et de la littérature. Il l’enverra à l’université à Milan.
On a oublié, aujourd’hui, l’existence du fief des Grimaldi à Val di Taro. Le prince Albert II, en a ravivé le souvenir en s’y rendant, notamment, en la forteresse de Bardi le 15 mai 2018. Un timbre de la Poste monégasque en porte témoignage.
Premier prince de Monaco
Après son mariage, en 1616, avec Ippolita Trivulzio, nièce d’un personnage important de la religion chrétienne, le Bienheureux Louis de Gonzalve, le jeune Honoré II s’installa à Monaco. Il vint y assumer son rôle de prince.
En effet, entre-temps, le roi d’Espagne avait accordé à Monaco le titre de Principauté. Honoré II fut ainsi le premier à porter le titre de prince de Monaco.
En 1641, à l’âge de 44 ans, il décidera de renoncer à la tutelle espagnole qui était devenue insupportable. Il plaça Monaco sous protectorat français.
Il prit lui-même les armes pour chasser du palais monégasque les gardes espagnols qui s’entêtaient à y rester. Mais cela est une autre histoire...
commentaires