À Monaco, les motifs de la Salle du Trône en pleine restauration vont bientôt retrouver leur éclat du XVIe siècle

Les motifs du XVIe siècle de la Salle du Trône à Monaco font l'objet d'une restauration. 17 spécialistes œuvrent à leur chevet. Les lieux restent fermés au public jusqu'au 2 avril.

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CEDRIC VERANY Publié le 06/03/2023 à 08:02, mis à jour le 06/03/2023 à 10:28
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Derrière le travail du temps et les couches de peintures successives, les restaurateurs ont mis à jour les fresques originales peintes dans la Salle du Trône au XVIe siècle. Photo Jean-François Ottonello

C’est le lieu emblématique, par essence, du pouvoir monégasque. Mais depuis octobre dernier, la Salle du Trône n’accueille plus d’événements officiels, l’espace étant occupé par une armée de restaurateurs en combinaison blanche, œuvrant sur un échafaudage en lévitation sur tout le pourtour de la pièce pour s’approcher des corniches et du plafond.

De grandes manœuvres pour raviver les décors de cet espace singulier. Entamé en 2015, l’immense chantier de restauration des décors du Palais princier est entré dans une nouvelle phase.

La première partie avait permis de mettre à jour déjà près de 600 mètres carrés de fresques peintes sur les murs, dans un style génois, datant du XVIe siècle, pour donner à l’époque du style à la forteresse médiévale des Grimaldi bâti en 1215.

Les affres du temps, et les goûts des souverains successifs avaient modifié, parfois occultés ces décors aujourd’hui recherchés pour être valorisés dans ce qui est "probablement le plus grand chantier de restauration de peinture en Europe à l’heure actuelle" souligne Marion Jaulin, qui coordonne artistiquement l’affaire depuis le départ, souhaitée et financée par le souverain.

Le trône a été démonté et retrouvera son emplacement initial le 20 mars. Photo Jean-François Ottonello.

Une course contre la montre

À l’heure actuelle les dix-sept restaurateurs sont mobilisés uniquement sur la Salle du Trône au cœur des Grands Appartements. "Nous devons livrer fin juillet la Salle pour un événement prévu en septembre. Sans doute, ce ne sera pas complètement terminé mais nous devons avancer au maximum, toute l’équipe est mobilisée, et nous allons probablement recruter deux personnes supplémentaires pour tenir cette dead line" ajoute Marion Jaulin au milieu de cette équipe jeune, cosmopolite, partageant leurs savoirs et leurs compétences pour réenchanter des décors fanés. Et qui œuvre dans son immense majorité à la main, avec de petits outils de chantier, des pinceaux et de la peinture pour progresser, centimètre carré par centimètre carré dans les pigments de la fresque.

Au centre du plafond, Ulysse veille sur les troupes au cœur de l’immense scène peinte découverte et ravivée entre 2020 et 2022 qui reprend l’épisode de la Nekuia où Ulysse se rend au pays des morts pour trouver les moyens de défendre sa cité.

Un échafaudage a été érigé sur le pourtour de la salle pour œuvrer au plus près des corniches. Photo Jean-François Ottonello.

Tout autour, les équipes se sont attachées l’automne à retirer les couches du temps sur les voûtes, les retombées de voûtes, les lunettes et les frises et retrouver pleinement le décor suspendu. Tout est aujourd’hui dégagé pour apprécier la fresque originale du XVIe siècle, très détériorée par des restaurations opérées au milieu du XXe siècle, de manière assez brutale.

"Notre travail a été dé-restaurer pour re-restaurer et nous pouvons aujourd’hui attaquer la réintégration picturale" continue Marion Jaulin.

Sur les retombées de voûtes, le débarbouillage a permis de faire apparaître des dessins évoquant les travaux des mois et les signes du zodiaque, donnant une notion de temps au décor.

Les lunettes, elles, représentent des scènes de l’Odyssée, écho à Ulysse qui orne la voûte centrale. En coulisses, les scientifiques génois continuent de rechercher des traces qui pourraient indiquer quels artistes ont signé ces décors. Dans les archives du Palais, une simple quittance de gratification pour services rendus adressée en 1547 au peintre Nicolosio Granello, disciple de Raphaël, a servi d’indice. Et les scientifiques ont reconnu la main et la touche de l’artiste génois dans les décors mis à jour.

La technique de restauration dite du trattegio consiste à remplir d’aquarelle les lacunes blanches sans modifier le travail originel. Photo Jean-François Ottonello.

Des techniques traditionnelles

Avant de toucher aux peintures, la première étape a été de revoir certaines maçonneries. Une étape réalisée à l’ancienne, "avec des produits naturels comme à l’époque: de la chaux, du sable, de la poudre de marbre" explique Jane Marshall, affairée à combler un trou causé par un clou qui tenait un câble. "En général, on tape avec la main la surface pour voir s’il y a un creux. Puis on consolide ou on reminéralise la pierre arrière avant d’injecter des produits pour saturer et laisser le maximum de fresque originale". Quatre couches d’enduit sont nécessaires.

" certains endroits, nous avons constaté des trous profonds jusqu’à 3 centimètres, que nous avons tous rebouchés en maçonnerie traditionnelle, avec des enduits fins et lisses comme l’original et sans ponçage" précise Yannick Bouillon, un autre des restaurateurs, "le ponçage ne marche pas très bien avec les enduits à l’ancienne, il faut avoir la planéité parfaite tout de suite que l’on ajuste dans le frais, à l’eau et à l’éponge pour lisser et faire la finition en entier d’un coup et on y touche plus".

Sur les passerelles de l’échafaudage érigé pour travailler au plus près des murs, les spécialistes affluent dans un espace étroit.

Sur une chaise, lunettes de sécurité devant les yeux, Lucia De Cotiis s’attaque centimètre par centimètre à la fresque à nettoyer. Avec un laser pour seul outil. L’équipe de restauration en possède deux pour décrasser au mieux. "La lumière pulsée proche de l’infrarouge nettoie la couche picturale. Le laser reconnaît la crasse, distingue la salissure de la peinture et cela permet de ne pas utiliser de produits toxiques".

Seule une fine poussière de résidus en résulte. "Mais il faut faire attention" glisse Lucia De Cotiis avec cet outil sensible en main, "sur les couches épaisses de salissure, il faut repasser plusieurs fois, pour ne pas abîmer la fresque".

Par endroits, la maçonnerie et les enduits sont repris, avec des techniques anciennes pour réparer les affres du temps. Photo Jean-François Ottonello.

"D’un coup d’éponge, tout peut être enlevé"

Cette étape, déjà titanesque par rapport aux dizaines de mètres carrés peints sur les corniches de la Salle du Trône, prépare le terrain à la réintégration picturale. C’est le plus gros chantier des équipes. Suivant la technique du tratteggio pour raviver les fresques en comblant les lacunes blanches causées par les lacérations. En trouvant la teinte la plus proche de l’original et en restant un ton en dessous dans l’intégration, pour que le travail de loin soit harmonieux sans prendre le pas sur la peinture originale, pour ne pas se mettre à effacer le travail de l’artiste de l’époque.

Le tout à l’aquarelle. "D’un coup d’éponge notre travail peut être enlevé, pour laisser le champ libre à d’autres générations, pour de nouvelles restaurations avec des techniques nouvelles dans le futur", souligne Marion Jaulin.

L’équipe utilise des aquarelles du commerce, mais en parallèle concocte aussi sa propre palette adaptée au support minéral avec des pigments les plus "propres" possible. C’est un des crédo du chantier - appuyé par le prince Albert II - que de travailler avec des techniques et des produits ayant un faible impact environnemental.

Cette palette made in Monaco est encore à l’étude pour évaluer le vieillissement du produit et pourrait être utilisée à l’avenir pour la restauration de la chambre Louis XIII.

L’objectif n’est pas de retrouver l’aspect initial mais de mettre à jour au mieux l’existant. Photo Jean-François Ottonello.

Reprise des visites le 2 avril

Du côté de la Salle du Trône, pour des zones trop endommagées, notamment une façade sujette à des infiltrations d’eau, il n’y a plus de fresques à sauver et les restaurateurs sont encore à l’étape de réflexion pour orner à l’avenir ces corniches. Peut-être avec des panneaux mobiles, réinterprétant des dessins, à l’image d’une technique utilisée à certains endroits pour la réfection de la galerie d’Hercule, dominant la Cour d’honneur.

Derrière le trône précisément, deux lunettes vont devoir être reconstruites. Pour boucher deux espaces qui avaient été ouverts au XIXe siècle afin, lors de bals donnés Salle du Trône, que l’on entende les musiciens cachés dans une pièce voisine. Là encore, l’aspect de ces lunettes reconstituées est à l’étude.

Une certitude pour l’heure : le trône démonté pour une restauration esthétique du dais et de divers éléments sera réinstallé le 20 mars. Juste à temps pour la reprise, le 2 avril, des visites publiques des Grands Appartement du Palais princier. Et les visiteurs pourront, à leur passage, suivre le travail des restaurateurs en action qui ont jusqu’à fin juillet pour raviver les lieux.

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