A quelques heures de l’inauguration du bâtiment du quai Louis-II, Bernard d’Alessandri se rappelle des moments qui ont fait les grandes heures du Yacht-Club du quai Antoine-Ier
Vendredi dernier, une « Demolition party » était organisée pour les dernières heures du Yacht-Club de Monaco (YCM) au quai Antoine-Ier. Plus de 850 membres, conjoints et amis étaient présents autour du prince Albert II, président du Yacht-Club depuis 1984, et Bernard d'Alessandri, secrétaire général.
Certains sont venus avec des marteaux. D'autres ont versé une larme. Car si « on voulait ce moment festif », il y a eu aussi « beaucoup de nostalgie », souligne Bernard d'Alessandri. Lui, d'ailleurs, n'a pas remis les pieds sur le quai Antoine-Ier depuis. « Pas envie. »
Dans son bureau flambant neuf du quai Louis-II qu'il utilise pour la toute première fois, il évoquera les souvenirs heureux - et malheureux - de l'ancien bâtiment. Une belle manière de rendre hommage à soixante et un ans d'histoire avant que ne s'écrive une nouvelle page du yachting monégasque.
Pourquoi autant de pincements au cœur à quitter le quai Antoine-Ier ?
Pour les 1 340 membres, le club est un lieu qu'ils s'approprient. Ils sont, ici, un peu comme à la maison. On s'y marie, on y fête un baptême ainsi que tous les autres événements familiaux. Le Yacht-Club de Monaco accompagne la vie de ses membres.
Il a également été votre maison durant près de quarante ans…
Nous nous y sommes installés avec Jacques Pastor et Philippe Battaglia en 1976, avant de prendre nos quartiers au quai Antoine-Ier en mars 1990. Mais le Yacht-Club a une bien plus longue histoire. Actuellement, je suis en quelque sorte le gardien du temple…
Quand démarre l'histoire de Monaco et du yachting ?
Les premières régates remontent à 1862. Le Yacht-Club de Monaco est né en 1953, à l'initiative du prince Rainier. Le Souverain était passionné de bateaux. Lui-même avait fait de nombreuses croisières, notamment en Afrique d'où il avait ramené des animaux qui ont permis de compléter le jardin animalier. C'était la grande époque de la Côte d'Azur, des Riva et le début d'un certain art de vivre la mer.
Quelles étaient alors les activités du club ?
Les courses à la voile en Méditerranée qui ont perduré, mais aussi la plongée sous-marine, le motonautisme ou encore la pêche au thon qui a aujourd'hui cessé. Il est vrai que les temps changent, les esprits évoluent et de nouvelles activités se créent.
Le prince Rainier III participait-il aux courses ?
Non mais il les suivait avec beaucoup d'intérêt. Il était notamment au départ de la Barcelona, le plus grand rassemblement de Méditerranée, et à l'initiative du renouveau du Comité international de la Méditerranée. Le prince Albert, en revanche, a participé à de nombreuses régates, que ce soit en J/24 à San Remo, sur des régates en 12 M JI ou à bord de Tuiga, aux côtés de Paul Cayard ou Éric Tabarly.
Quand commence votre histoire avec Monaco ?
En octobre 1976. Il y avait alors une école de voile dans un bâtiment où se situe actuellement le restaurant Le Vintage. C'était le début de la voile scolaire.
Vous étiez directeur ?
Ce serait bien présomptueux de le présenter comme cela. Avec Jacques Pastor et ensuite Philippe Battaglia, nous étions deux, puis trois ! À l'époque, le club était présidé par Jean-Louis Marsan.
Le Yacht-Club du quai Antoine-Ier marque donc un tournant.
C'est davantage la nomination du prince Albert en 1984, jeune président au caractère sportif affirmé et à la culture internationale. Dès l'année suivante, il lance en 1985 la course Monaco-New York, une première transatlantique organisée par Michel Etevenon et Bruno Coquatrix. C'est alors qu'est décidé de faire un équipage monégasque, Biotonus, que j'ai eu le plaisir de skipper. C'est le Canadien Mike Birch qui remporte cette édition à laquelle ont pris part neuf équipages au total, dont notamment ceux de Sylvie Viant-Vanek, Florence Arthaud et Philippe Poupon.
Outre la voile, le Yacht-Club de Monaco, c'est aussi le motonautisme…
C'est une activité créée en 1904 avec les premiers meetings de canots automobiles. Il généra un véritable engouement mais était aussi très meurtrier. Nous avons cessé les courses après ce jour funeste du 2 octobre 1990 et l'accident de Stefano Casiraghi, alors vice-président du YCM.
Aujourd'hui, Pierre Casiraghi perpétue la tradition familiale…
C'est le portrait de son père ! Très présent ! Même engagement, même ténacité, même envie de vaincre. Il est sportif et aime la mer, c'est indéniable. Il a également l'esprit d'équipe et le sens des responsabilités. Il a remporté l'an dernier la Palermo-Montecarlo et a participé cette année à la transat Cape2Rio en battant le record de l'épreuve à bord de Maserati.Enfant, il passait ses vacances sur le Pacha, deux mois, en été. Il a fait de belles croisières. C'est sur le bateau familial qu'il a appris à naviguer. Mais au Yacht-Club, il a commencé sur Tuiga.
Tuiga… Une acquisition emblématique pour le Yacht-Club.
Oui. Il est devenu notre vaisseau amiral et l'ambassadeur de notre patrimoine maritime, portant nos valeurs et symbolisant tradition, performance et esprit d'équipe. Il a été acheté en 1995 et a encouragé la création du premier circuit de bateau classique grâce à Prada.
Tuiga s'habille en Prada ?
Nous étions à Cannes avec le voilier et Patrizio Bertelli, le patron de la marque de vêtements, s'est présenté pour acheter le bateau. Nous lui avons dit qu'il n'était pas à vendre mais lui avons proposé de créer un circuit de bateaux classiques. Quelques semaines plus tard, ce fut chose faite avec la création du Prada Challenge for Classic Yachts, un circuit unique de yachts de tradition en Méditerranée.
Le voilier du Yacht-Club est aussi la star de la Classic Week.
Cet événement a été créé en 1994, pour les dix ans de présidence du prince Albert. Il s'agissait du premier rassemblement au monde de canots automobiles anciens, de motor-yachts d'époque et de voiliers de tradition. Tuiga y participait mais nous n'en étions pas encore propriétaire.
Ce voilier amiral, construit en 1909 en Écosse, ne symbolise-t-il pas, finalement, « l'art de vivre la mer » selon les codes qui sont ceux du YCM ?
Le Yacht-Club de Monaco s'approprie ses membres. Quels que soient leur niveau de fortune, leur influence, leur ego, leur renommée dans la profession ou ailleurs, les membres ne s'approprient pas le Yacht-Club mais se mettent à son service, car leur appartenance au club est très forte. Le club a une identité propre. Il est crédible et reconnu. C'est par exemple pour cela que la Giraglia Rolex Cup, la plus grande course en Méditerranée avec quelque 220 bateaux, arrivera à Monaco entre jeudi et vendredi. On n'aime pas être considéré comme des buveurs de champagne. Nous, les bulles, on les savoure dans l'eau de mer…
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