La justice suspecte trois salariés d’un établissement bancaire de la place d’avoir fermé les yeux sur des mouvements de quelque vingt millions d’euros. Délibéré le 31 janvier
Les collaborateurs d'un établissement bancaire de la Principauté ont-ils omis volontairement la déclaration de soupçons en lien avec la lutte anti-blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la corruption ? Le Tribunal correctionnel de Monaco devra se prononcer sur leur éventuelle culpabilité ou innocence le mardi 31 janvier, après la comparution, au cours d'une précédente audience, de Jacques A., Lucien C. et Sandrine L. (1)
Pas de contrôle administratif ?
La justice monégasque suspecte les trois prévenus d'avoir manqué à leurs obligations entre les années 2004 et 2007.
Car chaque banque doit avoir en son sein des personnes qui font office de correspondants du Siccfin (2). Elles ont pour mission de surveiller les opérations effectuées par des clients afin de détecter celles qui auraient un caractère particulièrement suspect ou complexe.
Avec obligation de déclaration de soupçon sur le fondement de la loi n° 1.162 du 7 juillet 1993.
Au cours de l'audience, le Tribunal s'est intéressé à quelque 20 millions d'euros. Cette somme aurait « échappé », par le biais de transferts de capitaux, aux contrôles administratifs. Et sans aucun justificatif pour vérifier la réalité économique des opérations.
Pourtant, ces documents auraient facilité les connaissances des revenus des clients et la provenance des fonds.
En fait, le « satisfecit » bancaire semblait décerné uniquement sur la réputation des titulaires de compte.
Le président Marcel Tastevin (3) avait même le sentiment que la volonté farouche de la Principauté de lutter contre le blanchiment n'avait aucun écho dans cette affaire.
« Certes, ce système d'inspection ne se met pas en place du jour au lendemain. Mais onze ans après la publication de la loi, il était aisé d'appliquer cette législation... »
Cependant, les trois prévenus ont réfuté tout manquement aux règles. Ils ont estimé, à tour de rôle,« avoir toujours fait les déclarations, obtenu le maximum d'informations sur les opérations, essayé de comprendre la notoriété des clients et jamais avoir le moindre soupçon. »
« Il faut que la place retrouve une belle image »
Le procureur Michaël Bonnet s'est un peu énervé. « Pourtant, quand on retire des espèces dans une banque, il reste des traces... Or, les vérifications sont quasiment absentes. Par exemple, en deux ans, 6,5 millions d'euros ont été déposés sur un compte qui ne correspondait pas aux déclarations effectuées à l'époque de son ouverture. Plusieurs sociétés étrangères ont viré des fonds avec des factures comme justificatifs. Mais aucune n'est versée au dossier.
Sept millions d'euros apparaissent sur un autre compte sans vérification intra-bancaire. On n'a même pas demandé le minimum : les bordereaux de rentrée d'espèces. Il faut que la place bancaire retrouve une belle image. Le délit est établi pour les trois prévenus... »
Pour la défense de Me Piazzesi (Barreau de Nice), « on nage en pleine hypocrisie ! Allez-vous juger en fonction des montants ou raisonner par le lien entre le blanchiment, le terrorisme ?
Car il n'y a pas de blanchiment, donc pas de sanction. Et il n'y a aucun élément qui rattache les faits au trafic de stupéfiants. Votre tribunal ne peut même pas constater une insuffisance de contrôle. Je sollicite alors la relaxe de mes clients... »
Réponse le mardi 31 janvier.
1. Les prénoms ont été modifiés afin de préserver l'anonymat des prévenus.
2. En Principauté, le Service d'Information et de Contrôle sur les Circuits Financiers (SICCFIN) est l'autorité centrale nationale chargée de recueillir, analyser et transmettre les informations en lien avec la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la corruption.
3. Mmes Stéphanie Vikström et Emmanuelle Casini-Bachelet, assesseurs.
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