Où en est l'évolution du droit des femmes à Monaco? On fait le point

Depuis 1945, le combat pour l’égalité hommes femmes à Monaco est un long chemin de croix tant sur le volet politique, familial que celui de la nationalité. Gros plan sur cette lente évolution.

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Thibaut Parat Publié le 08/03/2023 à 12:15, mis à jour le 08/03/2023 à 12:09
Ce n’est qu’en 1962 que les femmes ont pu voter pour les élections nationales et se présenter à ce scrutin. Photo Jean-François Ottonello

Si la question des droits des femmes a connu des avancées législatives notables ces dernières années en Principauté, le combat ne date pas d’hier. En 1958, le prince Rainier III autorisait la constitution de l’Association pour la défense des intérêts de la femme monégasque, devenue depuis l’Union des femmes monégasques (UFM).

Ancêtre du (plus récent) Comité pour la promotion et la protection des droits des femmes, l’entité a œuvré sans relâche pour gagner l’égalité de droits et faire changer les mentalités.

"À Monaco, le droit de la famille et celui de la nationalité ont dû évoluer pour abolir des discriminations dépassées entre femmes et hommes", déclarait la princesse Caroline, présidente d’honneur, dans la préface du livre dédié aux 60 ans de l’UFM.

Une évolution lente et aux compte-gouttes. Il a, en effet, fallu plus de six décennies pour gommer des textes législatifs et juridiques archaïques, y compris dans la Constitution, qui n’étaient plus en phase avec l’évolution de la société.

Mais aujourd’hui encore, il subsiste des inégalités, notamment salariales. Les violences et discriminations envers la gent féminine demeurent une réalité. Le combat n’est pas terminé. La Principauté tout entière en a fait son cheval de bataille.

Lente acquisition des droits politiques

Avant la Seconde Guerre mondiale, les femmes monégasques étaient littéralement évincées des droits civiques, avec l’interdiction de voter et d’être élue.

Pourtant, dès 1919, une figure politique très influente de la Principauté, Louis Aureglia, s’affichait en précurseur en proposant d’étendre l’exercice de la démocratie monégasque aux femmes. "Limité au seul sexe masculin, le suffrage n’est universel que de nom. En outre, il ne fait que consacrer une inégalité que, de nos jours, l’on considère de plus en plus comme une injustice sociale. L’égalité des droits entre l’homme et la femme s’impose de plus en plus à la conscience des peuples civilisés", déclarait-il à l’époque. Une proposition de loi malheureusement restée lettre morte du côté du gouvernement.

Il faudra attendre l’année 1945, dans la foulée de l’État français, pour qu’elles obtiennent ces droits, mais seulement pour les élections communales.

Une avancée notable, certes, mais qui ne suscitera, dans un premier temps, guère de vocation politique au sein de la gent féminine.

Ce n’est qu’une décennie plus tard qu’une Monégasque, Roxane Noat-Notari, est élue conseillère communale.

Cette évolution démocratique s’étend au scrutin national en 1962, à l’occasion de la modification de la Constitution, trois années après que le prince Rainier III en a émis le souhait. "Pour la première fois dans notre histoire, les femmes accèdent à la pleine égalité politique avec les hommes", dira-t-il au moment des élections nationales de février 1963.

Ce jour-là, les votant(e)s élurent les membres du Conseil national et, au terme du scrutin, Roxane Noat-Notari fut la première femme élue conseillère nationale à Monaco.

Au fil des décennies, les femmes monégasques prirent davantage d’envergure politique, n’hésitant plus à assumer des responsabilités en qualité de cheffe de liste.

En 1991, Anne-Marie Campora devient la première femme - et la seule à ce jour - maire de Monaco. Une fonction qu’elle occupera jusqu’en 2003 avant que Georges Marsan ne lui succède.

En février 2018, aux côtés de Stéphane Valeri, Brigitte Boccone-Pagès devient vice-présidente du Conseil national puis, le 6 octobre 2022, présidente en remplacement de celui qui est destiné à prendre la tête de la Société des Bains de Mer. Une première dans la vie politique monégasque.

Le 5 février dernier, les Monégasques accordent leur confiance à sa liste, laquelle rafle la totalité des 24 sièges.

En séance, sans surprise, elle est élue et propulsée présidente du Conseil national.

En 2003, la notion de "puissance paternelle" a disparu du Code civil monégasque. Photo Jean-François Ottonello.

Droits de la famille: l’archaïsme n’est plus

Pendant longtemps à Monaco, les décisions de couple incombaient uniquement au mari, que ce soit pour ouvrir un compte en banque, obtenir la délivrance d’un passeport et, parfois, un emploi. Une vision patriarcale atténuée avec la loi 886 du 25 juin 1970, modifiant certains chapitres du Code civil monégasque. Ainsi, si l’époux demeurait toujours le "chef de famille" et choisissait la résidence du ménage, l’épouse pouvait exercer une activité professionnelle propre.

Exit la puissance paternelle

"On a trente ans de retard par rapport à la France", affirmait, en 2003, Catherine Fautrier, conseillère nationale et présidente de la Commission des droits de la femme et de la famille, alors fraîchement créée. Cette année-là, le Code civil, rétrograde et archaïque en comparaison des réalités sociales et familiales d’alors, connaît une révolution.

La mention de "puissance paternelle" est remplacée par celle "d’autorité parentale conjointe".

L’article 187 est modifié de la sorte: "Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille et contribuent à son entretien. Ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur établissement; ils s’obligent mutuellement à une communauté de vie et conservent l’exercice conjoint de l’autorité parentale".

Depuis 2018, les progrès se sont nettement accélérés. Citons, entre autres, le congé maternité qui a été allongé; la notion de "chef de foyer" qui a été modifiée permettant aux résidentes monégasques et travaillant dans la fonction publique de percevoir, à l’instar de leurs homologues masculins, les allocations familiales et la couverture médicale des enfants ; la lutte contre les violences faites aux femmes qui s’est intensifiée.

Sur ce dernier point, d’ailleurs, la loi n°1517 de 2021 sur l’incrimination des agressions sexuelles a permis de moderniser l’arsenal pénal de la Principauté en redéfinissant certaines infractions et en assurant une meilleure protection des victimes, souvent des femmes.

Des textes dépoussiérés

Enfin, en mai 2022, un autre pas de plus vers l’égalité entre les hommes et les femmes a été réalisé avec la loi n°1523 qui abroge les "dispositions obsolètes et inégalitaires", à l’égard des femmes, recensées dans bon nombre de textes juridiques et législatifs jugés sexistes.

Un travail de fourmi, mené conjointement par le gouvernement princier, le Conseil national et le Comité pour la promotion et la protection des droits des femmes, qui a nécessité l’analyse de 12.000 textes et dispositions. 85 d’entre eux ont fait l’objet d’une modification ou d’une suppression. C’est notamment le cas du "délai de viduité"* et de la notion de "bon père de famille".

*Laps de temps de 310 jours imposé aux femmes pour se remarier à la suite d’une dissolution du mariage afin de s’assurer qu’elles ne soient pas enceintes de leur dernier conjoint.

La transmission de la nationalité, longtemps une affaire d’hommes

Pendant plusieurs décennies, la transmission de la nationalité monégasque était le privilège des hommes. En effet, par la loi 572 de novembre 1952, partiellement modifiée en 1977, une femme née monégasque ou monégasque ayant un ascendant né monégasque ne pouvait transmettre sa nationalité à ses enfants que sous certaines conditions très restrictives : que l’enfant en fasse expressément la demande dans l’année suivant sa majorité.

Depuis, ce n’est que par étapes successives que la loi a évolué en faveur de la mère.

La loi 1155, votée fin 1992, permet "la transmission de la nationalité monégasque par une mère née monégasque qui possédait encore cette nationalité au jour de la naissance ou d’une mère monégasque et dont l’un des ascendants de la même branche est né monégasque."

En cas de naturalisation des parents, la branche mâle pouvait transmettre, il n’en était pas de même pour les filles. Une injustice réparée par la loi du 22 décembre 2003 permettant la transmission par une mère monégasque ayant acquis la nationalité par naturalisation ou réintégration.

Puis, la loi 1296 de 2005 a accordé aux mères ayant acquis la nationalité monégasque par l’article 3 de la loi 572 de 1952 - dite des "trois générations nées à Monaco" - de transmettre leur nationalité.

Quant à la transmission de la nationalité par mariage, le délai est passé, depuis le 1er juillet 2022 (loi 1512 de 2021), de 10 à 20 ans, à compter de la célébration du mariage, afin de préserver le modèle social de la Principauté. Avant 2011, les femmes monégasques ne pouvaient pas transmettre leur nationalité à leur époux étranger. La loi 1387 l’a permise.

L’épineux dossier de l’IVG à Monaco

Sujet épineux dans un pays où le catholicisme est religion d’État, où le modernisme de la société se confronte aux positions édictées par le Vatican, le droit à l’avortement en Principauté n’a connu des avancées qu’en 2009.

Cette année-là, le vote de la loi 1359 prévoit la création d’un centre de coordination prénatale et de soutien familial, sous la responsabilité d’un médecin coordonateur, et autorise "l’interruption médicale de grossesse" dans trois cas précis : la préservation de la vie de la femme enceinte ; la détection de troubles graves et irréversibles du fœtus ou d’une affection incurable menaçant sa vie ; et enfin si la grossesse est issue d’un viol, quel qu’en soit l’auteur.

Dépénalisation (partielle) en 2019

Ce n’est qu’en 2019 que la Principauté a dépénalisé le recours à l’interruption volontaire de grossesse.

Si cela n’est plus considéré comme un délit, la pratique reste, en revanche, interdite sur le sol monégasque et les professionnels de santé qui y recourraient risquent 5 à 10 ans de prison, une suspension d’au moins cinq ans, voire une incapacité absolue d’exercer. C’est donc toujours hors des frontières de Monaco que les femmes monégasques et résidentes doivent continuer à subir cette douloureuse épreuve.

Le sujet évoqué lors des dernières élections nationales

Les dernières élections nationales ont remis le sujet en lumière. Lors du dernier meeting, Juliette Rapaire, colistière de NIM, a plaidé pour la légalisation de la pratique des IVG à Monaco.

"Nous ne sommes ni un état rétrograde, ni un pays nataliste, nous nous devons de continuer à être progressiste en ce qui concerne les droits humains. La route est longue mais les femmes doivent obtenir le pouvoir de s’émanciper. La pratique de l’avortement n’est ni légalisée, ni remboursée, et condamne les praticiens en Principauté. Comment pouvons-nous prétendre prôner une société aux modèles égalitaires? Pouvons-nous encore fermer les yeux sur l’accès de cette pratique importante dans notre pays? Les évolutions sociétales vont de pair avec les avancées ecclésiastiques. Il faut trouver des solutions qui respectent la vie de la mère, de l’enfant et des personnes concernées."

Les autres avancées pour les femmes

Loi 1440 de 2016

Elle accorde le droit pour une femme, en commun accord avec le père, de transmettre son nom à ses enfants.

Loi 1457 de 2017

Elle interdit expressément le harcèlement et la violence au travail, vise à « améliorer la sensibilisation et la prise de conscience de tous les partenaires de la relation de travail à l’égard de ces comportements inadmissibles afin de favoriser leur prévention et de parvenir à les réduire, voire, idéalement, à les éliminer. »
Loi 1481 de 2019, relative aux contrats civils de solidarité

Elle a pour objectif de mieux prendre en compte la situation des personnes qui ont fait le choix d’avoir un projet de vie commun sans être mariées. « C’est, en quelque sorte, l’équivalent du PACS français. Cette loi est très importante car c’est un moyen de reconnaître les couples homosexuels. C’est le seul moyen existant actuellement à Monaco », confie Véronique de Millo Terrazzani, présidente de l’Union des femmes monégasques.

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