On joue au jeu de celui qui sera le plus cruel (...) Les claviers ça tire, les ordis sont des armes. » Sur la scène du collège Charles-III, quatorze collégiens chantent avec leur cœur. Leurs tripes. Les rimes originelles de Patrick Bruel et La Fouine s'enchaînent avec force et poésie. Les mots prennent tout leur sens. En interprétant Maux d'enfants devant leurs camarades de 4e, ces jeunes-là envoient un signal fort en cette journée contre le harcèlement scolaire. Non aux brimades. Non aux insultes. Non à l'humiliation.
Parmi les choristes, Ghita, jadis harcelée par trois supposées « copines ». « Si je ne leur donnais pas mon goûter, je n'étais plus leur amie et elles allaient dire à la maîtresse que je disais des gros mots », glisse-t-elle. Des mots d'apparence futiles, enfantins, mais qui blessent dans sa chair la personne harcelée. Et qui peuvent prendre des proportions démesurées sur la Toile. « Quatre mots peuvent changer une vie, en bien comme en mal, prévient Cédric Bertrand, principal du collège Charles-III. Une situation peut dégénérer encore plus vite sur les réseaux sociaux. Vous êtes en première ligne. Il y a des règles du jeu, il faut apprendre à les respecter. »
5 à 6 cas de harcèlement avérés par an
L'accent, dans tous les établissements de la Principauté, a donc été mis sur les cyberviolences. À Charles-III, les 5e ont même établi vingt règles pour une charte des bons cybercomportements. Réduite à dix après un vote des élèves. « Un individu va insulter, se moquer d'un autre, jusqu'à détourner ou publier des images d'une victime sans son autorisation, voire usurper son identité, détaille Marie-Cécile Moreno, directrice adjointe de l'Éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Les collégiens n'ont pas le degré de maturité suffisant pour savoir comment agir, réagir face aux réseaux sociaux. »
Sur les cinq à six cas annuels de harcèlement avérés, recensés en Principauté, la Toile a bien souvent joué un rôle aggravant. « Les sanctions peuvent être l'avertissement, le blâme ou l'exclusion. Pour les cas avérés, cette dernière fut systématique », poursuit-elle, précisant que le harcèlement est pénalement répréhensible (lire ci-dessous). Mais rares sont les fois où l'on arrive à une telle extrémité. Car, heureusement, le problème est désamorcé à temps. « Le harcèlement est souvent un problème de dialogue. À cet âge-là, il y a beaucoup d'incompréhensions. 99 % des cas se résolvent en parlant », analyse Cédric Bertrand. » C'est, notamment, le rôle du médiateur. À Charles-III, Stéphanie Biancucci occupe cette fonction.
« On entend la victime, on prend du temps avec elle. Je reçois aussi individuellement le harceleur pour qu'il prenne conscience de ses actes. Quand tout le monde est prêt, on établit la médiation. On est souvent sur des problématiques de brimades, de moqueries. L'élève harcelé peut s'exprimer face au harceleur, lui dire ce qu'il a ressenti. Les parents sont prévenus de la démarche. Après, la médiation n'empêche pas la sanction », explique celle qui travaille en lien étroit avec le psychologue.
Alerter dès que possible
Pour les témoins de ce genre de scènes, malheureusement banales, il apparaît vital de repérer des signaux avant-coureurs : résultats en baisse, mal-être chronique, affaires personnelles dégradées… Avant qu'un drame ne survienne. D'autant que la victime s'emmure souvent dans le silence et la solitude. Par honte. Par culpabilité. Hier toujours, les élèves de 6e se sont mis dans la peau d'enquêteurs… en ligne (*). Trois scénarii de harcèlement dans un même établissement. Des indices cachés à dénicher. Des témoignages précieux à glaner auprès des camarades virtuels. Les adolescents prennent le jeu au sérieux. Conscients que le virtuel peut vite devenir une triste réalité. Qu'eux ou le camarade d'à-côté peuvent être un jour des victimes de harcèlement. « Mieux vaut faire une fausse alerte que de ne rien dire, leur conseille leur professeur. On ne vient pas à l'école pour être en détresse. »
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