Pourquoi on en parle?
Selon l’Observatoire de la société française, “en 1983, 3 % des diplômés de niveau bac sortis depuis au moins 11 ans de l’école en emploi occupaient un poste d’ouvrier ou d’employé non qualifié (Insee). Presque quatre décennies plus tard, en 2021, cette proportion est de 15,5 %.”
En 30 ans, le nombre de jeunes appelés à occuper un emploi non qualifié a été multiplié par cinq.
Une situation qui a largement contribué à nourrir un sentiment de déclassement, ce processus qui conduit une personne à un statut social inférieur.
“Un sentiment qui s'accroît”, constate l’Observatoire des inégalités dans un article publié au mois d’avril. Notamment chez les jeunes fraîchement débarqués dans un monde du travail précarisé. Doit-on s’en inquiéter?
“Le déclassement n’est jamais clairement défini : présenté de la sorte, il reste avant tout un sentiment diffus, une crainte, palpable mais subjective”, expliquait la sociologue Camille Peugny dans un article intitulé “L’expérience du déclassement”.
Un “risque marqué” pour les générations plus jeunes et aux conséquences importantes, notamment pour la vie démocratique, ajoute la chercheuse.
Elle précise : “[...] Le déclassement a une influence sur la manière dont on se représente le fonctionnement de la société et il structure les opinions, les attitudes et les comportements politiques que l’on adopte.”
Un danger pour notre démocratie?
Dans un communiqué publié en avril 2023, vous faites état d’un sentiment de déclassement qui s’accroît dans la société.
Aujourd’hui, nous avons plus de jeunes qui se trouvent dans des situations qui ne correspondent pas à l’idée qu’ils peuvent se faire du métier qu’ils pourraient obtenir à partir de leur diplôme. Il y a un allongement des études, une élévation des qualifications mais il n’y a malheureusement pas assez d’emplois correspondants… Donc, il y a une sorte d’embouteillage.
On constate néanmoins, dans des études que nous avons publiées récemment, que la part de personnes qui estiment que leur situation est meilleure que celle de leurs parents au même âge a nettement diminué dans les années 2000.
Vous évoquez trois formes de déclassement. Pouvez-vous nous les rappeler? Quel est celle qui prédomine aujourd’hui?
Sur le déclassement en lui-même, il faut savoir de quoi on parle. Il faut distinguer le sentiment de déclassement du déclassement réel.
De manière générale, on reconnaît trois formes de déclassement.
Le déclassement au regard de l’emploi que vous avez eu à votre diplôme. Actuellement, on voit que le diplôme donné ne donne plus accès au même emploi.
Le déclassement au regard de l’évolution de carrière: quand vous finissez par occuper un poste de niveau inférieur à celui que vous occupiez au début de votre carrière.
Le déclassement au regard de la mobilité entre parents et enfants: quand les enfants ont des carrières ou des emplois moins élevés que leurs parents.
Actuellement, c’est la troisième forme qui prédomine.
Comment se traduit ce sentiment de déclassement?
Ce sentiment est l’une des explications majeures des tensions sociales. Il existe ainsi un décalage entre des aspirations (notamment celle de l’autonomie dans le travail) et des réalités dans le travail qui ne correspondent pas aux attentes.
Il y a également une injonction à avoir une bonne vie. On assiste à la multiplication de messages comme “réalise-toi”, “sois toi-même”, le système scolaire demande de créer son propre parcours, de se réaliser, l’individu est au centre.
De très très nombreux jeunes subissent ensuite un décalage car à l’arrivée sur le marché du travail, il y a un choc très important.
Une désillusion même?
Si les emplois ne sont pas forcément plus mal payés, subsiste finalement un sentiment d’échec dans leur vie. Ce sentiment découle aussi de l’engagement de leurs parents qui ont beaucoup investi dans la réussite de leurs enfants.
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