Emplois inférieurs au niveau d’études, tensions à l’embauche… Comment faire face au sentiment de déclassement chez les nouvelles générations?

Le sentiment de déclassement s’accroît en France. C’est ce que constate l’Observatoire des inégalités. Toujours plus diplômés pour des emplois toujours moins qualifiés, il infuse surtout parmi les plus jeunes. Non sans conséquences sur le vivre-ensemble. Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, esquisse les contours de cette tendance qui creuse les écarts entre citoyens.

Flora Zanichelli Publié le 21/05/2023 à 10:00, mis à jour le 19/05/2023 à 20:29
interview
Comment faire face au sentiment de déclassement chez les nouvelles générations? Photo d'illustration Nice-Matin

Pourquoi on en parle?

Selon l’Observatoire de la société française, “en 1983, 3 % des diplômés de niveau bac sortis depuis au moins 11 ans de l’école en emploi occupaient un poste d’ouvrier ou d’employé non qualifié (Insee). Presque quatre décennies plus tard, en 2021, cette proportion est de 15,5 %.”

En 30 ans, le nombre de jeunes appelés à occuper un emploi non qualifié a été multiplié par cinq. 

Une situation qui a largement contribué à nourrir un sentiment de déclassement, ce processus qui conduit une personne à un statut social inférieur. 

Un sentiment qui s'accroît”, constate l’Observatoire des inégalités dans un article publié au mois d’avril.  Notamment chez les jeunes fraîchement débarqués dans un monde du travail précarisé. Doit-on s’en inquiéter?

Le déclassement n’est jamais clairement défini : présenté de la sorte, il reste avant tout un sentiment diffus, une crainte, palpable mais subjective”, expliquait la sociologue Camille Peugny dans un article intitulé “L’expérience du déclassement”. 

Un “risque marqué” pour les générations plus jeunes et aux conséquences importantes, notamment pour la vie démocratique, ajoute la chercheuse.

Elle précise : “[...] Le déclassement a une influence sur la manière dont on se représente le fonctionnement de la société et il structure les opinions, les attitudes et les comportements politiques que l’on adopte.”

Un danger pour notre démocratie?

Dans un communiqué publié en avril 2023, vous faites état d’un sentiment de déclassement qui s’accroît dans la société. 

Aujourd’hui, nous avons plus de jeunes qui se trouvent dans des situations qui ne correspondent pas à l’idée qu’ils peuvent se faire du métier qu’ils pourraient obtenir à partir de leur diplôme. Il y a un allongement des études, une élévation des qualifications mais il n’y a malheureusement pas assez d’emplois correspondants… Donc, il y a une sorte d’embouteillage.

On constate néanmoins, dans des études que nous avons publiées récemment, que la part de personnes qui estiment que leur situation est meilleure que celle de leurs parents au même âge a nettement diminué dans les années 2000.

Vous évoquez trois formes de déclassement. Pouvez-vous nous les rappeler? Quel est celle qui prédomine aujourd’hui?

Sur le déclassement en lui-même, il faut savoir de quoi on parle. Il faut distinguer le sentiment de déclassement du déclassement réel. 

De manière générale, on reconnaît trois formes de déclassement.

Le déclassement au regard de l’emploi que vous avez eu à votre diplôme. Actuellement, on voit que le diplôme donné ne donne plus accès au même emploi.

Le déclassement au regard de l’évolution de carrière: quand vous finissez par occuper un poste de niveau inférieur à celui que vous occupiez au début de votre carrière. 

Le déclassement au regard de la mobilité entre parents et enfants: quand les enfants ont des carrières ou des emplois moins élevés que leurs parents. 

Actuellement, c’est la troisième forme qui prédomine. 

Comment se traduit ce sentiment de déclassement?

Ce sentiment est l’une des explications majeures des tensions sociales. Il existe ainsi un décalage entre des aspirations (notamment celle de l’autonomie dans le travail) et des réalités dans le travail qui ne correspondent pas aux attentes.

Il y a également une injonction à avoir une bonne vie. On assiste à la multiplication de messages comme “réalise-toi”, “sois toi-même”, le système scolaire demande de créer son propre parcours, de se réaliser, l’individu est au centre.  

De très très nombreux jeunes subissent ensuite un décalage car à l’arrivée sur le marché du travail, il y a un choc très important.

Une désillusion même?

Si les emplois ne sont pas forcément plus mal payés, subsiste finalement un sentiment d’échec dans leur vie. Ce sentiment découle aussi de l’engagement de leurs parents qui ont beaucoup investi dans la réussite de leurs enfants.

Louis Maurin est directeur de l'Observatoire des inégalités. Photo DR.

Certaines catégories affrontent des difficultés supplémentaires?

Parmi les jeunes issus de l’immigration, il y a des discriminations, donc des difficultés supplémentaires. Cela crée une forme de violence particulière : on vous rejette à cause de votre tête.

Parmi les jeunes issus de l’immigration, il y a des discriminations, donc des difficultés supplémentaires.

En plus de cette jeunesse-là, vous trouvez une jeunesse de catégorie populaire et moyenne qui ne tire pas forcément profit de ses études, au moins les premières années.

Quelles sont les conséquences de ce phénomène?

C’est un phénomène social majeur. De ça naissent des tensions, de ça naît également l’abstention. Pourquoi les gens ne votent plus? Parce que la société ne leur propose rien.

Ajoutez à cela que les jeunes sont en plein dans l’univers foisonnant des réseaux sociaux, avec une polarisation des idées politiques. C’est un danger pour la démocratie. 

On voit d’ailleurs que beaucoup de jeunes se tournent vers l’extrême-droite ou alors tombent dans l’abstention qui est, rappelons-le, le premier parti de France. 

Ce sentiment est-il appelé à se pérenniser? Quels scénarios, dès lors, se dessinent?

Au début des années 2000, on avait des jeunes qui pensaient que leur situation était meilleure que celle de leurs parents, notamment de leur père. Mais cette tendance s’inverse en 2010.

Une sorte de résignation se met en place. 

On est passé d’une société de mobilité sociale à une société de la stagnation.

Ça crée une forme de ressentiment parmi la jeunesse. Si vous regardez, chez les gilets jaunes, il y avait des jeunes. Ils étaient présents aussi dans les manifestations pour les retraites.

Quel regard porter, justement, sur la mobilisation des jeunes?

Un jeune qui est en colère exprime une émotion. Cette tension, elle se résout dans le conflit. Ce n’est pas l’idéal mais il faut voir que ce jeune exprime quelque chose, et ça, c’est très important. Il faut arriver à la réguler.

La tension, quand elle est rentrée, qu’elle ne s’exprime pas, c’est ça qui est inquiétant.

Il y a alors un repli sur soi.

Beaucoup de choses expliquent ce que traversent les jeunes aujourd’hui. Le sentiment de déclassement n’est pas seul en cause. Il convient d’aller dans la nuance et d’observer aussi les effets conjoncturels, comme la crise sanitaire. 

De même, tous les jeunes ne sont pas en dépression même si le baromètre santé 2021 fait état d’une santé mentale des jeunes très fragilisée. 

Comment remédier à ce sentiment de déclassement et éviter qu’il produise un éloignement des Français de la vie publique, par exemple?

Il y a aussi un système qui marche, il y a encore de la mobilité sociale.

Au bout du compte, les jeunes finissent par s’insérer dans la vie, c’est juste qu’il y a une étape qui s’est créée, parfois de 5 à 10 ans d’errance avant de se stabiliser. 

Une solution aujourd’hui, est vraiment de développer des formations, de mieux les adapter aux emplois et de créer des emplois plus qualifiés. 

Des formations comme les BTS sont qualifiantes et permettent d’accéder plus facilement à l’emploi… Mais elles ne bénéficient pas du même prestige que les formations longues.

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