à Tende, ces trains

à 24 jours du premier tour des municipales, des citoyens disent leurs craintes et leurs espoirs pour leur commune, avec des propositions pour améliorer le quotidien. Sixième étape de notre road trip hebdomadaire à Tende, où les voix aiguillent vers le rail

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Publié le 20/02/2020 à 11:26, mis à jour le 20/02/2020 à 11:27

Au XIXe siècle, à dos d’âne et à bout de bras, ils ont mis cinq ans pour creuser le tunnel. Là, ça fait combien d’années que ça dure ? ça va comme ça ! »

Robert Deleuse est romancier. Et des romans, il y en aurait à écrire sur le tunnel de Tende... Ce sexagénaire patiente au volant, dans la file de véhicules massés au feu rouge. Là-haut sur la montagne, le bon vieux tube de 1882 les attend, au côté du second tunnel, dont le percement doit enfin reprendre. Au col de Tende, les ânes ont disparu depuis belle lurette. Pas les tracas.

Ces jours-ci, dans la Roya, le méga-chantier a fait couler plus d’encre que de béton. à 1 280 m d’altitude, « la route des municipales » nous conduit à la frontière franco-italienne, via la RD 6204. En attendant le second tunnel, on circule en alternance et en rongeant son frein. Symptôme du « problème dont on ne voit pas la fin », soupire Robert Deleuse. L’écrivain s’y frotte chaque semaine, lorsqu’il quitte Tende pour Vernante. « ça enclave encore plus. ça emprisonne. »

Galère ferroviaire

Pourtant, dans la commune la plus étendue des Alpes-Maritimes, c’est d’abord un sentiment de liberté qui étreint le visiteur. L’appel de la forêt enivre, les monts émerveillent, la rivière Roya coule des jours paisibles... Et les municipales se préparent en coulisses. Il n’y en a pas eu si souvent : Tende est devenue française le 16 septembre 1947. Cette date offre son nom à l’avenue principale, où se dresse le monument aux Morts érigé au temps des Italiens.

« Tende, c’est bien... à part pour les transports », résume Christine Ferrua, 56 ans, croisée au pied de la statue avec sa fille Laetitia. « Il faudrait plus de trains. On n’en a que deux par jour pour Nice. Sinon, on est obligé de prendre le car. Et si on descend à Breil, on n’a pas le car qu’il faut... » Nous y voilà : après les tracas routiers, les galères ferroviaires.

« Le train » : c’est le sujet n°1 sur les lèvres tendasques. Ici, on ne parle pas des trains qui arrivent en retard. Mais des trains qui n’arrivent plus, ou presque plus.

Voilà des années que les citoyens tentent de sauver cette ligne Nice-Breil-Cuneo, dont la SNCF a réduit la voilure et la vitesse. « Il faut une heure pour faire 22 km. ça a empiré !, s’exclame Jean-Marc Baldi, 53 ans, cogérant du bar des Sports. On ne peut pas se satisfaire d’un train qui va deux fois moins vite que dans les années 80. à l’époque du TGV, on se dit qu’il y a un problème... »

Manque de volonté d’investir pour relancer la machine ? Effet collatéral de la convention de Rome de 1970, qui définit les rôles respectifs de la France et l’Italie dans l’entretien de la ligne ? Volonté délibérée de laisser mourir à petit feu la ligne Nice-Cuneo ? Quoi qu’il en soit, beaucoup refusent de s’y résoudre. En témoigne la chaîne humaine tissée le 7 décembre dernier.

Urbains conquis

Derrière les trains qui désertent, il y a des hommes qui restent à quai. Voilà pourquoi Jean-Marc Baldi plaide pour « des transports en commun et un service public performants. Plein de gens me disent : “On va devoir partir parce qu’on n’arrive pas à faire garder les gamins.” Pas de garderie, pas de trésorerie... Ce sont des détails. Mais au quotidien, c’est usant. »

Le quotidien, pourtant, peut être radieux à Tende. « C’est un très joli village. Des gens quittent la ville pour venir ici », observe Christine Ferrua. Certains quittent même le nord pour Tende. Tel Roland Vandewalle, 67 ans, conquis. Sitôt sonnée l’heure de la retraite, cet ex-agent EDF est venu avec sa femme, attiré par « la clarté, la chaleur », et bien sûr, « les enfants et petits-enfants ». Sa fille Karine et son gendre Vincent gèrent La Margueria depuis seize ans. Il leur faut « travailler beaucoup », « fidéliser », faire « de la qualité », explique Roland, derrière le comptoir du resto. Mais il y a un hic : « Trop de commerces qui ferment. Ils sont difficiles à reprendre. D’autant qu’on a le problème du tunnel : c’est vraiment un frein pour la vallée. Il faudrait davantage de trains... »

Ouf : à deux pas de là, un restaurant, Le P’tit chez soi, s’apprête à rouvrir. « ça, c’est une bonne nouvelle », applaudit Jean-Marc Baldi.

Plus haut dans la rue, Serge Salaun, 66 ans, nous reçoit Chez le bougnat. Une « maison du pays », son troisième commerce en dix-neuf ans à Tende. « Il n’y a plus le peuple qu’il y avait avant », observe Serge, derrière ses lunettes et sa longue barbe. Il l’impute en partie aux trains supprimés. « Ils ont mis en place un système de cars, mais les gens s’y font nettement moins... »

L’envie de rester

Cette désaffection, Serge Salaun l’attribue aussi à l’image écornée de la Roya, depuis le combat de l’agriculteur de Breil Cédric Herrou pour l’accueil des migrants. « Il nous a plombé la vallée d’un coup, peste le commerçant. Si vous additionnez à cela les travaux dans les tunnels et les trains qui ne marchent pas, à l’arrivée, l’activité commerciale a baissé de 50 % ! »

16 h 30. à quelques pas de la gare aux quais quasi déserts, un souffle de vie jaillit de l’école élémentaire. Finis les cours, place aux vacances ! Lise Rampal, 36 ans, est la première maman venue récupérer sa fille. Cette diététicienne se sent « bien ici », « aime vivre dans la nature ». Mais elle invite à offrir « plus de commodités », à « tout faire pour que les gens veuillent venir ici et y rester ».

Quatre kilomètres plus bas, au hameau de Saint-Dalmas, Raphaël Lorilleux a trouvé une astuce. Son « café-charcuterie » fait aussi primeur, relais Poste, et vend même Nice-Matin. Parmi les clients, Mireille Truc, lingère de 57 ans, voit d’un bon œil cette diversification : « Sinon, petit à petit, il n’y aurait plus rien. »

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