"C’est bien facile de critiquer les motards. Mais sans eux, comment on ferait tourner nos restos et nos bars?": dans le haut pays, la difficile cohabitation entre motos et tourisme nature
Certains vont en montagne pour randonner ou échapper au brouhaha de la ville. D’autres attaquent les cols et les pistes au guidon de leurs motos ou au volant de leurs bolides bruyants et polluants. Si l’amour de la nature et le respect d’un tourisme vert sont bien partagés, en revanche, la cohabitation demeure difficile.
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Alexandre OriPublié le 27/08/2025 à 05:30, mis à jour le 27/08/2025 à 05:30
Entre le bruit du moteur de la moto qui peut effrayer la faune et le silence du vélo, le juste milieu est difficile à trouver sur les routes qui mènent au col de la Bonette.Photo Frantz Bouton
Un puissant grondement saccadé de crissements roule du fond de la vallée, faisant éclater son écho de cime en cime. Comme chaque été, avis d’orage mécanique dans le haut pays où défilent les grosses cylindrées. Quand certains, venus se ressourcer, y voient la profanation d’un silence sacré, d’autres revendiquent le droit de s’évader en circulant dans un décor grandiose. Un conflit d’usage qui tend à s’accentuer avec les années, les massifs étant de plus en plus peuplés en saison estivale.
"Ca fait pourtant des décennies que les cols sont pris d’assaut et que nos villages sont traversés. Pourquoi on débat?", s’étonne Armand, attablé à un bar de Roquesteron, dans l’Estéron.
Sa petite-fille Fanny lui rétorque aussi sec que "le rapport à la nature a évolué". Celle qui est saisonnière à Auron note que "depuis la pandémie, les gens viennent massivement en montagne pour décompresser. S’ils retrouvent le bruit qu’ils fuient en ville, ils pètent les plombs."
En témoigne Véronique, jeune retraitée citadine écoulant ses journées en randonnée: "Dans les gorges du Cians, j’ai crapahuté pendant plus d’une heure pour atteindre un point de vue. Et là j’entends que ça pétarade. Je vois débarquer une bande de jeunes en moto-cross et j’hallucine. Ils ne peuvent pas faire leur tour ailleurs qu’en pleine nature?"
"On aime la nature, mais différemment"
La remarque fait sourire Cyril, la vingtaine, habitué des sorties "dirt bike" (petite moto de cross) dans les environs du Cians justement. "Les randonneurs viennent en montagne pour la vue. Eh bien! Nous aussi. On aime la nature, mais différemment. Je préfère aller plus vite et plus loin. Avec des copains ou mon père, ça nous fait de magnifiques sorties, des grands moments de liberté."
Quid du bruit? "Au village, ça ne dérange personne, ils savent qu’on est des jeunes du coin. Seuls les citadins se plaignent alors qu’ils supportent ce bruit toute la semaine. Sur les pistes, on n’est que de passage. Après, les lieux retrouvent leur calme."
Non-respect de la réglementation?
Sauf quand le passage est discontinu... Comme d’autres lecteurs cet été, Stéphane a écrit à Nice-Matin pour se plaindre "des nuisances sonores qui s’intensifient" sur les routes de montagne. Le Niçois jouissant d’un pied à terre à Valberg, estime que "la station familiale prend des allures de piste de motos. Nous nous échappons vers le calme et voilà qu’on subit ce bruit non-stop toute la journée".
L’estivant soupçonne aussi qu’une "part très importante de ces motos possède des échappements modifiés. Les randonneurs et habitants sont nombreux à témoigner d’un sentiment d’impuissance et de révolte devant ce non-respect de la réglementation".
Aussi bruyants soient-ils, les motards sont une manne
"C’est bien facile de critiquer les motards. Mais sans eux, comment on ferait tourner nos restos et nos bars? Ce n’est pas le résident du week-end qui va remplir les caisses durant la semaine", lance Hervé, sexagénaire familier d’Isola.
La maire, Mylène Agnelli, abonde: "Pour faire vivre ses commerçants en dehors de l’hiver, Isola 2000 compte énormément sur le col de la Lombarde. C’est un point de passage pour de nombreux touristes. Avant de redescendre sur la vallée, ils font une pause et consomment."
Mais n’est-ce pas en contradiction avec l’image d’une station tournée vers un tourisme vert plus respectueux de l’environnement? "Ça n’est pas antinomique", estime l’élue. "Il faut toucher tous les publics et attirer le plus de personnes possible." Au risque d’aggraver les conflits d’usage? "Mais peut-on satisfaire tout le monde tout le temps?", tranche l’édile en soupirant.
À Tende, le tunnel a ravivé des tensions oubliées
Ce dilemme entre impératifs économiques et préservation de la tranquillité a rattrapé de plein fouet la Roya. Après douze années de fermeture, le tunnel de Tende a enfin rouvert. Depuis fin juin, les habitants ont ainsi vu leur vallée se métamorphoser: défilé incessant de véhicules, parkings saturés, terrasses bondées... Partout de l’agitation. Et du silence nulle part. Alors que la réouverture du tunnel était vivement attendue, certains habitants semblent déjà le regretter.
Lors d’un reportage dans le village, notre journaliste Thomas Ribaud rapportait le témoignage de deux retraités résumant l’état d’esprit de la vallée: "Avant, on se plaignait car il n’y avait personne, et maintenant, on se plaint du bruit. Faudrait savoir ce qu’on veut!"
Photo Frantz Bouton.
Le bruit braque la faune et ses défenseurs
Course de voitures et montagne font le bonheur des passionnés de sport auto... et le malheur des défenseurs du bien-être animal. Ce week-end-là (1), Isola 2000 devait accueillir la 2e édition de la course de côte la plus haute d’Europe, qui rallie la station au col de la Lombarde à 2.351mètres d’altitude. La compétition amateur a finalement été annulée faute de participants et d’argent. Mais son annonce avait tout de même ravivé le débat quant à la difficile cohabitation entre gros moteurs et faune sauvage.
Dans un post sur X, Hélène Granouillac, opposante écologiste à Nice, fustigeait "le monde d’hier", pour mieux louer "celui de demain", avec une affiche de la Fête de la terre et de la montagne, qui s’était déroulée le week-end précédent. "D’un côté, on a un tourisme vert qui met en avant les traditions et les producteurs locaux; un événement respectueux de la nature et de l’agriculture. Et de l’autre, on se retrouve avec des voitures aussi bruyantes que polluantes qui traumatisent la vie sauvage", déplore la militante écologiste.
Vaches, marmottes et chamois impactés
Lors de l’édition précédente, "des impacts significatifs sur la faune ont été relevés par des habitants", assure-t-elle. Ces lanceurs d’alerte, qui souhaitent garder l’anonymat pour ne "pas se brouiller avec les gens de la station", n’ont pas voulu témoigner. Leurs dires sont donc uniquement rapportés par l’opposante: "Ils ont remarqué que le bruit assourdissant faisait fuir les chamois et terrorisait les marmottes. Jusqu’à en tuer certaines! Ils ont retrouvé au moins une dizaine de cadavres. Elles seraient mortes d’une crise cardiaque."
Cependant, aucun vétérinaire n’a autopsié les bêtes pour confirmer les causes du décès. Par ailleurs, l’élue écologiste relève que les vaches en estive à proximité de la station n’ont pas donné de lait après la course. Ce qui n’a pu être confirmé auprès du vacher.
"Une telle course peut provoquer stress et désorientation chez les animaux", commente Nathalie Sevilla. Chargée de mission biologie à la métropole Nice Côte d’Azur. Elle explique qu’une "pollution sonore trop importante entraîne même des échecs de reproduction. C’est pour ça qu’on va interdire des travaux d’ampleur sur la période critique allant de mars à juillet. Heureusement, la course est une perturbation hyperponctuelle. Contrairement aux nombreuses motos et autres voitures débridées qui empruntent quotidiennement le col."
"La course auto, c’est le bruit, ça fait monter l’adrénaline!"
De son côté le parc national du Mercantour, dont la station adhère à la charte de préservation de l’environnement, assure ne pas avoir "reçu d’alerte spécifique suite à la première édition en 2024". L’organisme d’État précise aussi que la course ne traverse pas le cœur du parc et, "à ce titre, n’est pas soumise à autorisation spécifique".
"Évidemment, je n’aurais pas pu organiser la course dans une zone protégée", consent Daniel Jubier, l’organisateur, membre de l’Union sportive isolienne. Pour autant, les espèces sauvages se moquent des frontières tracées sur une carte et fréquentent aussi les abords de la route. Pourquoi ne pas avoir opté pour une course électrique, décarbonée et silencieuse? Le commissaire de rallye s’esclaffe: "Ceux qui disent ça n’y connaissent rien. La course auto, c’est aussi le bruit, ça fait monter l’adrénaline! On ne peut pas se passer d’une mélodie."
Le trophée Andros l’a pourtant bien fait sur ses trois dernières éditions. "Ça enlevait du charme. Et aujourd’hui, ça a disparu. La station n’avait plus de courses. On ne pouvait pas rester comme ça." N’en déplaise aux marmottes.
1. Le week-end du 9 et 10 août 2025.
Photo Frantz Bouton.
Les marmottes écrasées du col de la Bonette
Les touristes raffolent des marmottes. Sur le bord de la route, par grappes entières, ils braquent leur smartphone sur ces animaux sauvages "trop mignons". Images immortalisées qui précèdent parfois de mortelles rencontres. Car chaque été, de nombreux automobilistes et motards percutent fatalement les rongeurs.
Rouler moins vite
À 2 715mètres d’altitude, au col de la Bonette, emprunté par 140.000 véhicules entre juin et octobre, la zone de protection renforcée du parc national du Mercantour ne parvient pas à enrayer ces accidents. Comme en témoigne Isabelle Le Bas, une randonneuse, dans un courrier adressé à notre rédaction: "En une semaine, je suis monté deux fois au col. À chaque fois, j’y ai retrouvé un cadavre de marmotte. L’un était un marmotton qui s’est fait percuter sous mes yeux par une voiture montant à vive allure. Les roues l’ont littéralement éventré. Le conducteur a poursuivi comme si de rien n’était… et pourtant sa voiture a été secouée. L’autre corps était celui d’une maman qui ne retrouvera pas ses petits."
Contacté, le Parc confirme la régularité du phénomène et concède qu’un travail de "sensibilisation auprès du grand public" est encore nécessaire. "Nous appelons les usagers de la route à redoubler de prudence dans les secteurs d’altitude. Depuis 2019, la vitesse est limitée (50km/h à partir du camp des Fourches et 70km/h avant [soit la majeure partie du trajet]). Des opérations de contrôle sont régulièrement menées avec l’aide de la Gendarmerie, mais elles restent ponctuelles."
Que faire si l’on trouve une bête blessée?
Que faire si l’on heurte un animal ou qu’on le découvre blessé sur la route? Isabelle Le Bas confie n’avoir "pas eu le cœur à laisser ces petites bêtes" étalées. Elle les a donc déplacées dans l’herbe. Il est cependant interdit de transporter un animal sauvage, mort comme vivant.
S’il est conseillé de contacter le Parc – relais possible pour les espèces protégées, qui sont alors conduites dans les centres de sauvegarde de faune sauvage - ses services ne peuvent pas directement prendre en charge un spécimen blessé. Il faut donc aussi prévenir l’Office français de la biodiversité.
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