If I can make it there, I'll make it anywhere. » Si je peux le faire ici, je le ferai partout ailleurs. Bertrand Piccard avait-il en tête les paroles de la chanson New York, New York, hier matin ? Ou bien pensait-il à Charles Lindbergh, pionnier de l'aviation, premier a avoir traversé l'océan Atlantique ? C'est en tout cas un rêve qu'a entamé à l'aube l'aéronaute suisse en prenant les manettes de Solar Impulse pour entamer sa traversée de l'Atlantique.
Ce n'est pas la première de ce fou volant qui a déjà fait un tour du monde en ballon. Mais certainement la plus symbolique pour son projet de démontrer la capacité d'un avion poussé exclusivement à l'énergie solaire.
« Je sais que je peux le faire »
Sur la grande piste de l'aéroport new-yorkais de JFK, plongée dans le noir hier à l'aube, Bertrand Piccard s'est envolé sereinement. Direction Séville en Espagne. Il était 2 h 32 du matin sur la côte Est des États-Unis. Et 8 h 32 à Monaco, où l'équipe a suivi au monitoring le décollage depuis le Mission Center de la Principauté. « Nous avons construit un avion révolutionnaire, je sais que je peux le faire », a lancé au micro Bertrand Piccard, alors qu'à l'autre bout de la ligne, le prince Albert II donnait le top départ de ce vol hors norme.
Le bénéfice du solstice
Près de 90 heures programmées pour voler au-dessus de l'océan Atlantique. Depuis trois jours à Monaco, les météorologues étudiaient les cartes du climat pour trouver la bonne fenêtre de tir. « Cette date est finalement idéale car nous entamons cette traversée par le jour le plus long de l'année, ce qui va permettre de gagner en énergie », note Raymond Clerc, le chef de mission.
À l'aube hier matin, l'équipe est passée de la tension à l'émotion au démarrage de cette étape sans doute la plus mythique de l'aventure. L'avion, au cours des premières heures, doit survoler la côte nord-américaine et la Nouvelle-Écosse avant de filer droit vers le sud et de viser l'Espagne. C'est le point d'atterrissage imposé par la météo. Non sans un pincement au cœur d'abandonner l'idée d'arriver à Paris, pour faire en tout point comme Lindbergh en son temps.
Mais la raison prime toujours dans l'équipe de Solar Impulse. Ces derniers jours, le vol jusqu'à New York a été décalé d'une semaine à cause d'une composante électrique défectueuse. La pièce a été envoyée en Suisse pour réparation. Et un vol de validation a été nécessaire pour s'assurer de la bonne suite du projet.
Un projet qui approche de plus en plus de son but. Arrivé en Europe, Solar Impulse devrait ensuite longer la Méditerranée jusqu'au Caire. Puis relier ensuite Abu Dhabi, son point de départ en mars 2015, pour boucler son tour du monde.
André Borschberg, co-pilote de Solar Impulse: «Seul au-dessus de l’océan, on se sent privilégié»
Il a été le dernier à souhaiter «bonne chance» à Bertrand Piccard hier au micro. Et sera sûrement le premier à l’accueillir sur le tarmac à son arrivée à Séville. Le pilote André Borschberg est le deuxième homme de cette aventure. C’est lui qui, en juillet 2015, avait accompli le vol de Solar Impulse au-dessus de l’océan Pacifique. Une étape sur laquelle il est revenu hier, alors qu’il était présent au Mission Center de Monaco.
Vous êtes un des rares hommes à qui on peut poser cette question: comment se sent-on quand on vole plusieurs jours, en solitaire, au-dessus d’un océan?
Je dirais qu’on se sent privilégié de vivre une telle expérience. Voler sans carburant, de manière illimitée, c’est un sentiment extraordinaire. Je n’avais pas la pression du temps. Prendre trois ou quatre jours, qu’importe. L’important était de vivre chaque jour profondément pour en faire une expérience personnelle.
L’aventure Solar Impulse est un marathon depuis quinze mois. Y a-t-il des baisses de régime dans votre moral parfois?
Il y a des moments qui sont extraordinairement difficiles. L’année passée a été très dure, notamment pour l’équipe d’ingénieurs qui terminait la construction de l’avion. Mais pour se lancer dans une telle aventure, je crois qu’il faut aimer les situations difficiles pour y faire face avec la bonne attitude.
Avez-vous eu des doutes en vous lançant dans votre traversée du Pacifique?
C’était la première fois que l’on volait avec cet avion au-dessus de l’océan. On ne savait pas s’il avait la performance, si on était capable de prévoir la météo suffisamment à l’avance. Et si le pilote était capable de vivre et fonctionner cinq jours et cinq nuits. Alors oui, il y avait beaucoup de tension. Mais nous étions bien entraînés. La problématique vient quand ça ne se passe pas comme prévu.
Une situation que vous avez vécue?
Oui, juste après le départ. J’ai perdu un équipement considéré comme essentiel. Les ingénieurs voulaient que je retourne me poser au Japon. J’ai pensé qu’il fallait suivre une autre stratégie et continuer car c’était la première fois que la météo était favorable. Ce sont des moments durs, l’équipe était partagée. Mais je pense que c’était la bonne décision. Nous aurions perdu l’avion en retournant au Japon et en subissant la mousson.
Combien d’étapes reste-t-il aujourd’hui?
En principe, deux. La première vers Le Caire en Égypte. Puis ensuite vers Abu Dhabi. En descendant au-dessus de l’Égypte car nous sommes forcés d’éviter les zones de conflit d’Irak et de Syrie. Je ferai le vol de Séville vers Le Caire, au-dessus de la Méditerranée. En restant bien au-dessus de la mer car on ne peut pas voler trop au nord pour éviter les zones orageuses. Mais j’espère passer le plus près possible de Monaco!
commentaires