Comment feront-ils sans la présence sur le terrain de gardes-moniteurs, et plus largement de l’ensemble des salariés du parc national du Mercantour? C’est la question que Nice-Matin a posée à plusieurs acteurs de la vie des vallées, alors qu’en vue du budget 2026, le gouvernement de François Bayrou entend supprimer les établissements de l’ensemble des parcs nationaux, et les faire fusionner avec l’Office français de la biodiversité.
L’objectif affiché est de faire des économies. "Si les effectifs du parc sont réduits, cela abîmera le lien que ses équipes ont mis 45 ans à tisser avec le territoire. Des liens de confiance et de légitimité vis-à-vis de leur action de protection de cet espace naturel", estime Olivier Bressac, guide de montagne au sein du syndicat local Merveilles, Gravures et Découvertes, qui travaille en partenariat avec le parc national du Mercantour. "Le parc comprend des propriétés privées et des terrains municipaux. Les réglementations ne sont pas toujours bien vues par les habitants, qui ont l’impression qu’on leur vole de la liberté voire qu’on leur spolie leurs terres. Les gardes-moniteurs font de leur mieux pour donner de la légitimité à leur rôle de protecteur de l’environnement. Et cela passe par ce lien privilégié, tissé de longue date avec les populations locales", souligne le guide de montagne.
Un dialogue permanent avec les populations locales
"Si on les enlève, on va détériorer cette éducation, cette prévention essentielle à la préservation de la nature, corrobore Daniel Cottalorda, entrepreneur dans le bâtiment en montagne et président de l’association Roya développement. C’est parfois conflictuel, mais il y a toujours du dialogue entre les représentants du parc et la population locale."
Il estime que leur connaissance très fine du terrain aide grandement à accepter leurs exigences écologiques. "Quand je demande une autorisation d’accès à une piste, les gardes m’expliquent par exemple qu’un aigle niche à tel endroit. Les justifications sont concrètes et réelles. S’ils sont remplacés par des gens qui travaillent dans des bureaux, à Nice ou même plus loin encore, ça va être très mal perçu par les gens des vallées." D’autant que l’entrepreneur apprécie l’équipe du parc chargée de la Roya. "Ce sont des gens raisonnables, qui discutent. Certains ont d’ailleurs grandi ici." Et ce rôle de médiateur est également primordial vis-à-vis des touristes.
Solange Pelissero, éleveuse dans la vallée de la Pia, à Tende, en est témoin. "Les gardes-moniteurs du Mercantour sont les mieux placés pour faire de la pédagogie avec les vacanciers. Quand les éleveurs et bergers s’expriment, on a toujours l’impression qu’ils sont biaisés. Alors que certains promeneurs sont totalement inconscients, chevauchent les clôtures voire les découpent, n’ont pas du tout la bonne attitude face aux patous, laissent des déchets dans les montagnes, etc." "Sans eux, certains touristes seront libres de faire tout et n’importe quoi!", appuie Mickaël Viale, berger dans la vallée de la Roya.
"S’ils sont amenés à disparaître, on va devoir jouer nous-même le rôle d’ambassadeur en faveur de la protection du territoire. Mais on a moins de légitimité à le faire, ce sont eux qui donnent du sens à ce que nous faisons", poursuit Olivier Bressac.
"Un match de football sans arbitres"
"Ça va devenir un match de football sans arbitres", résume Daniel Cottalorda. Olivier Bressac tient également à souligner le rôle essentiel joué par le Parc national concernant les données scientifiques et écologiques. "Ils font des veilles sur les populations des espèces protégées et des enquêtes de terrain sur l’impact de certaines mesures municipales. Tout ce travail sera très difficile à mener en cas de fusion."
Solange Pelissero se rappelle, à titre d’exemple, que les gardes-moniteurs ont modifié le tracé d’un trail pour que l’évènement ne dérange pas les chevreuils en pleine période de reproduction. "Ils nous apportent un savoir que nous n’avons pas." Et Daniel Cottalorda d’ajouter que les gardes-moniteurs se rendent également dans les écoles, pour faire découvrir toute la richesse de la nature aux enfants.
Mais au-delà même de ce rôle de sensibilisation, la réduction drastique des effectifs du parc national du Mercantour aurait un impact direct sur certaines activités locales. C’est le cas du métier de guide de montagne, que pratique Olivier Bressac. En effet, étant partenaire de certaines structures, le parc participe au financement de nombreuses missions d’éducation à l’environnement qui sont dispensées par des guides et accompagnateurs en montagne, tout au long de l’année.
Chez les éleveurs, un discours ambivalent
Du côté des éleveurs, le discours est tout de même plus mesuré, à l’image de Mickaël Viale. "L’aspect sensibilisation du public mis à part, ils nous contrôlent plus qu’ils nous aident. S’il y a eu une petite amélioration en 2025, ces dernières années, tout ce qu’on demandait était refusé. Je dirais donc que la disparition des gardes-moniteurs du Mercantour serait pour moi ni positive ni négative. Je me réjouirais du départ de certains qui ont toujours été bêtes avec nous, et je regretterais celui de certains autres qui sont très biens." Solange Pelissero partage cette ambivalence. "D’un côté, leur disparition serait terrible. Et en même temps, sur un sujet inflammable comme celui du loup, on aura moins de contrôles, ce qui sera plus pratique. Certains de ces agents ne sont pas toujours au fait des réalités du terrain sur ce genre de sujets."
Daniel Cottalorda estime, lui, qu’il serait directement impacté. "J’ai déjà travaillé pour des gardes. Ils ont des conjoints, et souvent des enfants. Leur perte ne serait pas négligeable pour les villages, avance l’entrepreneur dans le bâtiment. On nous a déjà enlevé beaucoup de services publics ces dernières décennies, et donc autant de clients potentiels. Je comprends le besoin d’économie, mais il n’est pas juste d’en faire sur le dos de la ruralité, qui a déjà beaucoup donné."
commentaires