Des clichés poétiques, où le temps semble suspendu.
Ici, trois requins entourent Pierre Frolla, genoux posés sur les fonds sous-marins. Là, un crocodile, gueule béante, dévoile ses crocs aiguisés à quelques centimètres de l’apnéiste monégasque. Plus loin, une tortue verte ou encore un baleineau le toisent du regard.
Après deux années de tournage photographique dans les plus beaux endroits de cette planète, le quadruple recordman du monde d’apnée et Greg Lecoeur, l’un des plus talentueux photographes de faune sous-marine, dévoilent un ouvrage saisissant aux éditions Leduc, baptisé Océans: face à face. 260 pages de qualité, de rencontre entre l’animal et l’homme, qui révèlent toute la splendeur et la singularité des océans.
"Pour sensibiliser à la protection de l’environnement, on a choisi de montrer la beauté plutôt que la fragilité. Sans argumenter. Juste avec les photos", explique Pierre Frolla.
Le livre sera présenté ce mercredi au Musée océanographique, en présence du prince Albert II, où une exposition dévoilera les clichés.
Cet ouvrage, c’est une nouvelle "arme" pour sensibiliser à la protection des océans?
Depuis 2005, date à laquelle j’ai mis à profit mes capacités d’apnéiste pour la protection environnementale, je suis passé par toutes les phases: des livres, des conférences, documentaires, des cours à des milliers d’enfants... J’ai fait la leçon, la morale, j’ai prévenu qu’on allait droit vers la fin du monde, qu’il fallait laisser souffler la nature pour qu’elle reprenne ses droits. Avec ce livre, on change radicalement de stratégie: sensibiliser les gens sans pour autant argumenter.
Avec la puissance des photos?
Exact! Les clichés parlent d’eux-mêmes. On montre le beau en y ajoutant une phrase simple. On part du principe qu’en touchant les gens par la beauté des océans et des animaux qui la peuplent, ils auront cette envie de découvrir et de protéger la nature.
Greg Lecoeur est un photographe sous-marin de renom. On a la même façon de voir les choses, de travailler, d’aborder la problématique de l’image. On s’est très bien entendu sous l’eau.
Etre accepté par les animaux
Où avez-vous plongé?
À cause de la pandémie, on a dû faire une croix sur le Groenland, la Dominique et la Guadeloupe.
Pour le reste, on s’est rendu en Polynésie française, à Cuba, à Tenerife, en Égypte et aux Caraïbes, au Mexique, en Basse Californie. Des endroits où la nature y est pure et peu dérangée, et où les animaux étaient protégés.
On a réalisé des clichés qui n’ont jamais été vus ailleurs tout en conservant notre leitmotiv: le face-à-face entre l’homme et les animaux dans des décors somptueux.
Comment s’y prend-on pour les approcher de si près?
L’expertise est primordiale pour éviter les mauvaises surprises. En passant six mois de l’année à nager avec les grands animaux, on s’habitue à leurs comportements et au nôtre dans l’eau. Règle d’or: il faut se présenter à eux et non pas l’inverse. Il y a toute une série d’approches qui peuvent durer longtemps. Notre présence doit être acceptée.
Si les bébés sont intrusifs, il faut être certain que ça ne dérange pas les mères.
C’est généralement plus facile avec les poissons, requins et raies mantas qu’avec les mammifères. Les otaries, elles, veulent jouer. Pas les mâles qui vivent en harem et sont susceptibles de me chasser. Il y a toujours un danger permanent dans ce type de tournage.
J’ai enchaîné les apnées au tuba
Y a-t-il eu des moments délicats lors de ce tournage?
Il n’y a jamais eu d’accidents. On adopte une certaine façon de se mouvoir pour être accepté. On y va avec humilité, sinon, ça peut vite tourner au cauchemar. Les animaux sont chez eux, il ne faut pas les embêter.
En termes de performance, il y a eu quelques situations délicates. Sur certains shootings, j’ai enchaîné les apnées au tuba entre 20 et 30 mètres de profondeur. Au Mexique, j’ai plongé entre 80 et 100 fois avec des temps de récupération très courts. Ça m’est arrivé de travailler poumons vides pour faire LA photo. C’est engagé et éprouvant. Il y avait toujours une ou deux personnes en surface pour assurer ma sécurité.
Pourquoi ne pas avoir pris le parti de montrer la fragilité de ce milieu sous-marin?
Depuis qu’on plonge, on a toujours constaté qu’il y a une dégradation incommensurable de la planète. Sur terre, sous l’eau, où que l’on se trouve. On n’apprend rien à personne en l’affirmant.
Quelles sont les solutions pour stopper cette folie destructrice?
Préserver l’environnement en limitant sa consommation de plastique, en économisant l’eau douce, en triant ses déchets. Mais, là encore, je n’apprends rien à personne et ce n’est pas le prétexte du bouquin. Il faut plutôt se poser la question: "Quel est le problème?". Notre espèce ne veut pas accepter qu’elle fait partie d’un tout. L’être humain a besoin d’avoir la mainmise sur l’environnement dans lequel il vit au quotidien. Depuis 70 000 ans, l’Homo sapiens a mis les grands animaux à son échelle.
Il a domestiqué les chevaux, les taureaux, a fait disparaître les grands gorilles, les grands paresseux. Il extermine les requins, les loups, les ours, les insectes. Les éléphants sont en danger. Le retour en arrière est impossible. Les océans sont le dernier endroit sur Terre où l’on est en contact direct avec la nature. Mais l’homme les met à mal car il voudrait se les accaparer. Il faut que les générations futures aient envie de préserver tout cela.
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