"Il n'y a pas 97% des scientifiques qui se trompent. Ce n'est pas possible." Le cri du cœur du prince Albert II qui publie un livre

A l’occasion de la sortie de son livre "L’Homme et l’Océan", le prince Albert II témoigne auprès de Monaco-Matin de sa "promesse" et son dévouement à la planète bleue en péril.

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Thomas Michel Publié le 11/07/2022 à 07:30, mis à jour le 11/07/2022 à 11:26
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Le prince Albert II a reçu Monaco-Matin dans les jardins du Palais princier pour évoquer son lien intime avec la mer. Photo Gaëtan Luci / Palais princier

"Faire connaître, aimer et protéger l’océan." En publiant "L’Homme et l’Océan" aux éditions Flammarion - Versilio, le prince Albert II fait sienne la maxime de son trisaïeul et mentor le prince Albert Ier, pour engager une conversation sincère et directe avec le lecteur. En usant du "je" au long des 132 pages, le souverain ouvre une fenêtre sur son intimité et révèle sa "promesse" devenue sacerdoce : sensibiliser et alerter ses contemporains face à des océans qui se perdent. Se meurent.

Devenu apôtre de la communauté scientifique, "facilitateur" diplomatique, explorateur chevronné et père de famille engagé, le prince Albert II tance ici sans retenue les fossoyeurs de l’Accord de Paris, Bolsonaro et Trump ; fustige l’égoïsme des climatosceptiques et autres complotistes ; loue les communautés qui font corps avec la mer. Balaye aussi en quelques confidences les idées reçues quant aux présidents russe et chinois, Vladimir Poutine et Xi Jinping. "Ils sont conscients de leurs responsabilités dans ce domaine."

Comment est née l’idée de ce récit ?
L’idée de ce livre est venue de différentes conversations, notamment avec M. Calcagno [directeur général de l’Institut océanographique et du Musée océanographique de Monaco, ndlr] qui m’a un peu poussé à écrire ce livre. Je pensais que c’était mieux d’avoir un ton plus personnel et on a trouvé la formule, une bonne façon de faire passer certains messages autrement.

En fait, ce sont des conversations que j’ai eues avec Romain Gubert [journaliste au Point, ndlr]. Il les a remises en forme, puis j’ai relu et repris certains passages. Ce n’est pas entièrement ma plume mais plutôt un récit très fidèle où des spécialistes viennent amplifier et détailler mes propos.


Vous refusez dès les premières lignes de vous comparer au prince Albert 1er. Pourquoi?
Parce qu’il a été le pionnier. Il a été tellement visionnaire dans ce qu’il a entrepris, dans les alertes qu’il a lancées, les réflexions qu’il a eues, que certains problèmes sont encore trop d’actualité aujourd’hui, comme la surpêche et la non-protection de certaines zones. A l’approche du centenaire de sa disparition, il était aussi normal de lui rendre hommage.


Vous dîtes : "J’ai fait mienne cette ligne tracée par mon trisaïeul". Vous ne considérez pas avoir tracé la vôtre?
Oui, j’ai fait un petit sillage. Mais on ne peut pas comparer ses 28 expéditions à mes deux petites expéditions polaires. Après il y en a eu dans d’autres endroits mais pas avec un tel degré de recherches scientifiques. On ne peut pas toujours comparer les époques, il avait vraiment un esprit aventurier.

"mon rôle
est plutôt dans l’aide des scientifiques"

La curiosité de l’inconnu…
Oui. Même si c’est en Europe et pas très loin de nous, il a tout de même nommé certains endroits ! Et pas seulement le Spitzberg. Cela n’avait jamais été exploré de façon très approfondie, ni cartographié de façon correcte. C’est extraordinaire. Certes, on fait encore des découvertes à notre époque, mais elles sont beaucoup plus ciblées. Et même si on découvre de nouvelles espèces ou sous-espèces tous les jours, mon rôle est plutôt dans l’aide des scientifiques, à faire entendre leur voix et alerter sur les dangers qui nous menacent.


Prenez-vous des notes comme votre trisaïeul?
Je ne tiens pas un journal comme lui l’a tenu. D’ailleurs j’espère qu’à la fin de l’année on aura la publication de très larges extraits de son journal autobiographique. Plus jeune, je l’ai fait toutefois pour différents voyages. J’avais tenu un journal pour l’expédition au pôle Nord par exemple. Malheureusement il a été vendu aux enchères et je n’ai jamais gardé une copie.


Un regret?
Je pourrais y avoir accès peut-être, parce que la famille est encore connue et qu’il y avait des liens avec Monaco. Mais je prends surtout des petites notes, des pense-bêtes sur des choses que j’ai vues, des noms de personnes à retenir, des espèces aussi, pour que quelqu’un m’explique mieux ce que c’était après.

"Cela les dérange et c’est ça qui est intolérable"


Ne pas être un scientifique semble être votre plus grand regret, mais aujourd’hui vous êtes un apôtre de la science. Et vous menez un combat dans le combat, celui d’enrayer le climatoscepticisme, le complotisme…
Je crois que ces personnes qui refusent la vérité, qu’elle soit scientifique ou non, ont du mal à accepter que quelqu’un veuille faire changer ce qu’elles pensent être mieux pour leur bien-être ou leur mode de vie. Cela les dérange et c’est ça qui est intolérable.


Par peur bien souvent…
Par peur de l’inconnu, bien sûr. Mais par extension, c’est aussi une non-acceptation des autres et de ce qu’ils peuvent vous apporter comme éclairage et connaissances. Les scientifiques ont fait des études et des constatations, ils recueillent des preuves justement pour nous éviter des dangers. Alors oui, certains ne s’expriment pas très clairement et leur message est quelquefois perdu dans une communication trop scientifique, pas assez simplifiée, mais il y a quand même 97 % de la communauté scientifique qui est d’accord sur le fait qu’il y a un changement climatique largement dû à nos activités humaines. Il n’y a pas 97 % des scientifiques qui se trompent. Ce n’est pas possible.

"C’était une fin d’été dans notre propriété de Roc Agel, et j’ai trouvé bizarre qu’il fasse moins humide, moins chaud"

Le prince Albert II : "On vit sur une planète extraordinaire et on ne se rend pas compte. On s’est un peu séparé de tout cela. Il faut lever la tête des écrans quelques fois.". Photo Gaëtan Luci / Palais princier.

Vous évoquez Pitheas, ce Grec de Marseille parti à la conquête de la "Terre des Dieux" au IVe siècle. Ce Grand Nord qu’il pensait être le "Paradis" et "le poumon du monde". Les peuples des îles aussi, qui vivent en osmose avec leur milieu. Comme l’ethno-historien, géographe et explorateur, Jean Malaurie, que vous fréquentez, avez-vous vécu des expériences mystiques durant vos expéditions?
On ne s’évade pas nécessairement dans une expérience mystique, mais on s’évade dans un émerveillement face à la nature et l’immensité de certains espaces. On devient contemplatif.


Et plus lucide?
Oui, on parvient à mieux comprendre. Je ne l’ai jamais dit en public mais l’une des premières fois où j’ai vraiment constaté chez nous, dans notre région, qu’il commençait à y avoir des changements – à peine perceptibles à l’époque, c’était en regardant le ciel au tout début des années 90. C’était une fin d’été dans notre propriété de Roc Agel, et j’ai trouvé bizarre qu’il fasse moins humide, moins chaud.


C’était instinctif ?
Oui. C’était un épisode qui durait depuis quelques jours et j’étais persuadé que quelque chose avait changé. Ce n’était plus du tout comme avant. D’abord, il y a eu un décalage dans les saisons, et puis toutes les modifications que l’on connaît depuis et que l’on va devoir subir pendant très longtemps. 

"J’aimerais convaincre avant qu’on ait une ou plusieurs grosses catastrophes"

Nous avons franchi un point de bascule comme jamais depuis l’ère des dinosaures, et cela porte un nom : l’anthropocène. Vous regrettez que nous ayons "pollué l’inaccessible et l’inviolable", que "la banquise éternelle fonde". Est-on condamné à écoper  ?
Comme d’autres, j’aimerais pouvoir convaincre un maximum de personnes qu’il faut limiter nos émissions maintenant. Avant qu’on ait une ou plusieurs grosses catastrophes. Le glacier en Italie [de la Marmolada, ndlr] a provoqué une avalanche incroyable en plein été, c’est un signe très fort qu’il y a des changements perturbants. Mais c’est toujours la même chose, il faut attendre qu’il y ait dix accidents à un croisement de routes avant de mettre un rond-point. Et même si on s’arrêtait du jour au lendemain, il y a une inertie très grande dans tous ces grands ensembles et il va falloir s’adapter. Ce sont les méthodes et solutions pour s’adapter à ces changements qui vont être importantes.


Vous soulevez un paradoxe dans le livre : nous connaissons presque mieux l’espace que nos océans…
Je suis comme tout le monde fasciné par la conquête de l’espace, mais avant de se projeter pour aller s’établir sur une autre planète il faudrait peut-être connaître encore mieux la nôtre et nos grands fonds marins, qui ont des richesses qu’il ne faut pas nécessairement exploiter mais au moins se donner les moyens de connaître.

"Si on veut aller habiter sur Mars et que cela ne marche pas, il faudra pouvoir rentrer à la base"

Prince Albert II : "Ces personnes qui refusent la vérité, qu’elle soit scientifique ou non, ont du mal à accepter que quelqu’un veuille faire changer ce qu’elles pensent être mieux pour leur bien-être ou leur mode de vie. Cela les dérange et c’est ça qui est intolérable." Photo Gaëtan Luci / Palais princier.

En soi la conquête de l’espace, la recherche d’un autre habitat, trahit déjà un fatalisme…
Oui. Et si on veut aller habiter sur Mars et que cela ne marche pas, il faudra pouvoir rentrer à la base. Et si elle n’est plus viable, c’est quand même embêtant.


Vous n’avez jamais pris de ticket pour l’espace?
Non. D’abord parce que les vols sont extrêmement polluants. Et puis c’est très beau d’aller dans l’espace mais si c’est juste pour dire: ‘‘J’y suis allé, regardez-moi je suis le meilleur, le plus fort’’, cela ne fait pas avancer les choses.


Il faut un but…
Voilà. Ce que j’aurais beaucoup aimé, et qui est encore du domaine du possible, c’est juste voir la courbure de la Terre. Il faut aller très très haut mais des avions montent à ces altitudes.


Vous avez grandi avec Jules Verne, Jack London, le Commandant Cousteau, etc. Ont-ils des contemporains aptes à éveiller les consciences au plus jeune âge ? Aujourd’hui, on starifie plus facilement le messager que le message…
C’est souvent le cas oui. Mais il y a des scientifiques qui sont formidables. Quelqu’un comme Enric Sala est un formidable orateur, extrêmement clair et persuasif. Et puis je suis obligé de citer Bertrand Piccard, mon ami d’enfance, qui avec sa Fondation des 1 000 solutions œuvre pour un avenir plus durable.

"Il faut lever
la tête des écrans quelques fois"


Votre force n’est-elle pas d’avoir su garder un regard d’enfant sur le monde?
Tout le monde devrait garder une part d’âme et un regard d’enfant. J’ai lu cela chez plusieurs personnes qui ont décrit la nature. Il ne faut jamais cesser de s’émerveiller. On apprend toujours quelque chose en voyageant, en regardant la nature… quand elle est en bonne santé. On vit sur une planète extraordinaire et on ne se rend pas compte. On s’est un peu séparé de tout cela. Il faut lever la tête des écrans quelques fois.


Vous parlez "d’incitations positives" pour convertir le grand public.
La contrainte n’amène à rien?

Il faut toujours laisser le choix. Il aurait été très facile par exemple d’interdire les véhicules thermiques à Monaco mais, au contraire, il faut convaincre qu’en l’état, l’électrique est la meilleure solution. Il y a des arguments qui ne militent pas en notre faveur car c’est encore assez cher, mais ce ne sont plus des gadgets depuis longtemps. Ce sont de beaux véhicules, performants et avec une autonomie suffisante. Et plus on va en produire, moins ça va coûter cher. Il faut inciter, être persuasif pour montrer que c’est la seule voie possible.


Vous avez perpétué l’engagement de votre famille mais vous n’imposerez rien à vos enfants : "Ils poursuivront s’ils le souhaitent". Pourquoi?
Je veux laisser le choix à mes enfants mais je crains malheureusement, si cela les intéresse, qu’ils soient toujours contraints pendant plusieurs générations de se battre pour sauver ce qui peut l’être sur notre planète. Et faire en sorte que tous les écosystèmes, terrestre et marin, puissent fonctionner correctement pour notre survie.

L’Homme et L’Océan. Préservons les océans pour protéger l’humanité.
Disponible aux éditions Flammarion - Versilio.
Prix : 10 euros.
Les droits d’auteur seront entièrement reversés à la Fondation Prince Albert II et à l’Institut océanographique - Fondation prince Albert Ier.

Le prince Albert II a reçu Monaco-Matin dans lees jardins du Palais princier pour évoquer son lien intime avec la mer. Photo Gaëtan Luci / Palais princier.

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