Alerte sur les coraux: ces étudiants ingénieurs exposent 6 pistes pour les sauver

Ils abritent des poissons qui nourrissent 500 millions de personnes à travers le monde, attirent les touristes, brisent les vagues et accueillent des organismes contenant des molécules indispensables aux traitements de certains cancers. Peuplant des eaux tropicales lointaines, les coraux sont essentiels à l’écosystème planétaire… mais très menacés par le réchauffement climatique. À l’Institut océanographique de Monaco, 200 étudiants ingénieurs ont planché pendant 48h sur des solutions concrètes pour les sauver.

Aurélie Selvi - aselvi@nicematin.fr Publié le 05/03/2023 à 09:00, mis à jour le 03/03/2023 à 18:37
decryptage
Les récifs coralliens sont menacés de disparition par le réchauffement climatique. Photo d'illustration Istock

Quel est le problème?

"Face au réchauffement climatique, les récifs coralliens sont en première ligne. Ils font partie des zones à forte biodiversité qui vont sans doute disparaître en premier." C’est le constat dressé par Laëtitia Hedouin, chargée de recherches au Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l'Environnement (CRIOBE). Spécialiste des coraux, elle fait partie des experts qui ont encadré, du 1er au 3 mars à l’Institut océanographique de Monaco, 200 étudiants ingénieurs de l’école des MINES PSL du campus de Sophia-Antipolis dans l’élaboration de l’expo "Ça chauffe pour les récifs! La technique au service des coraux?". Objectif: exposer des solutions techniques, de manière artistique.

Et il y a urgence à aider ces fascinants animaux aquatiques, à squelette calcaire, qui peuplent les eaux tropicales. De Madagascar aux îles Fidji en passant par l’Australie, les coraux ne représentent que 0,2% de la surface des océans mais en concentrent 30% de la biodiversité. Or, ils sont frappés de plein fouet par la hausse de la température de l’eau qui provoque un blanchissement pouvant entraîner leur mort.

"On considère qu’avec un réchauffement d’1,5°C, 70 à 99% des coraux disparaîtront. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat [GIEC] indique que même si le réchauffement se limite à 2°C, 99% auront disparu d’ici 2100", indique Laëtitia Hedouin.

Et les conséquences sont multiples: perte de ressources en poissons pour des populations pauvres dont 90% de l’alimentation dépend, raréfaction de molécules utiles à la composition de certaines chimiothérapies ou encore intensification de l’érosion (ces récifs jouant un rôle de brise-vague).

Chercher des techniques pour préserver les lointains coraux, c’est aussi trouver des solutions pour des écosystèmes plus proches, à l’instar des gorgones en Méditerranée, souligne l’experte du CRIOBE. Ces magnifiques organismes, à l’architecture 3D très ressemblante à celle des coraux, ont eux aussi été frappés en 2022 par un épisode de forte mortalité causée par les canicules à répétition.

En Méditerranée, les Gorgones subissent le même phénomène de mortalité que les coraux. Photo DR.

Comment agir? Pour répondre à cette question, 200 étudiants ingénieurs en 3e année à l’école MINES-PSL de Sophia-Antipolis ont passé au crible des travaux de recherche menés dans le monde. "Nous voulons servir de porte-voix à des chercheurs qui depuis trop longtemps ne sont pas assez entendus", plaide Charlotte, l’une d’entre eux. Sans faire pour autant de la technique la solution miracle à un problème global. Zoom sur 6 idées concrètes.

#1 Renforcer l’entraide entre les coraux et les microalgues

Des microalgues à la rescousse des coraux ? La piste est explorée par des chercheurs australiens. "Le corail est un animal qui abrite de nombreux micro-organismes dont des bactéries et des algues qui produisent, grâce à la photosynthèse, du sucre et de l’oxygène utiles à son hôte", explique Jean, l’un des étudiants à s’être penché sur cette solution. Car le blanchissement des coraux est directement causé par l'expulsion de ces précieuses algues, provoquée par la chaleur.

En labo, les scientifiques australiens ont cultivé 10 types de microalgues présentes dans les coraux à 31°C pendant quatre ans. Résultat : une fois réintroduites, 3 microalgues sur 10 ont présenté de meilleures capacités d'adaptation. Une option prometteuse qui nécessite toutefois du temps. "Or, il faut agir vite car 14% des coraux sont morts ces 10 dernières années", nuancent les étudiants.

#2 Aider les coraux à s’adapter à la chaleur

La science planche aussi sur l’adaptation du corail lui-même à la nouvelle donne climatique. En créant des hybrides, croisement de deux variétés, pouvant bénéficier des capacités de résistance à la chaleur dont sont dotées certains individus. "Comme ces coraux repérés dans la mer Rouge, capables de tolérer des variations de températures extrêmes [+ 6°C pendant 4 semaines]", détaille Benjamin. Reste à savoir si ces super-coraux, créés en labo, seraient aussi résistants aux infections qu’à la chaleur, préviennent les apprentis ingénieurs.

Ces derniers ont aussi étudié plusieurs expériences "d'entraînement" des coraux à la chaleur, menées en aquariums et démontrant que les individus soumis à des stress thermiques s’en sortaient mieux une fois réintroduits. "Attention toutefois, les scientifiques ne sont pas encore sûrs de la viabilité de cette thermorésistante sur le long terme", nuance Aïda, étudiante ingénieure.

#3 Rafraîchir les récifs

"Particules d’eau de mer en suspension au-dessus de la surface pour créer des nuages ou du brouillard", "bâche protectrice", "formation de microbulles en surface pour créer une couche occultante"... Les apprentis ingénieurs mettent aussi en lumière des pistes, développées par des scientifiques internationaux, pour ombrager les coraux. Des solutions, pour l’heure expérimentales, qui pourraient davantage se développer à l’horizon 2030, nuancent-ils.

Pour éviter la surchauffe, une autre option est à l’étude: "utiliser des industries qui rejettent des eaux à 15°C, utilisées pour des systèmes de climatisation sur Terre, en vue de refroidir certaines zones tropicales", détaille Joseph, étudiant ingénieur à l’école MINES-PSL.

#4 Créer des Arches de Noé et des sanctuaires sous-marins

Une pépinière mobile qui permettrait au corail d’être déplacé dans des zones plus fraîches au cours de sa croissance, c’est l’idée développée par l’un des groupes d’étudiants de l’expo "Ça chauffe pour les coraux". Concrètement, il s’agirait d’une sorte de plateforme de grillage en acier inoxydable reliée à des bouées équipées de moteurs capables de hisser la structure.

"Chaque année pendant les périodes de forte chaleur, le récif est descendu à des profondeurs plus élevées pour atteindre de l’eau plus fraîche. Les coraux se développent entre 5 et 25 m de profondeur, c’est donc cette amplitude que la plateforme doit pouvoir reproduire", précisent les ingénieurs. Tandis qu’un autre groupe a imaginé des habitats en argile et en calcaire, dont le moule pourrait être réplicable facilement, pour accélérer le processus de repeuplement quand une zone a été exposée au blanchissement.

Parmi les pistes développées par les étudiants pour sauver les coraux, des pépinières mobiles ou des habitats reproductibles à l'aide d'un moule. MINES-PSL - Patrick Frega.

#5 Vulgariser ces enjeux scientifiques autrement au grand public

Création vidéo ludique, dessins techniques, design numérique… Pour exposer ces pistes destinées à sauver les coraux, les 200 étudiants ingénieurs ont utilisé l’art, épaulé notamment par l’artiste azuréen Patrick Frega.

"L’art véhicule quelque chose de plus léger tout en délivrant des messages", souligne ce dernier. "Avec cette approche, l’enjeu est aussi de faire adhérer les plus jeunes visiteurs car ce sont eux qui, une fois sensibilisés, changeront le monde", argue aussi la direction de l’école des MINES-PSL.

#6 Agir à son échelle pour lutter contre la première cause du blanchissement

"Le vrai problème, c’est le réchauffement climatique. Pour le maintenir à 1,7°C, le scénario le plus optimiste du GIEC, il faudrait que chaque habitant ait une empreinte carbone de 2 tonnes par an contre 10 tonnes aujourd’hui", prévient Camille. "La science ne nous sauvera pas à elle seule : s’engager à titre individuel pour réduire son impact environnemental, plaider pour plus de politiques publiques, agir à toutes les échelles, c’est essentiel", conclut Clémentine.

*Le catalogue de l’exposition "Ça chauffe pour les Récifs! La technique au service des coraux?" est en libre consultation ici.

“Rhôooooooooo!”

Vous utilisez un AdBlock?! :)

Vous pouvez le désactiver juste pour ce site parce que la pub permet à la presse de vivre.

Et nous, on s'engage à réduire les formats publicitaires ressentis comme intrusifs.